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Accès aux soins de santé: pourquoi y a-t-il une pénurie de médecins en Belgique?

Toute cette semaine, RTL info revient sur les problématiques majeures dans les communes wallonnes et bruxelloises. Nous avons analysé les propos tenus par vos bourgmestres durant les "48h des bourgmestres." La santé, l'une des cinq thématiques principales, soulève la problématique de la pénurie de médecins qui touche notre pays, et particulièrement Bruxelles et la Wallonie.

Ce n'est plus un secret pour personne, la Belgique manque cruellement de médecins généralistes. En Wallonie, 52 communes sur 281 sont actuellement considérées en pénurie de médecins généralistes, soit 18,5% du territoire. Pour combler ce manque, la région aurait besoin de 145 médecins supplémentaires.

Le vieillissement des praticiens n'arrange pas les choses : près de 10% des médecins généralistes en activité ont plus de 65 ans. Parallèlement, seulement 40% des étudiants en médecine choisissent la médecine générale comme spécialité. Face à cette situation, le gouvernement a débloqué une enveloppe de 2,26 millions d'euros afin d'encourager les jeunes médecins généralistes en formation à s’installer dans les zones rurales ou urbaines où le manque de praticiens est particulièrement critique.

Mais d'abord, une commune en pénurie, c'est quoi ? "On évalue la pénurie en fonction du nombre de patients par médecin. Un seuil de pénurie a été fixé à 1100 patients par médecin. À partir de 2000 habitants par médecin, on est en pénurie sévère. Même si cette définition a des limites, puisque cela varie selon le type de commune, qu'elle soit rurale ou urbaine", explique Catherine Linard, géographe spécialisée en géographie de la santé.

Une pénurie qui touche "l'ensemble des régions, certaines plus que d'autres", constate-t-elle. Parmi les zones les plus impactées, on retrouve surtout la province du Luxembourg, le sud de la province de Namur, ainsi qu'une partie du Hainaut. Mais le problème ne se limite pas aux zones rurales. "La pénurie ne touche pas uniquement les zones rurales, elle peut aussi affecter certaines zones urbaines". Toutefois, la situation y est un peu différente puisque les villes bénéficient de la proximité de "médecins spécialistes et d'hôpitaux".

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Aliz Hevesi, Université de Namur.

Plusieurs freins à l'installation en zone rurale

"La première limitation, c'est le nombre absolu de médecins, et donc le numerus clausus", souligne Dominique Hérion, médecin généraliste et chargé de cours à l'Université de Namur. "Cette année, le nombre de médecins assistants est particulièrement bas. On est dans le creux du creux", ajoute-t-il, précisant qu'il faudra faire preuve de patience avant que la situation ne s'améliore.

Mais le problème ne s'arrête pas là. La mauvaise répartition géographique des médecins peut s'expliquer par plusieurs facteurs selon lui. "Proportionnellement, les gens retournent plus souvent travailler dans leur région natale. Ensuite, c'est une question d'opportunités. Ils s'installent là où ils ont eu l'occasion de goûter à la médecine générale, via leur stage ou leur assistanat", explique-t-il. Or, dans les zones moins attractives, le manque de maîtres de stage et de places disponibles freine l'installation des jeunes médecins.

"Avec l'évolution de la société, le médecin généraliste ne s'installe plus seul, il est souvent marié ou a un ou une compagne". Cela signifie qu'il ne suffit pas d'attirer le médecin, mais aussi de pouvoir offrir des opportunités d'emploi pour le conjoint, ainsi qu'un accès à des écoles ou à une crèche pour les enfants. En outre, les conditions de travail en milieu rural jouent également un rôle important. "Il y a une vision parfois tronquée de la médecine générale à la campagne, avec beaucoup de gardes, une forte charge de patients, et peu de possibilités de se reposer ou d'être remplacé", note Dominique Hérion. "Même si les choses commencent à s'améliorer, ce n'est pas encore tout à fait optimum."

Si le médecin généraliste se trouve à plus de 20 minutes, la mortalité augmente

Enfin, selon le médecin, la présence d'un généraliste à proximité peut même impacter directement l'espérance de vie. "On a des études qui montrent que si le médecin généraliste se trouve à plus de 20 minutes, la mortalité augmente", avertit-il, ajoutant que la possibilité de choisir entre plusieurs médecins doit aussi être prise en compte. "Quand ça ne matche pas avec le premier, il faut pouvoir avoir une autre option", insiste-t-il, soulignant que dans les régions où il n'y a qu'un seul médecin, cela pose une "vraie question en termes de relations humaines."

Et à Bruxelles ?

