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"Nous sommes abasourdis. Nous sommes au chômage temporaire depuis le 16 mars. Nous avons demandé le report de notre prêt hypothécaire mais la banque vient de nous répondre par la négative", se désolent David et Sabrina (prénoms d’emprunt pour garantir l’anonymat) via notre bouton orange Alertez-nous. Dans les faits, le couple a pu bénéficier d’un report de crédit. Mais sous certaines conditions qu’il ignorait jusqu’à présent. Explications.
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La situation financière de milliers de Belges a été mise à mal par l’épidémie du coronavirus. Forcés d’abandonner leur activité, des ménages ont observé, impuissants, la chute de leurs revenus mensuels. Pour les aider à surmonter cette crise sanitaire d’une ampleur exceptionnelle, un accord a été conclu entre le gouvernement fédéral, la Banque nationale et le secteur financier. Annoncé le 22 mars dernier, celui-ci prévoit notamment la possibilité de reporter son prêt hypothécaire.
Qu’entend-on par le report d’un prêt hypothécaire?
Le moratoire prévoit que l’emprunteur ne doit pas rembourser son crédit (capital et intérêts) pendant un maximum de 6 mois. Et ce à compter de ce 30 avril. Cela sous-entend qu’aucun frais ne sera compté par la banque pour ce report de paiement. En suspendant le budget alloué au remboursement de ce crédit, les autorités espèrent soulager ainsi les finances des ménages impactés par la crise du coronavirus.
Pour pouvoir bénéficier de ce report, plusieurs conditions doivent être réunies.
1. La crise du coronavirus doit être responsable d’une diminution voire d’une disparition d’une partie des revenus d’un ménage.
2. Il ne faut avoir contracté aucun retard de paiement auprès de sa banque avant le 1er février 2020.
3. Le crédit doit avoir été conclu pour une résidence principale.
4. Au moment de la demande du report, le total des actifs mobiliers doit être inférieur à 25.000 euros.
Jusque là, aucune zone d’ombre en vue. Sabrina et David remplissent ces 4 strictes conditions. C’est au niveau des modalités que la situation se complique. Lors de la conclusion de cet accord, l’Etat et le secteur financier ont différencié deux catégories d’emprunteurs. D’un côté, ceux pour qui, les revenus nets mensuels étaient inférieurs à 1.700 euros au 1er février 2020. Ils sont considérés comme "ceux qui sont le plus lourdement touchés par la crise actuelle", par la Fédération belge du secteur financier (Febelfin).
Une date prise en compte: le 1er février 2020
Pour ces emprunteurs, il est possible de reporter son prêt hypothécaire sans intérêts supplémentaires pendant la période de report. Une fois la période écoulée, les paiements reprendront avec les mêmes échéances mensuelles qu'auparavant. "La banque assume la situation", précise Febelfin.
Pour tous les autres, les intérêts, qui auraient dû être versés durant la période de report, seront comptabilisés dès la reprise des paiements. Il faudra donc s’attendre à des échéances mensuelles plus importantes.
La date du 1er février 2020 est très importante ici. Et c’est précisément cette même date qui pose problème pour le couple qui nous a alertés. Car le 1er février 2020, le coronavirus n’avait pas encore impacté notre vie quotidienne. Les commerces étaient encore ouverts, les cafés et restaurants bondés et les choses allaient bon train dans notre économie.
A l’avenir, nous nous retrouverons donc avec des mensualités plus importantes à rembourser
Sabina et David œuvraient en tant que secrétaire comptable au sein de leur société. Leurs revenus s’élevaient à 2.120 euros. Percevant des revenus supérieurs à 1.700 euros au 1er février 2020, le couple ne peut donc prétendre à l’annulation de ses intérêts durant la période de report. Il peut reporter son prêt hypothécaire mais devra s’acquitter plus tard des intérêts qu’il aurait dû verser durant toute cette période. Toutes ces modalités sont clairement indiquées dans les documents mis à disposition par Febelfin.
