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"Il faudrait dépister tous les pompiers mais j'ai peur du résultat": les services de secours armés face au coronavirus?

Habitués à affronter des situations critiques, les services de secours sont en première ligne face au coronavirus. Comme le personnel soignant, les pompiers-ambulanciers peuvent être en contact avec des personnes infectées par le Covid-19. Combien d’entre eux ont été touchés par le virus ? Leur matériel de protection est-il suffisant et adéquat ? Les pompiers devraient-ils être tous testés ? Nous avons mené l’enquête auprès des zones de secours en Wallonie et à Bruxelles.

"Chez les pompiers à Namur, il y a des cas de coronavirus dont un à Eghezée en réanimation", signale Roland (prénom d’emprunt car il veut garder l'anonymat) via notre bouton orange Alertez-nous. "Mais on en parle jamais beaucoup des pompiers", regrette-t-il.

Leurs missions sont en effet capitales. Depuis le début de l’épidémie de coronavirus en Belgique, les services de secours sont plus que jamais au service de la population. Les sirènes de leurs véhicules résonnent dans les rues beaucoup moins encombrées. Dans chaque zone de secours, une ou plusieurs ambulances sont dédiées au Covid-19. Pour les pompiers, le contact avec des personnes susceptibles d’être contaminées par le virus est donc inévitable. Ils sont en première ligne.

Une quarantaine de pompiers testés positifs au Covid-19

Face à cette réalité, une question surgit inévitablement: combien de pompiers sont touchés par le coronavirus ? Pour le savoir, nous avons contacté les différentes zones de secours de Wallonie et à Bruxelles. Seules deux restent injoignables. Parmi les quelque 6.500 sapeurs-pompiers et personnel administratif qui travaillent dans les casernes, on peut donc dire qu'au moins 46 personnes ont été testées positives au Covid-19.  

La zone de secours Hainaut-Centre est la plus touchée. "On a 16 personnes avérées Covid-19 et ayant participé aux interventions ambulances", indique le major Baudouin Vervaeke, commandant de la zone.

Nous avons un taux d’absentéisme de 2,3%. Il n’a jamais été aussi bas depuis la création de la zone de secours

"Il y a un pompier volontaire aux soins intensifs"

Certains de ces pompiers sont déjà de retour au travail, d’autres sont encore en quarantaine chez eux. L’état de santé d’un pompier de la caserne d’Eghezée, dans la province de Namur, semble par contre plus préoccupant. "Parmi le personnel, chez les professionnels, 3 ont été testés positifs au coronavirus. Chez les volontaires, il y  a un pompier de la caserne d’Eghezée qui est aux soins intensifs", indique il y a quelques jours Pierre Bocca, commandant de la zone de secours NAGE.

Dans de nombreuses zones, il y a également plusieurs pompiers ayant des symptômes qui sont confinés chez eux par leur médecin. Mais une suspicion de Covid-19 n’est pas forcément indiquée sur le certificat médical.

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Par ailleurs, il n’est pas toujours facile de savoir si la contamination du malade est liée à son travail. "Sur les 600 membres du personnel, il y a 5 cas Covid-19 testés et confirmés. Ces ambulanciers ont-ils contracté le virus à l’intérieur de la caserne, lors d’une intervention ou dans leur vie privée, en allant au supermarché par exemple ? C’est impossible de le dire. En tout cas, on pensait avoir plus de cas", confie le major Michel Méan de la zone de secours Hainaut-Est. 

Un taux d’absentéisme plus bas que la moyenne

Plusieurs commandants se disent positivement étonnés par le nombre de personnes infectées plutôt faible. "A Liège, on a eu 6 cas confirmés au début de l’épidémie vers la mi-mars, les uns après les autres lorsque les mesures essentielles de sécurité n’avaient pas encore été bien affinées. 6 cas sur 475 membres du personnel, c’est très raisonnable. Je m’attendais à un chiffre plus élevé", souligne le colonel Luc Scevenels, commandant des pompiers de Liège.

