Partager:
Mathis est l’un des agents municipaux qui a été appelé, le 8 janvier dernier, pour un accident à Montrouge. Il a croisé la route d’Amedy Coulibaly. 10 mois plus tard, il a été décoré.
"Coulibaly a retourné sa Kalachnikov sur nous. Le seul moyen de survivre, c'était de lui sauter dessus comme une sangsue": dix mois après les attentats de janvier, deux survivants de l'attaque de Montrouge, décorés jeudi à Nanterre, racontent. Jeudi 8 janvier, au lendemain de l'attaque contre Charlie Hebdo, ces deux agents de la mairie de Montrouge, chefs d'équipe propreté, sont appelés sur un banal accident de la circulation, "comme c'est le cas à chaque fois", relate Mathis, 41 ans, qui a réclamé ce prénom d'emprunt pour conserver l'anonymat.
Un homme fait un pas en arrière, sort un fusil et tire
Sur place, Clarissa Jean-Philippe, une policière municipale intervient également. A un moment, Mathis voit un homme qui fait un pas en arrière, sort un fusil d'assaut, puis tire: c'est Amédy Coulibaly. Son co-équipier, Eric Urban, 47 ans, se retourne, et "prend directement une balle". Clarissa Jean-Philippe est également touchée.
"Il ne faut pas que je tombe par terre"
"J'étais paralysé pendant une ou deux secondes. Mais on comprend que, si on réagit pas, on va mourir. Je me suis dit: il ne faut pas que je tombe par terre", se souvient Eric. Il est grièvement blessé: la balle a traversé son visage en entrant au-dessus de la lèvre supérieure, elle est ressortie sous l'oreille droite. "Nos regards, avec Mathis se sont croisés. J'ai réussi à me décaler. La douleur arrive, le sang coule. Et ça a été tellement vite que je n'ai pas vu tomber Clarissa", qui succombera à ses blessures, poursuit Eric.
Mathis a cru à une blague
Au premier coup de feu, Mathis croit l'arme factice. "Ca faisait des espèces d’étincelles au bout du canon, type feu d’artifice donc ça faisait vraiment factice. J’ai cru que c’était une blague, j’ai tapé doucement le canon et j’ai dit que ce n’était vraiment pas une blague à faire au lendemain de Charlie Hebdo. C’est là que j’ai vu la tête d'Eric déformée par la balle et Clarissa qui gémissait". "J'ai croisé un taré le 8 janvier. Coulibaly, c'est un taré", estime Mathis, selon qui l'agresseur était "shooté", désinhibé face à la violence.
Lui sauter dessus et ne pas le lâcher, comme une sangsue
Mathis comprend alors qu’il ne s’agit pas d’une blague. "Coulibaly retournait sa Kalachnikov sur nous. Le seul moyen de survivre, c'est de lui sauter dessus comme une sangsue. Ca a duré longtemps. J'ai arraché sa cagoule, j'ai tenté de le frapper. C’était sauvage. J’étais accroché à sa kalachnikov. La seule phrase qu'il a prononcée, c'est: ‘Tu veux jouer, tu vas crever’ "
"Quoiqu’il arrive, ne lâche pas!"
Alors qu'Eric, ensanglanté, a réussi à s'éloigner, Mathis se retrouve "à genoux", mais parvient à saisir d'une main le canon de l'arme du terroriste. "Je me suis dit: ‘Quoiqu'il arrive, ne lâche pas’". Amédy Coulibaly tente alors de mettre son autre main dans la poche, mais Mathis l'en empêche en lui attrapant le bout de la manche. Le tireur le frappe avec le canon du fusil, sort un pistolet 9mm avec lequel il tente de tirer.
Le pistolet fait clic
"Pour moi, j'étais mort. Le pistolet a fait un bruit. Je n'ai pas compris pourquoi j'étais vivant. J'ai appris plus tard que son Tokarev s'était enrayé. Il a rangé son gun, sa Kalach, m'a tourné le dos et est reparti en footing", se rappelle Mathis. Le lendemain Coulibaly prenait en otages les clients d'un supermarché casher et tuait quatre personnes de confession juive avant d'être abattu par la police.
Décorés mais...
Jeudi, les deux rescapés de Montrouge, ainsi qu'un troisième de leur camarade, policier municipal, ont reçu des mains du préfet des Hauts-de-Seine la médaille de la sécurité intérieure et la médaille d'acte de courage et de dévouement. Dix mois après les faits, Eric Urban et Mathis, vont "bien" mais demeurent amers envers la mairie de Montrouge, dont ils estiment avoir été "zappés".
...un peu tard
"Aucun soutien, rien, même pas une poignée de main. J'ai vécu le néant pendant 10 mois", déplore Mathis, alors qu'Eric Urban, qui doit encore subir des soins consécutifs à ses blessures, a "l'impression d'être tombé dans une oubliette".