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Le président du Parti socialiste et bourgmestre de Charleroi a récemment publié un livre intitulé "La vie large". Dans son ouvrage, Paul Magnette détaille ce qu'il appelle l'"éco-socialisme". Le président du PS a répondu aux questions de Christophe Deborsu.
Christophe Deborsu: Il y a quand même une chose qui m'a surpris. C'est la vigueur de vos attaques contre l'écologie politique, et donc quand même, in fine, contre Ecolo. À la page 256, vous dites: "L'écologie politique s'est inscrite dans la perspective de la sobriété et de la décroissance, et a souvent plaidé pour une maîtrise volontaire de la démographie". Pour vous, cette approche ne marche pas, et vous répliquez par la phrase de Jean Jaurès (NDLR: célèbre député socialiste français assassiné peu avant la Première Guerre mondiale): "Nous ne sommes pas des ascètes*, il nous faut la vie large". Ma question, est-ce qu'il est possible d'arriver à un monde écologiquement plus sain sans faire d'effort.
*Ascète: personne qui mène une vie austère.
Paul Magnette: Moi je ne veux pas faire le procès des uns ou des autres. Ce qui m'intéresse, c'est que je crois que tout le monde doit se dire: "aujourd'hui on n'a pas été à la hauteur". On voit que les émissions de gaz à effet de serre continuent à exploser. On voit les inondations en Wallonie, les drames absolus que ça produit. La sécheresse cet été. Les incendies de forêt. Des catastrophes incroyables en Somalie, au Pakistan, etc. Donc il y a urgence. Cette urgence, on doit la saisir. On sait, et c'est ce que j'essaie de montrer aussi dans le livre, que malheureusement la part de la population qui est la moins riche est infiniment moins responsable que les autres. Les 1% les plus riches, à eux tout seuls, produisent plus de gaz à effet de serre que la moitié la moins riche de la population. Il y a là une profonde injustice. En plus, cette moitié-là moins riche de la population, qui en Belgique émet à peu près 6 tonnes de CO2 par an, donc beaucoup moins que la moyenne, moins même que l'objectif qu'on devrait atteindre d'ici 2030. Cette couche de la population, c'est celle qui est le plus exposée.
Christophe Deborsu: Mais ça, Ecolo sont d'accord avec vous. Pourquoi vous attaquez Ecolo comme ça?
Paul Magnette: Non, je n'attaque pas Ecolo.
Christophe Deborsu: Vous épinglez quand même l'écologie politique largement.
Paul Magnette: Ce que je propose, c'est que chacun balaie devant sa porte. Nous les socialistes, c'est vrai qu'historiquement on a été très attaché à la production à tout prix. A la production matérielle. On doit se dire aujourd'hui qu'il y a des limites matérielles. Les écologistes, et ça c'est une critique amicale que je fais, je crois qu'ils ont trop voulu dire que l'écologie, ça va être se restreindre, se serrer la ceinture, se priver, etc.
Christophe Deborsu: Ce n'est pas nécessaire?
Paul Magnette: Non, pour une immense majorité de la population, une société neutre en carbone sera une société meilleure qu'aujourd'hui. Il y a beaucoup de gens aujourd'hui qui n'ont pas accès à des fruits et légumes de qualité, qui n'ont pas un logement bien isolé, qui ne peuvent pas changer de voiture, qui ont un mal fou à payer leurs factures d'énergie. Si on aide l'ensemble de la population à avancer vers une société neutre en carbone.
Christophe Deborsu: Il ne faut pas demander d'effort, il faut aider?
Paul Magnette: Il faut les deux. Mais les plus riches vont devoir faire des efforts. C'est clair que monsieur Arnault (NDLR: milliardaire français, président de LVMH) qui prend son jet privé tous les deux jours, qui à lui tout seul émet plus que 300 ou 500 personnes, celui-là il va devoir faire des efforts. Les gens qui sont aujourd'hui en difficulté, ou même la classe moyenne, on doit les aider, les accompagner. Et la vie sera donc une vie plus douce, plus large et plus agréable.