En général, le taux de maladie actuel dans les casernes est même plutôt bas. "Nous avons un taux d’absentéisme de 2,3%. Il n’a jamais été aussi bas depuis la création de la zone de secours", assure Stéphane Thiry, commandant de la zone de secours Luxembourg, où les 4 pompiers ayant contracté le virus ont déjà repris le travail. 

Par ailleurs, le nombre d’interventions semble aujourd’hui globalement moins élevé que d’habitude. La circulation est moins dense et les accidents plus rares.


Comment expliquer cette situation à première vue assez positive ? Pour protéger leur personnel, les différentes zones de secours assurent avoir pris directement des mesures de sécurité drastiques. Les employés administratifs travaillent à domicile. Dans les casernes, les règles recommandées de distanciation sociale et d’hygiène sont appliquées et renforcées. Lors de leurs interventions, les pompiers utilisent un matériel de protection fourni par leur direction. Sans oublier la décontamination des véhicules et de tout le matériel.

"L’une de nos priorités est de fournir le matériel nécessaire pour réaliser des prises en charge dans les meilleurs conditions pour diminuer le risque d’exposition au virus. Les masques chirurgicaux, les masques FPP2, des gants, des lunettes, des salopettes et autres artifices", énumère le commandant des pompiers de Liège.

"4 cas sur 1300 personnes, je n'y crois pas!"

Mais certains déplorent une réalité beaucoup plus sombre et remettent en cause le nombre de pompiers touchés par le coronavirus. C’est le cas d’Eric Labourdette, pompier bruxellois et président du Syndicat Libre de la Fonction Publique (SLFP).

"Les cas de Covid confirmés, ce n’est pas énorme. Quand on voit la quantité de pompiers qui travaillent…. Je ne peux pas croire que sur les 1100 pompiers et 200 administratifs  à Bruxelles, il n’y a que 4 cas. Cela me semble bizarre", confie le délégué syndical. "Si les pompiers ne sont pas malades alors que nous intervenons en première ligne, c’est que le coronavirus est un fake", ajoute-t-il.

Il insiste sur la distinction entre les cas confirmés à l’hôpital qui présentent de la fièvre et de la toux et les personnes réellement infectées. "Il y a plein de cas suspects Covid qui ne sont pas comptabilisés. Et si on n’a pas 38 de fièvre et de la toux, on doit travailler alors qu’on peut très bien être malade sans symptômes", souligne le pompier bruxellois.

"Ce n’est pas exact de dire qu’il n’y a que 6 cas chez nous, à Liège. 6 cas sur les 475 personnes en casernes, c’est illusoire. Cela ne correspond pas à la réalité", confirme Misikir Corhay, délégué CGSP.

Dépister tous les pompiers, une bonne idée ?

Eric Labourdette plaide pour la réalisation d’un test pour tous les pompiers opérationnels. "On doit pouvoir intervenir en étant certain de ne pas être contaminé puisqu’on peut être asymptomatique. Et si un pompier est contaminé par une personne lors d’une intervention, après il rentre chez lui où une famille l’attend", souligne le délégué syndical.

"Malgré les mesures de protection, si on organisait un test collectif, je suis certain qu’on explose la baraque, peut-être même pire que dans les hôpitaux. J'ai peur du résultat", avoue-t-il. "Mais on nous dit que nous ne sommes pas prioritaires pour les tests. Je comprends qu’il faut tester le personnel soignant et réaliser des tests dans les maisons de repos, mais nous aussi nous sommes prioritaires !"

Un avis qui ne semble pas faire l’unanimité. "Au niveau de la nécessité de dépister les sapeurs-pompiers, je ne pense pas que ce soit nécessaire actuellement. Les pompiers ne sont pas en contact permanent avec des personnes contaminées comme dans les hôpitaux. Et ce n’est de toute façon pas nous qui décidons cela, nous sommes tributaires des décisions prises au niveau fédéral", répond le colonel Luc Scevenels.

