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Les députés espagnols ont voté jeudi la création d'une commission d'experts chargée de mener la première enquête officielle dans le pays sur la pédocriminalité dans l’Église catholique, une institution longtemps accusée d'opacité sur ce sujet.
A la différence d'autres pays comme l'Allemagne, l'Australie, les États-unis, la France ou l'Irlande, aucune enquête d'ampleur n'a été menée jusqu'ici sur les violences sexuelles contre les mineurs au sein de l'Église espagnole.
Proposée par les socialistes au pouvoir et le parti basque PNV, cette initiative inédite a été approuvée par une très large majorité de 286 voix pour, 51 contre et deux abstentions dans une Chambre des députés qui compte 350 élus.
Les députés du parti d'extrême-droite Vox ont été les seuls à s'opposer au texte, une position "honteuse" selon l'ancienne numéro deux du gouvernement, la députée socialiste Carmen Calvo, très engagée sur le sujet. Le Parti populaire (droite conservatrice) a lui finalement voté pour.
Le texte prévoit que cette commission indépendante sera présidée par le Défenseur du Peuple (équivalent du Défenseur des Droits en France) et formée de représentants de l'administration, des victimes et du clergé.
Elle sera chargée "d'enquêter sur les actes personnels exécrables commis contre des enfants sans défense" et d'"identifier les personnes ayant commis ces abus, tout comme celles qui les ont couvertes ou protégées", avant de rédiger un rapport qui sera soumis au parlement pour son approbation.
Recevant juste avant le vote le cardinal Juan José Omella, président de la Conférence épiscopale espagnole (CEE), le ministre de la Présidence, Felix Bolaños, a assuré que l'Eglise s'était engagée à "collaborer" à cette enquête, ce qui est une "bonne chose pour les victimes, pour la société en général et pour l'Eglise catholique elle-même".
- "Un premier pas" -
La création de cette commission constitue "un premier pas pour tenter de réparer la douleur des victimes, qui n'avaient pas été entendues jusqu'à présent", s'est félicité pour sa part le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez.
"Pour mon fils, comme pour toutes les victimes, c'est un moment d'espoir" car cette commission va permettre "la reconnaissance" de ce qu'elles ont subi "et faire en sorte que cela ne se reproduise plus", a réagi de son côté Juan Cuatrecasas, président de l'association d'aide aux victimes "Enfance Volée" ("Infancia Robada").
Faute de données officielles, le quotidien El País avait lancé sa propre enquête en 2018, recensant 1.246 victimes depuis les années 1930. De son côté, l’Église a seulement reconnu 220 cas depuis 2001.
Dans ce pays à forte tradition catholique, l’Église a eu un rôle central dans l'enseignement sous la dictature de Francisco Franco (1936-1975), dont elle était un pilier.
Actuellement, plus de 1,5 million d'enfants étudient encore dans quelque 2.500 écoles catholiques, selon les chiffres de 2020 de la Conférence épiscopale espagnole (CEE).
- Audit de l'Eglise -
Allié des socialistes de M. Sanchez au sein du gouvernement de coalition, le parti de gauche radicale Podemos avait prôné initialement la création d'une commission d'enquête parlementaire, avec deux partis indépendantistes de gauche.
Mais cette formule a été bloquée par les socialistes, qui ont donc opté pour une commission d'experts, modèle également choisi par l'Australie, la France ou les Pays-Bas.
L'Église espagnole, dont l'attitude a souvent été critiquée, a fait de son côté un premier pas fin février avec le lancement d'un audit externe par un cabinet d'avocats, qui a affirmé vouloir aller "jusqu'au bout" pour faire toute la lumière sur ces violences sexuelles.
Le président de ce cabinet d'avocats, Javier Cremades, a assuré que sa mission, qui durera en principe un an, s'appuierait sur le travail déjà effectué par les diocèses en Espagne, mais s'inspirerait aussi de "l'expérience positive" de la France et de la "méthodologie allemande".
En France, au terme de deux ans et demi de travail, une commission indépendante a estimé à 330.000 le nombre de personnes ayant fait l'objet de violences sexuelles depuis 1950, quand elles étaient mineures, de la part de clercs, religieux ou personnes en lien avec l’Église.
En Allemagne, un rapport publié en janvier par un cabinet d'avocats a révélé qu'au moins 497 personnes, en majorité des jeunes garçons et adolescents, avaient été victimes d'agressions sexuelles dans l'archidiocèse de Munich-Freising entre 1945 et 2019.