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Ultra populaire auprès des plus jeunes consommateurs, Shein a connu un succès fulgurant en seulement 10 ans. Depuis sa création en 2012, la marque chinoise est devenue l'une des plus populaires de la planète et devient même un candidat sérieux au trône de leader du marché devant les mastodontes H&M et Inditex (le groupe qui détient ZARA).
En France, Shein est carrément le premier "lieu" d'habillement des 15-24 ans, son public cible. En 2020, le site de la marque fut celui le plus consulté au monde et son application fut la plus téléchargée en 2021 aux États-Unis, dans la catégorie shopping, devant Amazon.
Il faut reconnaître que Shein sait y faire pour séduire ses clients. Des prix cassés (comptez 7 euros en moyenne pour un vêtement, le moins cher que nous ayons trouvé ne coute que 2 euros) et une rapidité d'expédition qui ridiculisent la concurrence. À titre de comparaison, Inditex avait jusqu'ici un cycle de production (temps nécessaire pour la fabrication et l'expédition d'un vêtement) de trois à quatre semaines. Shein a réussi l'exploit de réduire ce délai à une semaine, de la conception à l'emballage. Un tour de force que les plus grands n'avaient imaginé que dans leurs rêves les plus fous.
Des vêtements peu cher, mais à quel prix ?
En plus de proposer des prix extrêmement bas, Shein les casse encore avec d'énormes réductions qui sont... quotidiennes. C'est d'ailleurs la première chose que l'on voit en se rendant sur son site.
Pour arriver à une telle efficacité, la marque a une astuce : la sous-traitance. En envoyant ses besoins à ces centaines de petits ateliers, les pièces sont produites en quantité parfaitement contrôlée. "Notre système avancé de planification et d’ordonnancement nous permet de fabriquer de petits lots de 100 pièces par style", nous explique la marque. "Les fournisseurs Shein peuvent voir la demande d’approvisionnement pour chaque style grâce à notre plateforme de fournisseurs sur mesure, ce qui leur permet d’avoir un aperçu en temps réel des ventes et des stocks. Cela les aide à adopter les meilleures pratiques modernes de planification et de production, maximisant ainsi l’efficacité et réduisant le gaspillage", avance encore la marque en répondant à nos questions.
Et dans le même temps, les conditions dans lesquelles ses vêtements sont réalisés ne relèvent pas du client, Shein en l'occurrence.
Car c'est bien de cela dont il s'agit. Des ouvriers qui travaillent onze à douze heures par jour avec un seul jour de congé par mois et un salaire mensuel d'environ 1 000 euros. C'est ce que condamne l'ONG suisse Public Eye qui a réalisé une enquête approfondie sur la question.
Pour y parvenir, l'ONG a fait appel à des enquêtrices locales. Ces dernières ont visité 17 des plus de 1 000 "usines" qui produisent la marchandise et les décrivent comme tel : "de nombreux ateliers informels sans issues de secours et aux fenêtres condamnées, des conditions de sécurité aux conséquences fatales en cas d’incendie. Les ouvriers et ouvrières, qui proviennent des provinces les plus pauvres du pays, travaillent onze à douze heures par jour, avec un seul jour de congé par mois – soit plus de 75 heures par semaine."
"De tels horaires sont non seulement contraires au code de conduite de Shein, mais aussi à la législation chinoise. En travaillant ainsi pour deux – sans contrat, sans rémunération des heures supplémentaires ou pour un salaire à la pièce – les employé∙e∙s peuvent gagner jusqu’à 10 000 yuans (1300 euros, ndlr) dans les bons mois", ajoute encore Public Eye dans son rapport.
Nos confrères du journal Le Monde, parlent d'une "multitude de petits ateliers" dans la ville de Canton. Quant aux profils des travailleurs, ce seraient principalement des migrants entre 18 et 20 ans. Si Le Monde rapporte des chiffres similaires à ceux de Public Eye concernant les journées de travail des ouvriers, ces derniers ne seraient pas si mécontents de leur sort, car ces conditions sont similaires à ce que proposent les autres marques. L'entreprise chinoise n'est ainsi pas la seule à profiter de ce système d'exploitation.
Et si la cadence est si soutenue chez les sous-traitants, l'herbe n'est pas plus verte chez Shein elle-même. Dans l'immense centre logistique de Guangzhou, les 10 000 personnes qui y travaillent sont logées à la même enseigne. "Le site fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Pour tenir ce rythme, les travailleurs et travailleuses doivent généralement trimer 12 heures par jour, 24 à 28 jours par mois", dénonce encore le rapport de Public Eye. Tout ça pour que nos colis arrivent le plus vite possible.
L'ère de l'impunité totale est révolue
Toute cette situation est bien ancrée dans le mode de fonctionnement des marques de vêtements, pas seulement Shein. Mais ça pourrait changer très rapidement.
