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Appartements "capsules", locataires chassés par la hausse des prix... les loyers flambent dans l'Espagne post-crise, faisant craindre une nouvelle "bulle" dans un pays déjà traumatisé par l'effondrement de son secteur immobilier.
Charlie est essoufflé. Après l'université, ce doctorant à Madrid, qui ne veut pas donner son nom de famille, a couru pour visiter un appartement après avoir appris la veille que sa propriétaire voulait augmenter le loyer de sa chambre de 340 à 450 euros en novembre à l'échéance de son bail.
Comme lui, de plus en plus d'Espagnols sont contraints de déménager, en particulier à Madrid et Barcelone, leur loyer étant devenu inabordable.
"Des gens qui ont vécu toute leur vie dans un quartier doivent partir dans des quartiers de plus en plus périphériques adaptés à leur budget", dénonce Marta Montero, porte-parole d'une association pour le droit au logement de Madrid.
Au deuxième trimestre, les loyers ont progressé de 15,6% sur un an en Espagne selon le portail immobilier Idealista. Et depuis 2010, la progression a été de 35% à Barcelone et de 30% à Madrid.
"A chaque fois que j'ai quitté un appartement, son prix a ensuite augmenté de 50 à 100 euros sur Idealista", raconte Angel Serrano, consultant en technologie qui a déménagé six fois en sept ans à Madrid.
- Sur la table du gouvernement -
Le problème mobilise jusqu'au sommet de l'Etat: le nouveau chef du gouvernement, le socialiste Pedro Sanchez, a promis une loi sur le logement aux contours encore flous mais dont quelques axes ont déjà été égrénés comme l'augmentation de 3 à 5 ans de la durée minimum des contrats de location.
Ce bond des loyers intervient alors que l'Espagne porte encore les stigmates de la crise économique de 2008, aggravée dans le pays par l'éclatement d'une bulle immobilière qui a entraîné l'expulsion de milliers de familles endettées après l'achat de leur logement à crédit.
Conséquence de ces expulsions massives, "le gros de la population s'est réfugié dans la location par nécessité", estime Beatriz Toribio, directrice des études du portail immobilier Fotocasa.
Symbole extrême du mal-logement, une entreprise a fait scandale en septembre à Barcelone en offrant des appartements "capsules", dortoirs d'environ 3 mètres carrés dans une maison aux espaces communs partagés, pour 200 euros par mois.
Selon Eurostat, 43% des Espagnols locataires du parc privé consacraient en 2016 plus de 40% de leur revenu au paiement de leur loyer, contre 28% dans l'UE.
C'est le cas de Ruth Mélida. En avril, elle a appris que le loyer mensuel de l'appartement, où elle vit avec son mari et ses deux enfants, allait passer de 605 à 999 euros. Depuis qu'elle s'est installée en 2014, dans ce qui était à l'époque un logement social, un fonds d'investissement l'a racheté et des dizaines d'habitants ont dû partir.
"Qu'est-ce qu'on fait, nous qui n'avons pas les moyens? On part vivre dans les bois?", s'indigne cette femme de 41 ans qui touche un salaire mensuel de 769 euros.
- Reprise économique -
"Nous vivons une bulle des loyers", dénonce Marta Montero pour qui les premiers responsables sont les fonds d'investissement qui ont acquis auprès des banques des milliards d'euros d'actifs immobiliers saisis aux familles insolvables.
Mais pour Fernando Encinar, cofondateur et directeur des études d'Idealista, parler de "bulle" est incorrect car la hausse actuelle des loyers n'est pas due à la spéculation mais est la conséquence de la reprise économique enregistrée depuis 2014, l'Espagne tablant encore cette année sur une croissance de 2,7% après trois années à au moins 3%.
Selon lui, les prix de la location "n'étaient pas réels" il y a quelques années et correspondaient à "une situation de crise". A partir de 2010, des milliers de propriétaires ont choisi de louer plutôt que de revendre faute d'acheteurs et se sont résignés à des "prix bas", dans un pays où posséder sa maison était jusqu'alors la norme.
Face à la hausse actuelle, la mairie de Madrid, de gauche, met en avant sa lutte face aux locations saisonnières, de type Airbnb, accusées d'entraîner une hausse des loyers. Celle de Barcelone tente d'inciter les propriétaires de logements vides à louer.
La gauche radicale de Podemos a pour sa part déposé une proposition de loi prévoyant entre autres la régulation des loyers et l'interdiction des expulsions de locataires ne pouvant être relogés.
Mais pour les spécialistes du secteur, le contrôle n'est pas la solution. Beatriz Toribio suggère plutôt des "incitations" protégeant les propriétaires contre les impayés, et surtout la construction de logements sociaux dans un pays qui n'en dispose que de 2,5%, selon la fondation Housing Europe. Le gouvernement dit vouloir en bâtir 20.000 d'ici quatre à six ans.