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"Apparemment, je suis un extraterrestre": Johan, papa de 39 ans, raconte son expérience de sortie en jupe

Un papa de bientôt 40 ans partage son expérience "en jupe". Le cadre décrit des sourires bienveillants, mais retient aussi de nombreuses remarques déplacées, voire des insultes. La jupe n’a, pourtant, pas toujours été "réservée" aux femmes et la mode s’empare de ce qui pourrait devenir un phénomène. 

"J’ai une passion, les jupes", lance Johan. Ce cadre de 39 ans, heureux en couple et père de deux enfants, a choisi de partager avec nous son expérience personnelle, via le bouton orange Alertez-nous. Il a décidé il y a quelques semaines de sortir en jupe et collants. Une première tentative qu’il qualifie de "timide": "Vu la météo, il n'était pas très difficile de passer inaperçu, caché sous une veste de pluie, toutes les silhouettes se ressemblent", précise-t-il. 

Fin du mois de juin, il fait une deuxième tentative : "J'ai tenté une autre sortie, mais cette fois à Bruxelles, dans le quartier européen".

Si l’homme a eu "quelques sourires bienveillants", il a surtout suscité "beaucoup d'intérêts, vu le nombre de regards appuyés et de téléphones sortis pour faire des photos", remarque-t-il.  Ce qui lui fait dire : "apparemment, je suis un extraterrestre, en étant un homme en jupe et collants hauts en couleur".

Il encaisse aussi des réactions beaucoup plus dures. Il se souvient d’un "dégénéré" asséné par un homme d’une soixantaine d’années et des "quolibets ouvertement homophobes et transphobes de la part de personnes de tout horizon et de toute classe sociale".

Johan résume ainsi son expérience du port de la jupe : "Beaucoup de personnes n'en ont rien à faire et c'est tant mieux. Mais, d'autres doivent absolument vomir leur haine de toute chose un peu différente de ce qu’elles considèrent comme normal".  

"Sont-ils tellement faibles dans leur "masculinité" qu'ils ont besoin de tenter de démolir celui qui sort de leur définition de ce qui est masculin et féminin ?", s’interroge-t-il.

Si la jupe est principalement portée par des femmes, comme en témoigne la définition du dictionnaire Larousse qui la décrit comme "un vêtement généralement féminin qui enserre la taille et descend jusqu’à la jambe" ; la simple consultation d’une autre définition un peu moins nuancée, celle du Robert, à savoir "un vêtement féminin qui descend de la ceinture à une hauteur variable de la jambe" démontre à quel point le sujet peut être complexe. 

La jupe pour hommes dans l’histoire

Pourtant, la jupe n’a pas toujours été l’attribut féminin par excellence, y compris dans les sociétés occidentales. Ainsi, la jupe a été largement portée par les hommes à plusieurs moments de l’histoire. Dans l’Antiquité, les hommes se paraient généralement de tuniques et de toges, ancêtres des robes et jupes d’aujourd’hui. 

Au Moyen-âge, les hommes comme les femmes s’habillaient en robe. Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle, que la jupe a été progressivement définie comme un vêtement typiquement féminin en Occident.

 

La jupe pour hommes dans le monde

Aujourd’hui encore, il y a plusieurs pays qui perpétuent la tradition du port de la jupe par les hommes. Et notamment, en Ecosse, le kilt, mis lors d’occasions spéciales, reste un symbole culturel fort. En Asie du Sud et du Sud-est, les hommes s’affublent de sarong, notamment en Indonésie et au Sri Lanka. Certains types de Hakama (pantalon large ressemblant parfois à une jupe) sont encore portés dans des contextes traditionnels au Japon. A noter qu’il existe de nombreux autres exemples. 
 

Et en Occident ?

Sur les podiums, la jupe pour hommes s’impose que ce soit chez les grands créateurs ou les stylistes avant-gardistes. Portés seuls comme pièce maîtresse ou superposés sur un pantalon, les modèles se multiplient. Et la jupe pour homme s’invite également sur les tapis rouges des grandes cérémonies, de l’acteur Robert Pattinson au chanteur Harry Styles. 

Si elle est omniprésente ou presque dans le monde de la mode, pourquoi la jupe peine-t-elle à se frayer un chemin dans la rue ? Certains, comme Johan, décident de s’y mettre par choix et envie et sont confrontés à un mur d’incompréhension, voire parfois à de l’agressivité. 

Le professeur de sociologie à l’UCLouvain, Jacques Marquet, n’est pas sûr "qu’on puisse parler de regain d’intérêt" pour la jupe. Mais, ce qui est évident, "c’est qu’il y a une proportion plus importante d’individus qui se posent des questions et qui essayent de sortir des rails" et des idées préconçues : en gros, la femme en jupe et l’homme en pantalon.  Et "il y a un mouvement de fond plus large sur les questions des identités de genres et l’habillement, ça touche clairement à l’identité. C’est la manière de se présenter au monde".  

La question de la masculinité

Le sociologue développe : "La façon de jouer la présentation de soi renvoie intimement à la question de : qui suis-je ? Ce n’est pas un geste anodin, il amène à poser la question de la masculinité : c’est quoi un homme ? Quel comportement il doit avoir ?".

Il note aussi que "les femmes sont plus tolérantes que les hommes à ce niveau-là. Les hommes, en général, ont beaucoup plus de mal à prendre de la distance et accepter les autres hommes qui ne jouent pas le jeu de la masculinité dans son acception la plus classique".

Jacques Marquet estime que pour un homme qui porte une jupe, il y a "le passage d’un cap, oser se démarquer d’une manière consensuelle de faire les choses et l’affirmation d’un aspect de sa personnalité". Mais, poursuit-il, "cette affirmation a un coût, cela peut créer de la violence, parfois physique"

Le professeur pointe encore le fait que "beaucoup de gens ne comprennent pas et ne font pas la distinction entre tous ces questionnements d’identité. Une incompréhension qui crée une certaine forme d’insécurité et donc parfois aussi d’agressivité".

Au-delà de l’habillement, le questionnement sur l’identité de genre est relativement récent dans le débat public. Il s’est d’abord imposé aux Etats-Unis, il y a à peu près une trentaine d’années, avant d’atteindre l’Europe. 

Que ce soit Sophie, Johan ou Ahmed qui arborent une jupe ou un pantalon, cela reste avant tout un choix personnel qui doit être respecté. Et les éventuelles réactions sont souvent le reflet de ceux dont elles émanent. 

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