Ce jeudi 1er juin, le Parlement européen a voté (366 voix contre 225) pour un durcissement de la directive européenne sur le "devoir de vigilance" des entreprises. Le député européen Raphaël Glucksmann en avait fait son cheval de bataille. Sur Instagram, il parle d'une "victoire historique".
"Nous avons adopté aujourd’hui la législation européenne sur le devoir de vigilance des entreprises qui rend les multinationales responsables des destructions de l’environnement et des violations des droits humains commises sur leur chaîne de valeur", savoure le Français.
"L’ère de l’impunité totale est révolue", ajoute-t-il.
Concrètement, s'il s'avère que les marques ne respectent pas les règles, elles s'exposent à des sanctions telles que des amendes jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires, au "name and shame" (pratique de dénigrement d'une personne ou d'une entreprise qui a fait quelque chose de mal), réparations aux victimes…
Reste à voir ce que cette mesure va réellement changer dans le futur à moyen et long terme.
Une mission : "rendre la beauté et la mode accessible"
Comme dit plus haut, le public principal de Shein est la tranche de 15-24 ans, mais l'entreprise l'affirme : "Notre mission est de rendre la beauté de la mode accessible à tous, avec une large gamme de produits de mode, de beauté et de style de vie pour les consommateurs de tout âge."
Alors, pour séduire les plus jeunes, un allié de poids entre en scène : les réseaux sociaux et principalement TikTok. Le réseau social chinois est très utilisé par les jeunes générations et Shein l'a bien compris. Au travers de partenariats avec des influenceurs, les vêtements Shein sont partout. Le #Shein cumule 60 milliards de vues (!) sur l'application chinoise et a été utilisé sur 8,4 millions de publications sur Instagram.
La force de la marque est d'avoir réussi à se rendre tendance auprès des jeunes en lançant des trends, des vidéos reprises et imitées par des milliers d'internautes. Dans ce cas-ci, le schéma est souvent le même : on y voit des personnes, principalement des jeunes femmes, ouvrir leurs colis Shein en direct devant la caméra puis se montrent avec leurs nouvelles tenues. Le succès est énorme. Ces vidéos sont vues parfois des millions de fois.
"Nos clients sont nos plus grands fans. En partageant leur expérience Shein avec des amis, nous avons pu développer le réseau de consommateurs Shein de manière organique", se félicite la marque.
"Nous pensons connaître les besoins de nos clients et être en mesure de leur offrir une sélection inégalée de produits pour toutes les occasions, avec une excellente expérience de magasinage en ligne", ajoute Shein.
Et cette "sélection inégalée de produits" est purement imbattable pour la concurrence. Chaque jour, ce sont 6 000 à 10 000 nouveaux produits qui sont proposés sur la plateforme en ligne, rapportent nos confrères du Monde.
Un véritable rouleau compresseur près à tout balayer sur son passage et tant pis pour les dommages collatéraux.
Le petit plus : l'industrie textile, une des plus polluantes
Si se vêtir est un besoin primaire, il a un coût bien plus élevé que sa valeur marchande. Dans l'air et dans les océans, nos vêtements laissent une trace non-négligeable.
Chaque année, l'industrie du textile génère 4 milliards de tonnes d'équivalent CO². En 2050, si les tendances actuelles de consommation se maintiennent, le secteur textile émettra 26% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Autre problème : la production des matériaux nécessaires à la fabrication. Parmi les plus utilisés, on retrouve le polyester. Cette fibre synthétique est produite en grande majorité (70%) à base de... pétrole. En plus d'être polluant à la fabrication, nos vêtements continuent de l'être une fois vendus. À chaque lavage, des microfibres de plastique sont relâchées par les composants synthétiques et terminent leur course dans les océans. Ainsi, on estime que 240 000 tonnes de microparticules de plastique sont relâchées dans la nature chaque année. L'équivalent de... 24 milliards de bouteilles en plastique.
2 700 litres d'eau pour... un t-shirt
Autre composant de base : le coton. Et si la culture de cette fleur ne se fait pas à base de pétrole (en ne tenant pas compte des engins agricoles), elle n'en reste pas moins très énergivore.
D'abord, pour pouvoir produire le coton en quantité suffisante, les cultivateurs sont obligés de l'arroser de pesticides afin de le protéger et, dans certains cas, rendre la fleur plus forte, quitte à dénaturer le sol. Le coton est d'ailleurs la principale culture consommatrice de pesticides au monde.
Il faut également une énorme quantité d'eau pour arriver à ces fins. L'estimation la plus courante rapporte que pour produire un seul t-shirt, 2 700 litres d'eau sont nécessaires. Cela correspond à prendre 70 fois sa douche.
Bon shopping.