"De toute façon ce n’est qu’une photo prise à un moment donné. Je peux très bien être contaminé deux jours après le test en allant faire des courses", souligne Pierre Bocca, commandant de la zone de secours NAGE.

"Je ne pense pas que cela soit très utile. On ne va pas réaliser un test tous les matins. Par contre, les tests sérologiques seraient plus efficaces. On pourrait demander aux pompiers ayant déjà développé des anticorps de conduire en priorité les ambulances spéciales Covid-19", suggère Philippe Fillieul, commandant de la zone de secours Brabant wallon, très peu touchée par le coronavirus. 

La priorité, le matériel de protection

Pour le moment, leur priorité est de fournir le matériel de protection le plus adéquat possible. Ce qui n’est pas toujours évident car ce sont souvent des achats réalisés sur fonds propres et la pénurie est réelle.

"Au début, la situation était compliquée, mais on a fait des commandes avec nos propres filières. Et nous avons des masques en suffisance pour les deux prochains mois", se rassure Pierre Bocca.

"On avait déjà un stock de masques FPP2 pour des missions d’incendies avec amiante par exemple. On a pu le renouveler et on a aussi acheté des masques chirurgicaux. On vient d’en acheter 3000, ce qui fait 3000 euros à payer", indique Philippe Fillieul. 

"On se sent presque coupable de mettre un masque"

A Liège, le commandant des pompiers confie que des masques en tissu, pourtant moins efficaces, sont privilégiés dans les autopompes où la distanciation sociale d’1,5m ne peut pas être respectée. "En intervention, quand les pompiers doivent amener des victimes potentielles Covid, ils portent des masques chirurgicaux. Et quand ce sont des cas avérés, les masques FPP2. Il y a donc une gradation. On ne galvaude pas tous nos outils, sinon nos stocks vont diminuer à vue d’œil et vu qu’il existe une pénurie mondiale, on ne peut pas se le permettre", regrette-t-il.

D’après Misikir Corhay, délégué CGSP, cela crée un sentiment de culpabilité chez les pompiers-ambulanciers. "On doit vivre dans un climat anxiogène et, vu la pénurie, on se sent presque coupable de mettre un masque ou de demander un test qui pourrait servir à une infirmière. On se sent à moitié légitime alors que cela ne devrait pas être le cas. On ne devrait pas se sentir coupable de demander du matériel de protection", estime le pompier liégeois.

"Je suis vraiment fâché contre le fédéral qui ne nous donne rien"

Certaines zones de secours ont reçu du matériel des provinces ou d’entreprises. Mais quasiment rien des autorités fédérales. "Je viens de recevoir du gel hydroalcoolique et des masques de sociétés privées. Mais le gouvernement n’est pas capable de nous donner les moyens de protection. Aujourd’hui, je suis vraiment fâché. C'est la sixième fois que le fédéral me demande ce dont nous avons besoin et je ne reçois rien. Ce sont les zones de secours qui doivent fournir le matériel. C'est le monde à l'envers", lance avec révolte Marc Gilbert, commandant de la zone de secours Val de Sambre, en province de Namur.

"Les masques FFP2 ne sont obligatoires que s'il y a un acte médical à 50 cm du patient, comme une intubation. C'est scandaleux. C'est comme si lors d'un incendie, on vous disait, je vous donne de l'eau que quand ça brûle vraiment. Cela me hérisse, je vois des choses aberrantes", s’énerve-t-il. 

Selon Marc Gilbert, un sentiment de révolte anime les pompiers qui ne se sentent pas soutenus par le gouvernement fédéral. "Et ils ne sont pas les seuls. Des infirmiers et des kinés à domicile, qui doivent travailler sans protection à cause de la pénurie, sont venus chez moi en pleurs. J'avais un stock de masques que j'ai distribués. Ce sont comme des combattants sans fusil. Cela me dégoûte", confie le commandant. "Et ce ne sera pas fini avec le déconfinement. Je suis certain qu'il y aura une deuxième vague. C'est de l'inconscience pure."

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