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On parle souvent de pénurie des métiers dans les services de santé en Belgique, mais pourquoi? Gwendoline en connaît les raisons. Cette infirmière indépendante tire la sonnette d’alarme et nous raconte son histoire via le bouton orange Alertez-nous.
Gwendoline, 37 ans, est infirmière. Veuve depuis 2015, elle a dû aménager son emploi du temps pour pouvoir élever son fils toute seule. "Je ne pouvais plus me permettre de garder mes horaires en hôpital", nous explique-t-elle. Ceux-ci ne s’accordant pas avec le planning de son jeune garçon, Gwendoline décide de devenir infirmière indépendante à domicile.
Après quelques années, elle lance son entreprise de soins médicaux en 2018. Située à Nalinnes, en Wallonie, la société couvre un secteur de 15 minutes à la ronde. Aujourd’hui, la trentenaire emploie sept personnes. Chacune d’entre elles réalise une tournée quotidienne, comprenant 10 à 15 patients.
2,5 euros en poche
Si ce changement de poste lui a permis d’adapter ses horaires à ceux de son fils, la mère de famille peine cependant à subvenir aux besoins du foyer."Pour faire une injection intramusculaire ou sous-cutanée, on est payé moins de 6 euros bruts, déplacement compris. Quand on enlève le coût du matériel (car c’est nous qui le payons), il nous reste environ 2,5 euros dans notre poche. C’est inadmissible", estime la mère de famille.
"Pour laver quelqu’un, ce qui nous prend environ 30 minutes, on est payé 10 euros bruts. Certains de mes collègues refusent des soins parce qu’ils ne sont pas rentables du tout", déplore-t-elle.
Ces tarifs, imposés à l’acte (et pas à l’heure), sont fixés par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami). "Ce sont les mutuelles qui nous payent. Tout le monde se plaint qu’il y a un effondrement et qu’il n’y a pas assez d’infirmiers, mais c’est normal, les gens en ont marre de travailler et de ne rien gagner", affirme Gwendoline.
Pour accroître ses revenus, la femme d’affaires propose également des pédicures médicales. En travaillant environ 50 heures par semaine, elle peut se permettre de se verser un salaire de 2.300 euros nets par mois. Un gagne-pain jugé insuffisant depuis l’épidémie de Covid-19 et l’inflation qui a suivi.
"Depuis le Covid, il y a moins de respect et moins de compréhension. On nous prend pour des chiens. En plus, avec le coût de la vie, ce n’est plus tenable", dit-elle. "On augmente les salaires partout, mais les mutuelles n’augmentent pas les tarifs pour les infirmières indépendantes. À un moment donné, on ne va plus s’en sortir".
Gwendoline tient le coup, mais ce n’est pas le cas de toutes ses amies. "Depuis l’année dernière, sept de mes collègues ont quitté le métier, se sont reconverties et sont parties vivre à l’étranger", déplore-t-elle. La mère de famille pense, elle aussi, à déménager si sa situation salariale n’évolue pas. "En Belgique, tout ce qui touche aux soins, à la médecine et au milieu hospitalier s’effondre. J’essaye de tenir le plus longtemps possible, mais si j’ai une opportunité dans les 10 ans à venir, je partirai m’installer où je serai moins taxée", avoue-t-elle.
La Belgique, deuxième pays le plus taxé d’Europe
Quel est le taux actuel de taxation dans le pays? Selon les données récoltées en 2022 par Eurostat, la Belgique serait le deuxième pays le plus taxé d’Europe. En effet, elle prélève le second plus haut taux d’impôts et de cotisations sociales par rapport au produit intérieur brut (PIB).
Alors que la moyenne européenne du taux de prélèvement obligatoire est de 39,5%, la Belgique, elle, monte à 46,9%. Elle se situe juste derrière la France, qui prend la première place (avec 47%).
La taxation des personnes physiques (dont les dirigeants d’entreprise comme Gwendoline font partie) s’établit, en Belgique, selon quatre tranches de revenus:
- De 0,1 à 15.200 euros : 25%
- De 15.200 à 26.830 : 40%
- De 26.830 à 46.440 : 45%
- Au-delà de 46.440 : 50%
Notre alerteuse se confie:"Depuis le mois de janvier, les lois sociales et l’UCM (Union des classes moyennes, NDLR) n’arrêtent pas d’augmenter leurs tarifs. En six mois, ils ont augmenté de 12%, c’est énorme! On nous demande des milliers d’euros par trimestre, mais évidemment, le salaire ne suit pas. Il n’y a presque pas de bénéfices dans ma société à cause de ça. Je n’en peux plus et mes collègues non plus. On est tous au bout du rouleau".
Selon Statbel, plus de 10.000 entreprises ont fait faillite en Belgique en 2023. Ce chiffre équivaut à 11% de plus qu’en 2022, et correspond au troisième résultat le plus élevé de ces dix dernières années. "C’est une catastrophe, même les grosses entreprises ne tiennent plus", s’attriste Gwendoline.
Bientôt plus d’infirmiers?
L’emploi d’infirmier est un métier de première ligne. Pourtant, la pénurie de personnel médical se ressent dans toute l’Europe. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) parle même d’une "bombe à retardement".
Selon une étude de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH), un membre du personnel de santé sur quatre envisage de quitter la profession. À cela, s’ajoute un faible taux de remplacement d’une population vieillissante de personnel soignant, et des jeunes de moins en moins motivés.
"Plus aucun étudiant ne veut faire infirmier quand il voit les horaires et le salaire pour la charge de travail et la responsabilité que ça demande. Même eux sont dégoûtés. On en accueille en stage et j’en récupère certains en pleurs. Ils ne supportent plus la pression qu’on leur met. Ils sont dénigrés et considérés comme des chiens. Comment voulez-vous les motiver d’un point de vue humain ou financier quand c’est comme ça?", questionne Gwendoline.
Notre alerteuse tire la sonnette d’alarme:"Il y a de plus en plus de patients, mais de moins en moins de personnel et de temps". Selon elle, "tout le système s’écroule". Résignée, elle conclut:"On s’étonne qu’il y ait de plus en plus de chômeurs, mais l’État n’aide pas les gens qui travaillent".
Réponse de l’Inami
Contacté par nos soins, l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami) affirme avoir revalorisé de 6,05% les honoraires des soins infirmiers à domicile depuis le 1er janvier 2024. Cette augmentation a été réalisée conformément à l’évolution de l’indice santé, et correspond à 125 millions d’euros.
Un montant réinvesti de 7,9 millions d’euros a également été mis à disposition du secteur pour les soins infirmiers à domicile. Celui-ci avait pour but de revaloriser les honoraires pour les soins se déroulant le week-end ou les jours fériés, dans les centres pour personnes handicapées.
À cela, s’ajoutait une somme de 10 millions d’euros par an, qui avait été attribuée à ce secteur pour faire face à l’augmentation du coût de la pratique.
Pour finir, l’Inami déclare que la Commission de conventions entre infirmiers et mutualités élabore actuellement un projet pilote concernant la révision du financement du secteur. Celui-ci vise à étudier les pistes possibles pour un nouvel investissement des soins à domicile, et devrait débuter dans le courant de l'année 2025.
Un espoir pour Gwendoline, qui juge que "rien ne change dans le système", et que "c’est même de pire en pire".