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Truquer des matchs rapporte gros mais coûte cher: le plus grand club albanais, Skenderbeu, est KO debout après sa suspension pour dix ans de toute compétition européenne, la plus lourde sanction jamais infligée par l'UEFA.
"Ne tuez pas notre rêve!", suppliaient en février à Korça (est) des milliers de supporteurs, juste avant que ne fuite dans la presse britannique un rapport accablant de la Fédération européenne, qui avait aussi infligé une amende d'un million d'euros à ce club annonçant un budget de 2,5 millions d'euros.
Cette sanction équivaut à une "condamnation à mort", dit à l'AFP le président du club Ardian Takaj qui a longtemps espéré pouvoir s'aligner lors des tours préliminaires de Ligue Europa en juillet.
Mais cet homme d'affaires, aux commandes du club depuis 2012, est plus sombre que le 23 mai, quand il fêtait dans le stade avec joueurs et supporteurs, le septième titre national en huit saisons de ce club baptisé en hommage au héros national Skenderbeg.
Le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne a confirmé mi-juin que la suspension s'appliquerait sans attendre l'examen au fond de son appel, à une date non fixée.
53 matches truqués!
S'appuyant sur son système de détection de paris frauduleux (Betting Fraud Detection System, BFDS), l'UEFA estime que 53 matches de Skenderbeu ont été truqués depuis 2010: des rencontres nationales, européennes et "même amicales". "Ce club a truqué des matchs de football comme personne ne l'a jamais fait auparavant dans l'histoire de ce sport", écrit la commission de discipline de l'UEFA.
Skenderbeu clame son innocence. Pourtant, selon l'UEFA, ses matchs offraient des scénarios étonnants.
Le 21 juillet 2015 à Belfast, sur le terrain des Crusaders, Skenderbeu mène 2 à 1 à la fin du temps réglementaire en Ligue Europa. En fin de match, selon l'UEFA, "des centaines de milliers de dollars" sont misés sur le fait qu'au moins quatre buts seraient inscrits.
De fait, les Nord-Irlandais marquent deux fois durant le temps additionnel, profitant d'erreurs des défenseurs et du gardien (3-2). "S'il n'y a pas d'enquête de l'UEFA sur le match de ce soir, il y a quelque chose qui ne va pas", écrit sur Twitter le gardien des Crusaders Sean O'Neill.
Ancien patron d'une chaîne de télévision, propriétaire d'un complexe hôtelier balnéaire, Ardian Takaj, 54 ans, s'indigne que l'UEFA lui prête "un rôle influent dans les activités illégales de Skenderbeu".
A41 ans, Orges Shehi vient d'être nommé entraîneur du club juste après avoir raccroché les gants. Gardien de la sélection pendant l'Euro-2016, il s'offusque aussi de voir son image ternie par un rapport "fondé non sur des preuves mais sur des rumeurs".
L'UEFA a exprimé ses soupçons sur 46 de ses prestations. "Le football n'est pas une science exacte, on voit tout le temps des erreurs plus graves", répond-il.
"L'UEFA veut promouvoir son système"
Pour Ardian Takaj, Skenderbeu paie la volonté de l'UEFA de "promouvoir son système" BFDS, aux dépens "d'un petit pays, d'un petit club, d'un petit budget". "Je ne pense pas que l'UEFA aurait osé prendre cette mesure contre une équipe occidentale", "sur la base de doutes nés de mouvements de cotes", dit-il: dans le rapport il n'y a "pas 1% d'investigation", "pas de sommes précises, pas de noms".
"L'UEFA est venue en Albanie il y a sept ans pour demander une enquête conjointe" mais s'est heurtée au "manque de coopération des autorités", relève Artan Shyti, recteur de l'université des Sports de Tirana et président de la fédération des compagnies albanaises de paris. "Toutes les enquêtes liées au football ont été classées par le parquet", renchérit le journaliste sportif Endi Tufa.
L'Albanie dispose de 4.000 bureaux de paris pour ses 2,8 millions d'habitants. Sans compter les "bookmakers" clandestins, ni les sites en ligne, qui posent le plus de soucis, selon Artan Shyti.
A son arrivée au pouvoir en 2013, le Premier ministre Edi Rama avait dit vouloir les bloquer pour "lutter contre le crime économique". Une mesure difficile à mettre en place.
Artan Shyti plaide pour qu'une partie des recettes fiscales des paris soit allouée aux clubs pour éloigner la tentation de "sources de financement illégales".
Président depuis 2002 de la Fédération albanaise de football, Armando Duka concède qu'"une meilleure organisation (...) de la gestion des clubs est indispensable". Il admet aussi que "le trucage des matchs est le cancer du football", un cancer "mondial". Mais il assure que son organisation s'implique: il a écrit en juin au parquet pour demander l'ouverture d'enquêtes.
Car l'UEFA laisse des questions sans réponse, relève Artan Shyti: "Qui a parié? Qui a gagné? Et qui doit aller en prison?".