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Tous ont les yeux rougis: en pleine nuit sur le circuit Bugatti, pilotes, mécanos et managers luttent sans répit contre les incidents mécaniques, le sommeil et l'abattement pour la survie de leur équipe dans les 24 Heures du Mans Motos.
La nuit est tombée depuis de longues heures sur le paddock mais le vrombissement des motos ne trompe personne: ce n'est pas le moment de dormir. La cinquantaine d'équipes toujours en course dans cette mythique épreuve d'endurance sait bien que l'effort est loin d'être terminé.
Dans le box de la Suzuki N.2, qui joue la gagne, c'est l'heure du potage. "A minuit, c'est croque-monsieur. A 2 heures, c'est soupe et, ensuite, je crois qu'on aura des crêpes", énumère un membre de l'équipe en avalant une lampée, casque encore vissé sur les oreilles. "Il faut tenir les corps éveillés, et la soupe, ça réchauffe et ça réconforte".
Chez Honda, trois membres du staff japonais peinent à garder les yeux ouverts. L'un d'eux est même en pleine micro-sieste alors qu'on apporte aussi tout un chariot de plats chauds, sous les yeux du manager d'à-côté, Gilles Stafler du Team SRC-Kawasaki.
Lui aussi se bat pour la victoire mais s'autorise une rare "pause clope" hors du garage. "C'est nécessaire pour déstresser", assure l'emblématique patron: "à ce stade de la course, j'en ai bien besoin".
Tous n'ont pas la chance de viser le sacre. La Yamaha N.333 a chuté trois fois, déjà. "Mais c'est le jeu de l'endurance, il faut savoir rester soudé pour se remettre en selle", glisse un membre du staff, qui se refuse au moindre instant de sommeil. "A tout moment, la moto peut rentrer aux stands et il faut être prêt".
- "Hâte que le jour se lève" -
Parfois, la machine reste au garage pour de bon. Cela a été le cas pour l'équipe Rac41, qui termine de ranger son box dans l'amertume. "Le pire, c'est d'entendre le bruit de ceux qui ont la chance d'être toujours en course", désespère un essencier.
Plus loin, la BMW N.6 se résout au pire. Le moteur est cassé, c'est l'abandon. Dans le garage, au milieu des pneus usés, des bouteilles d'eau vides, le staff se congratule et observe le rideau de métal se refermer sur le stand.
"Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ? Ce n'est ni la faute du pilote, ni de notre faute", tente de rassurer un membre du staff. "Allons boire une bière", ajoute-t-il en laissant derrière lui, à même le sol, un carénage bien abimé.
Les bières, le Team Gert56 ne tarde pas à les décapsuler. L'équipe allemande a bataillé contre les problèmes électroniques jusqu'à la 11e heure avant de lâcher prise. "La moto est intacte, les pilotes sont intacts, il faut réussir à prendre du recul. Dans deux semaines, c'est déjà la prochaine course", relativise le manager. Sa pilote Lucy Glöckner écoute le discours mais elle a du mal à digérer. Le sourire de la veille a laissé place à des sanglots difficiles à retenir.
Le pilote Baptiste Guittet, de l'équipe National Motos, semble au contraire plein d'énergie. Lorsqu'on occupe le top 10 sur une moto loin d'être favorite (National Motos), il faut croire que la fatigue disparaît. Mais, avant de prendre un troisième relais nocturne, l'appréhension guette. "Cela ne fait pas peur mais ce sera l'un des plus durs", lance-t-il, encore emmitouflé dans sa combinaison de course. "J'ai hâte que le jour se lève".
Le premier rayon de soleil sur Le Mans est prévu pour 6h58. Plus que cinq heures à tenir.