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Paul Magnette: La question de la transition, c'est une question sociale. C'est ça qu'il faut bien comprendre aujourd'hui. Il y a des riches qui polluent à toute berzingue. Il y a des multinationales qui émettent à elles seules une part immense des gaz à effet de serre. Et à côté de ça, il y a des gens qui ont des difficultés incroyables à isoler leur bâtiment, à changer de chaudière, à changer de voiture. Si on en fait une question sociale et on dit au plus riche: on vous faire payer un peu plus parce que c'est vous qui polluez, c'est vous qui êtes responsables. Et cet argent, on va le redistribuer pour que ceux qui n'ont pas les moyens, demain puissent avoir un logement mieux isolé, puissent avoir accès à une alimentation de qualité, puissent avoir des transports en commun gratuits. Alors on fait d'une pierre deux coups. On assure la justice sociale, et en même temps on assure une transition climatique.
Christophe Deborsu: Tout de même, ce qui me frappe, vous le dites ici. On va faire en sorte de prendre l'argent aux plus riches pour distribuer aux plus pauvres. C'est un thème que vous avez déjà souvent utilisé. On ne demande pas vraiment d'effort à l'ensemble de la population. Vous répétez qu'il ne faut pas culpabiliser les gens, il faut faire envie plutôt que faire peur. L'éco-socialisme, ce nbe sont pas des restrictions mais une façon de vivre mieux… Est-ce que, quelque part, c'est un peu l'idée de dire qu'on ne doit pas faire d'effort. Est-ce que ce n'est pas ça qui cause le mal wallon? Que les moins nantis ne doivent pas faire d'effort?
Paul Magnette: Je ne dis pas qu'on ne doit pas faire d'effort. Les moins nantis, on doit améliorer leur situation, ça c'est sûr. Et je ne dis pas qu'on ne doit pas faire d'effort. Je dis simplement qu'on ne doit pas toujours demander aux individus, aux personnes, aux familles, de faire tous les efforts. C'est la société dans son ensemble qui doit faire des efforts. Si on investit massivement dans l'isolation des bâtiments, dans les transports en commun, dans des cantines scolaires gratuites, dans un tourisme local de qualité qui fait qu'on n'aura plus en vie d'aller au bout du monde… Ce sont des choix collectifs qu'on doit prendre, qui font que la vie sera meilleure, que la société sera plus juste, et qu'en même temps on atteindre la neutralité carbone. C'est une manière de faire de la transition climatique. Il y en a d'autres, qui est de restreindre tout le monde, de vouloir punir. Mais je ne crois pas que ce soit celle-là qui va fonctionner.
Pas assez de mesures concrètes?
Également invité dans l'émission, Ivan De Vadder a interpellé le président du PS. Le journaliste politique de la VRT, lui-même auteur, estime que l'ouvrage de Paul Magnette manque d'idées concrètes.
Ivan De Vadder: Par exemple, vous dites que c'est une question sociale surtout. Le tarif kilométrique, alors, c'est une question d'éco-socialisme ou pas? Il sera installé par le gouvernement bruxellois, mais comptera aussi pour les navetteurs wallons et flamands, qui devront payer parce qu'ils n'auront pas les remboursements d'impôts que les Bruxellois auront. Donc, la question, le tarif kilométrique pour les wallons, c'est de l'éco-socialisme ou pas?
Paul Magnette: Non, je pense ce n'est pas des bonnes mesures, donc ce ne sera pas appliqué. C'est pas des bonnes mesures parce que c'est restrictif et que ça ne tient pas compte des différences sociales. Si vous dites: on augmente le prix du kilomètre de la même manière pour tout le monde, pour les plus riches il n'y a pas de différence, ils pourront le payer. Eux ils pourront continuer à circuler avec leurs grosses voitures et ça ne fera aucune différence. Mais vous avez beaucoup de gens qui n'ont pas d'autre solution que de devoir utiliser leur voiture pour aller travailler. Qui ne savent pas, du jour au lendemain, acheter une Tesla ou une voiture électrique. Donc vous allez pénaliser des gens qui sont en difficulté. Ça ce n'est pas la bonne manière de faire de la transition climatique.
Ivan De Vadder: C'est aussi la preuve d'installer l'éco-socialisme dans une petite région comme la Wallonie. On devra le faire plus largement. Par exemple le tarif kilométrique sur tout le pays. Donc avec une coopération avec beaucoup en Europe.
Paul Magnette: Bien sûr, je ne pense pas que la Wallonie peut s'en sortir toute seule. Là-dessus je vous rejoins. Il y a beaucoup de choses qu'on devra faire à l'échelle belge. Renforcer d'ailleurs l'échelon belge. Et évidemment, l'Europe a une responsabilité majeure. C'est l'Europe qui doit être le premier levier pour faire en sorte que cette transition climatique soit sociale et soit juste.