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Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador a pris congé dimanche de ses admirateurs en défendant une réforme de la justice que sa successeure Claudia Sheinbaum compte mener à bien pour la plus grande inquiétude des milieux d'affaires et des Etats-Unis.
"Je vais prendre ma retraite la conscience tranquille, et très heureux", a lancé "AMLO" -ses initiales, son surnom- en défendant sa politique devant des dizaines de milliers de partisans sur Zocalo, dans le centre historique de Mexico.
A un mois de la passation de pouvoir le 1er octobre, le chef de l'Etat s'est félicité d'avoir réduit la pauvreté et les inégalités, et créé le "système de santé publique le plus efficace au monde" : "Ce n'est pas comme au Danemark, c'est mieux qu'au Danemark".
Il termine son mandat de six ans -la Constitution n'en autorise qu'un- avec 73% des Mexicains qui approuvent sa politique, selon une enquête du quotidien El Universal.
"Je viens parce que c'est le départ d'un des présidents les plus historiques du pays", a déclaré à l'AFP José Luis Díaz, un entrepreneur de 39 ans. "Je me sens triste. On ne reverra pas un tel président en cent ans".
AMLO a défendu son projet de réforme constitutionnelle du pouvoir judiciaire, qui prévoit l'élection des magistrats et des juges par un "vote populaire".
Face aux critiques de la magistrature et des Etats-Unis, et aux inquiétudes des marchés, il a pris le peuple à témoin : "Que ceux qui considèrent qu'il vaut mieux qu'ils (ndr: les juges et les magistrats) soient élus par le peuple, lèvent la main". Quasiment toutes les mains se sont levées.
Parallèlement, des milliers d'étudiants de droite ont marché dans Mexico pour protester contre la réforme et proclamer que "la justice ne se décrète pas" ou appeler le Mexique à se réveiller.
Actuellement, les onze "ministres" de la Cour suprême sont nommés par le président sur ratification du Sénat. Les juges et les magistrats sont désignés par un organe administratif, le Conseil de la judicature fédéral (CJF).
Dans un pays qui enregistre quelque 30.000 homicides par an, la justice souffre d'une quasi-totale inefficacité qui produit de l'impunité, d'après l'ONG Impunité Zéro: "pour 100 délits, seuls 6,4 font l'objet d'une plainte, dont 14% sont éclaircis. Cela veut dire que la probabilité d'élucider un délit commis dans notre pays est de 0,9%".
- "Risque pour la démocratie" -
Ex-maire de Mexico, Claudia Sheinbaum a été largement élue le 2 juin sous l'étiquette de la gauche au pouvoir avec près de 60% des voix en promettant de poursuivre la politique d'AMLO. La réforme du pouvoir judiciaire doit être approuvée au début de la prochaine législature qui a commencé également dimanche.
Aucun suspense : après les élections, le parti de gauche au pouvoir Morena et ses alliés disposent de la majorité des deux tiers des députés nécessaire pour changer la Constitution, et s'en approche d'un siège au Sénat, a calculé la presse locale.
"Risque" pour la démocratie au Mexique, "menace" pour l'accord de libre-échange qui lie le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, opportunités pour les narcotrafiquants : le très politique ambassadeur de Washington à Mexico, Ken Salazar, a tenu contre le projet ses propos les plus fermes en trois ans au Mexique.
La réforme "menacera la relation commerciale historique que nous avons bâtie, qui repose sur la confiance des investisseurs dans le cadre légal du Mexique", a souligné l'homme de confiance du président américain Joe Biden, ancien membre du Sénat américain et de l'administration Obama.
En 2023, le Mexique est devenu le premier partenaire commercial des Etats-Unis, devant la Chine.
Dénonçant "l'ingérence" de l'ambassadeur dans les affaires internes du Mexique, "AMLO" a décrété une "pause" dans sa "bonne" relation avec M. Salazar, mais pas avec l'administration américaine.
- Crainte des milieux d'affaires -
La réforme inquiète les milieux d'affaires, au moment où l'économie mexicaine s'essouffle (croissance révisée à la baisse pour 2024 de 2,4 à 1,5%, recul de la Bourse de 2,8% en août, affaiblissement du peso face au dollar).
Sur le marché des changes, la monnaie mexicaine se rapproche du seuil symbolique d'un dollar pour 20 pesos après avoir évolué pendant plusieurs mois entre 16,5 et 18. Une conséquence du projet de réforme selon la banque Invex. La banque d'investissement Morgan Stanley a recommandé à ses clients de diminuer leur exposition dans les entreprises mexicaines cotées en Bourse.
Dans son discours, le président Lopez Obrador a préféré mettre l'accent sur les bons résultats de l'économie mexicaine et l'attractivité du pays.