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Anciens enfants soldats en République démocratique du Congo, certains sont commerçants, coiffeurs ou tailleurs, d'autres tout juste sortis de groupes armés rêvent de devenir agriculteurs ou professeurs, mais beaucoup ont du mal à trouver leur place dans une vie civile faite de chômage et de pauvreté.
"On leur enseigne la bonne conduite, à lire, à écrire. Ils font du dessin, de la vannerie, le jardin, la vaisselle...", explique à l'AFP Clément Kahindo, superviseur à Goma (Nord-Kivu) du centre de transit et d'orientation de l'ONG Cajed (Concert d'actions pour jeunes et enfants défavorisés), qui héberge une quarantaine d'enfants de 10 à 17 ans récemment extraits de groupes armés.
Leur apprendre un métier ? "On fait ça quelquefois, mais pas tellement... On manque de fonds pour la réinsertion socio-économique", regrette-t-il. Clément Kahindo est pourtant fier et heureux à l'évocation de ce jeune à qui "on a acheté une machine à coudre et qui donne des nouvelles", ou d'un autre qui tient "un salon de coiffure".
"Il faut qu'ils puissent s'occuper...", constate le superviseur, d'une grande compassion pour ces enfants dépassés par les horreurs qu'ils ont pu connaître. "Ils ont vu tuer, certains ont tué eux-mêmes", comme cet adolescent qu'il a connu, "obligé d'enterrer des gens vivants".
Les plus petits sont "utilisés pour l'espionnage, la cuisine, l'eau, le bois" mais, complète Faustin Busimba, chargé de programmes au Cajed, "un enfant qui reste deux ou trois ans dans un groupe armé va au front".
- Liste noire -
Dans les années 1990, ces "kadogos" étaient nombreux dans les troupes de Laurent-Désiré Kabila, qui avait renversé Mobutu en 1997. Aujourd'hui, l'armée régulière de la République démocratique du Congo (RDC) ne figure plus sur la "liste noire" des organisations utilisant des enfants soldats.
Mais, selon la "task force sur les enfants et les conflits armés en RDC" pilotée par la section Protection de l'enfance de la Mission de l'ONU (Monusco) et l'Unicef, cette liste comprend encore 13 groupes armés, parmi quelque 140 écumant en particulier l'est du pays depuis plus d'un quart de siècle.
Le nombre exact d'enfants affectés est difficile à évaluer, mais se situerait entre 3.000 et 5.000 chaque année, selon la section spécialisée de la Monusco. Dont 5 à 10% de filles, selon le Cajed.
Certains ont été "pris de force", d'autres ont rejoint ces milices d'eux-mêmes, pour diverses raisons: la pauvreté, la vengeance ou le supposé "prestige" qu'un engagement peut représenter, explique-t-on au Cajed.
La task force de l'ONU a compté 2.253 enfants "séparés" des groupes armés en 2018, 3.107 en 2019, 2.101 en 2020 et 957 pour les 9 premiers mois de 2021.
Une partie a été récupérée après une démarche de la Monusco auprès des commandants des groupes armés, d'autres se sont enfuis ou ont été libérés lors d'opérations de l'armée.
"En 2002, j'ai été parmi les premiers enfants démobilisés, j'avais 15 ans", raconte à Bukavu (Sud-Kivu) Papy Miruho, 36 ans. Il avait passé deux ans dans un groupe armé, qu'il avait rejoint pour défendre sa communauté. "Mon père avait été tué", explique-t-il.
Il se félicite d'avoir été recueilli par le "Bureau pour le volontariat au service de l'enfance et de la santé" (BVES), avant de poursuivre des études jusqu'à une licence de sociologie. Il a lui-même travaillé pour cette ONG et mène dès qu'il peut des actions auprès d'anciens enfants soldats.
- "Nous étions déconsidérés" -
Mais, marié et père de famille, il a dû trouver une activité mieux rémunérée et est devenu commerçant à Panzi, à la périphérie de Bukavu, où il vend de la farine. Il ne se plaint pas, mais aimerait avoir un emploi plus proche de sa formation et de ses envies.
Il connaît d'autres anciens enfants soldats, dont un est son coiffeur.
Lui s'appelle Christian Mulindwa. A 13 ans, alors qu'il revenait de l'école, il avait été kidnappé par un groupe armé, dont il a pu sortir deux ans plus tard, avant d'être pris en charge par le BVES.
"Avec deux autres jeunes, en 2010, nous avons créé une association qui encadre et emploie en majorité des anciens enfants soldats", à la coiffure, à la fabrication de gouttières et braseros ou à l'informatique, explique le jeune homme de 32 ans.
"Nous étions déconsidérés dans la communauté", se souvient-il.
Parfois, en raison des violences dont ils sont soupçonnés, ces jeunes sont rejetés par certains proches et peuvent même subir des représailles.
"Nous nous sommes regroupés, pour nous donner du courage, mais ceux qui n'ont pas réussi à s'en sortir sont plus nombreux que ceux qui ont réussi", estime Christian.
Selon lui, "l'accompagnement des enfants soldats n'a pas donné les fruits qu'on attendait". "Des gens qui ont été démobilisés sans être encadrés ont repris les armes", déplore-t-il.
Au Cajed de Goma, quatre adolescents de 14 à 17 ans sont pleins d'espoir. Ils se préparent à rejoindre leurs familles, équipés chacun d'un "kit de réinsertion" constitué d'une casserole et d'une houe. "Je vais être cultivateur", déclare François (*).
Avril(*), lui, reste encore un peu au centre de transit, où "il joue au foot". Il n'a que 12 ans et sera certainement plus tard cultivateur lui aussi. Son copain Dieudonné (*), 11 ans, veut "étudier". Un jour, il sera enseignant.
(*) Les prénoms des enfants ont été changés