Aujourd’hui, nous sommes bien en-dessous des 1.700 euros
Mais ce n'est qu'après constitution de leur dossier auprès de leur banque, que Sabrina et David ont appris cette condition qui, selon eux, fait toute la différence. "On prend en compte nos revenus de février. Mais c’est ridicule. Avec notre chômage temporaire, nous perdons 800 et 400 euros sur notre salaire. Aujourd’hui, nous sommes bien en-dessous des 1.700 euros", déplore le couple. Avant de conclure: "A l’avenir, nous nous retrouverons donc avec des mensualités plus importantes à rembourser. Finalement, la banque tient compte de vos revenus habituels et non de vos revenus lorsque vous êtes au chômage. Pourtant, le but est bien d’aider les gens qui subissent une perte de revenus !".
Cibler les ménages les plus vulnérables
L’Etat a-t-il, comme l’assure Sabrina, négligé une partie de la population dans cet accord conclu avec les banques? "Nous voulions cibler les ménages les plus vulnérables”, nous indique le cabinet du ministre des Finances, Alexander De Croo. Avant d’ajouter: "Pour les ménages en difficultés, les banques étaient prêtes à fournir un effort supplémentaire. Ces ménages bénéficient non seulement d’un report de paiement de 6 mois maximum, mais aussi d’une baisse du taux d’intérêt dans leur contrat, pour que leurs mensualités restent constantes à l’issue du report de paiement".
Le seuil de 1.700 euros a été établi "en tenant compte des revenus que les ménages auront lorsqu’ils recommenceront à rembourser leur crédit au terme des 6 mois de report", nous atteste Lotte Van der Stockt, porte-parole. C’est pour cela qu’il a été convenu que ceux dont les revenus étaient égaux ou supérieurs à 1.700 euros s’acquittent des intérêts qu’ils auraient dû verser durant les 6 mois de report. "À ce moment en effet, ils ne seront plus au chômage temporaire, ils auront repris le travail", justifie la porte-parole.
Que répondre à des travailleurs comme David et Sabrina qui se sentent comme oubliés du système? "Tous les ménages qui remplissent les conditions de la charte de Febelfin ont droit au report du remboursement de leur crédit. C’est l’engagement qu’a pris le secteur financier. Et parmi ce groupe, on retrouve bien sûr les ménages vulnérables touchés par la crise du coronavirus. Toute personne qui a des questions peut toujours contacter le call center de la FSMA. Nous conseillons aussi à toutes les familles confrontées à des difficultés de paiement à la suite de la crise du coronavirus de contacter leur banquier", conclut Lotte Van der Stockt.
Et après? De nouvelles facilités de paiement envisagées?
L’accord entre l’Etat et le secteur financier a été établi pour une durée de 6 mois. Cela sous-entend qu’à l’issue de cette période, la situation financière d’un bon nombre de ménages devrait être revenue à la normale. En fonction de l’évolution de la crise, de nouvelles modalités de paiement sont-elles envisagées? "Il est encore trop tôt pour se prononcer à ce sujet", nous précise le cabinet du ministre. Avant d’ajouter: "Les ménages qui ont obtenu un report de paiement de 6 mois en avril ne recommenceront à rembourser leur emprunt qu’à partir d’octobre. D’ici là, espérons-le, bon nombre de personnes auront repris le travail et ne seront plus au chômage temporaire. Mais bien sûr, nous suivons la situation de près. L’application du report de remboursement fait l’objet d’un monitoring minutieux notamment par la BNB et la trésorerie".
De son côté, Test Achats tient à rappeler qu’en aucun cas un report n’est un "cadeau". "Les intérêts normalement dus pendant cette période vous seront réclamés par après. Pour certains consommateurs, les sommes dues par la suite pourraient dépasser les 2 000 €", précise l’association de consommateurs.
66.514 reports de paiement accordés
En date du 22 avril, les banques avaient déjà accordé un report de paiement de leur crédit hypothécaire à 66.514 particuliers. Cela représente 6,9 milliards d'euros, soit 104.000 euros par crédit, détaille la fédération du secteur financier. Febelfin assure que les banques traiteront le plus rapidement possible les demandes en la matière qu'elles recevront dans les semaines et mois à venir. Les particuliers et entrepreneurs sont invités à prendre contact rapidement avec leur banque s'ils sont confrontés à des problèmes de paiement.