Dans la capitale, la situation n’est guère plus favorable. En effet, 60 % des médecins bruxellois ne prennent plus de nouveaux patients, compliquant ainsi l’accès aux soins pour de nombreux habitants. Comparativement aux autres régions, les Bruxellois "consomment" 20 % de soins en moins. De plus, 17 % des Bruxellois ne consultent aucun médecin au cours d'une année.

Anne Gillet, Vice-présidente du GBO, le syndicat des médecins généralistes francophones, met en lumière une des raisons principales qui accentuent la pénurie de médecins dans certains quartiers. Selon elle, la logique est simple : "Comme il y a une pénurie générale, quand les médecins ont le choix, ils vont s'installer là où d'autres médecins sont déjà présents. Car ils savent qu'ils seront noyés de travail s'ils s'installent dans ces quartiers en plus grande difficulté", explique-t-elle. "Or, aujourd'hui, il y a une vraie revendication pour un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Les jeunes générations ne veulent plus des journées de 12 à 14 heures comme nous le faisions dans notre génération", ajoute-t-elle.

La pénurie appelle la pénurie

Plus ces zones sont en manque de médecins, plus elles deviennent moins attractives pour les nouveaux praticiens, ce qui crée un cercle vicieux difficile à briser. "La pénurie appelle la pénurie", résume Anne Gillet.

À Bruxelles, même si les distances pour voir son médecin sont plus courtes qu'à la campagne, les problèmes de mobilité compliquent l'accès aux soins. "Quand vous êtes malade, prendre le tram n'est pas l'idéal. Et même en voiture, le temps de trajet reste long à cause du trafic". Un problème qui s'étend aussi aux médecins eux-mêmes, qui prennent "beaucoup trop de temps" pour arriver jusque chez le patient, même s'ils sont dans le quartier d'à côté", ajoute-t-elle. "Avec ce manque de mobilité, on est content d'avoir son médecin très proche dans son quartier."

La prime Impulseo

Dans certaines régions de Wallonie, la pénurie de médecins généralistes reste préoccupante. Pourtant, des incitants financiers, comme des primes, sont mis en place pour attirer les praticiens. La prime Impulseo est l’une de ces initiatives proposées par la Région wallonne. Elle vise à encourager l’installation de médecins dans les zones en pénurie, en offrant une prime pouvant atteindre 25 000 euros. Cette aide financière peut être utilisée pour couvrir les frais d’installation des médecins, notamment l’achat de matériel, la location de cabinets ou d'autres dépenses liées à leur activité professionnelle.

Depuis 2017, près de 600 médecins ou associations de médecins ont obtenu cette prime d’installation, qui peut également être combinée à d’autres aides. Cependant, malgré cet incitant financier, le manque de généralistes persiste dans de nombreuses zones en pénurie. "La littérature internationale est assez décourageante sur ce sujet, on sait que ça ne fonctionne pas toujours très bien. Je pense qu'il y a surtout un phénomène d'opportunisme, avec des gens qui vont s'installer en prenant la prime mais ce n'est pas ça qui est le facteur basculant", nuance Dominique Henrion.

Il décrit une véritable "course à l'échalote" entre les communes qui se battent pour attirer des médecins. "Elles offrent des locaux, des logements ou même des primes supplémentaires pour convaincre des praticiens de venir s’installer chez eux", explique-t-il. Mais selon lui, cette approche est loin de résoudre le problème de fond. "Je pense que beaucoup d'argent public risque de disparaître dans des actions ponctuelles. Les gens ne font que tirer la couverture vers eux sans résoudre fondamentalement le problème. Alors que structurellement, il doit y avoir moyen de faire des choses un peu mieux."

Il cite en exemple la fin de la garde de nuit pour les médecins généralistes, qu'il juge dépassée et coûteuse. "Imposer un nombre de médecins la nuit n'a aucun sens", estime-t-il. "On n’a plus les moyens d’offrir ça à la population. Ça doit suffire."

Selon lui, une des solutions pour pallier la pénurie de médecins en Belgique passe par une "levée du numerus clausus", cette limite imposée sur le nombre de médecins formés. Mais au-delà de ça, le médecin plaide pour des "mesures collectives, réfléchies sur le moyen et le long terme", qui permettraient une meilleure répartition des médecins généralistes sur tout le territoire. "Il faut proposer des mesures intégrées entre les différents niveaux de pouvoir, par exemple en encourageant des stages plus fréquemment en médecine générale dans ces zones-là, en favorisant des logements pour nos assistants et nos stagiaires, ou encore en favorisant peut-être des primes, effectivement", conclut-il.

Retrouvez l'intervention de votre bourgmestre en intégralité sur cette page dédiée aux "48h des bourgmestres."

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