Partager:
En 2022, la Belgique s'est assise sur un très grand nombre de décisions de justice, faisant fi des règles de l'État de droit, s'alarme mardi dans son rapport annuel la Ligue des droits humains (LDH). "C'est un tournant inquiétant, qui déstabilise les fondations de notre démocratie", commente-t-elle, qualifiant de "mauvais" le climat général pour les droits humains.
La Ligue prend notamment pour exemple la crise de l'accueil qui dure depuis plus d'un an. "Les demandeurs de protection internationale sont laissés à la rue par Fedasil en toute illégalité", l'agence se retranchant derrière la saturation du réseau. "Alors que les températures se situent entre 0 et 5 degrés, plus de 2.000 personnes sont contraintes de dormir dehors, mourant de froid, déshumanisées", dénonce la Ligue.
Des milliers de condamnation
L'année dernière pourtant, Fedasil - et donc in fine l'État fédéral - a été condamné des milliers de fois par des tribunaux belges mais également par la Cour européenne des droits de l'homme qui l'enjoignaient à "remplir ses obligations et à accueillir les personnes demandeuses de protection internationale". Malgré cela, les astreintes n'ont pas été payées et la grande majorité des requérants victorieux sont restés sans hébergement.
"Dans la crise de l'accueil, le gouvernement s'est autorisé à violer délibérément le droit à l'accueil de milliers de personnes qui y avaient incontestablement droit", regrette Pierre-Arnaud Perrouty, directeur de la Ligue des droits humains.
Les autorités ne peuvent s'affranchir de décisions de justice quand ça ne les arrange pas
La Ligue épingle également le gouvernement pour sa gestion de l'affaire Nizar Trabelsi, du nom de ce Tunisien arrêté en 2001 puis jugé en Belgique pour terrorisme, avant d'être extradé aux États-Unis. "Le gouvernement s'est assis sur pas moins de cinq décisions de justice, ce qui a valu à la Belgique une cinglante condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme", rappelle la Ligue.
La LDH reste par ailleurs attentive au plus grand procès jamais organisé devant un jury populaire en Belgique, à savoir le procès des attentats de Bruxelles qui a démarré début décembre au Justitia sur l'ancien site de l'Otan. Le défi est de taille puisqu'il s'agit d'organiser "un procès équitable, conforme au concept d'État de droit", souligne-t-elle.
Le contrôle des forces de police pointé du doigt
La LDH épingle également dans son rapport le périlleux équilibre des pouvoirs en Belgique, et notamment le contrôle du pouvoir législatif sur l'exécutif. La Ligue critique notamment le dossier des armes wallonnes exportées vers des pays qui ne respectent pas les conditions édictées par le décret wallon.
Le contrôle externe des forces de police, opéré par le Comité P sous l'autorité du Parlement, est aussi pointé du doigt. "Les témoignages de violences, notamment racistes, restent nombreux et les victimes peinent à obtenir réparation", souligne-t-elle, alors que la Belgique a encore été condamnée en 2022 par la Cour européenne des droits de l'homme dans un dossier de violences policières.
"De manière inédite, le gouvernement a tourné le dos à un très grand nombre de décisions de justice", s'offusque la Ligue, qui rappelle que le principe de séparation des pouvoirs est indispensable au fonctionnement de la démocratie. "Plus préoccupant encore: les Parlements ont confirmé qu'ils ne jouaient pas sérieusement leur rôle de contrôle du pouvoir exécutif", ajoute-t-elle.
Si le fait de gagner en justice ne suffit plus à contraindre les autorités à modifier leurs pratiques, il ne faudra pas s'étonner de voir se multiplier les actions de désobéissance civile, qu'elle soit dirigée contre des acteurs privés ou étatiques, avertit la Ligue. "Ces actions sont considérées par les activistes comme un ultime recours pour se faire entendre auprès d'autorités qui peinent à prendre la mesure de l'enjeu", souligne-t-elle. "Prompt à dénoncer, à raison, les errements des gouvernements hongrois ou polonais, à invoquer l'État de droit quand des menaces pèsent sur le ministre de la Justice, le gouvernement assume pourtant, avec un aplomb et un cynisme rarement égalés, ne pas respecter le droit ni même se sentir lié par des décisions de justice", signale Pierre-Arnaud Perrouty. Et de rappeler que le contrat de base du gouvernement fédéral prévoit de respecter le droit en amont et les décisions de justice en aval. "Les autorités ne peuvent s'affranchir de décisions de justice quand ça ne les arrange pas. Il ne s'agit pas d'un jeu à géométrie variable", conclut-il.