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Signé Giltay: quand Kaboul portait des mini-jupes

En Afghanistan, les talibans ont fait fermer en juillet les salons de beauté. Plongeant dans la misère des dizaines de milliers de cheffes d'entreprise et d’employées (environ 60 000) et privant les afghanes d'un des rares plaisirs féminins dont elles bénéficiaient encore. Or il fut un temps, sous le roi Zaher Shah, renversé en 1973, où l'on croisait à Kaboul des jeunes femmes en mini-jupes comme à Londres ou à Paris.   

De temps en temps, on trouve sur internet des photographies prises à Kaboul au milieu ses années 60, sur lesquelles des jeunes femmes, coiffées comme des speakerines de l’ORTF, et vêtues de jupes courtes, font du shopping dans les rues de la capitale. Sans légendes, ces photos pourraient avoir été faites n’importe où en Europe ou dans un Moyen-Orient occidentalisé comme le Liban.    

Quelle surprise d’apprendre que ces instantanés viennent de Kaboul à une époque où la burqa n’était pas obligatoire et même en voie de disparition, du moins en ville… C’était le règne du roi Zaher Shah qu’on pourrait par bien des points comparer à ses contemporains, le Shah d’Iran et le

Négus d’Ethiopie. Des princes élevés à l’occidentale et qui avaient accédé au pouvoir dans des circonstances souvent tragiques. Zaher Shah avait ainsi succédé à son père en 1933, à l’âge de 19 ans après son assassinat. Selon Firouzeh Nahavandi, sociologue et professeure émérite de l’Université Libre de Bruxelles, qui a accordé une longue interview en juillet à Radio France Internationale, c’était un jeune homme occidentalisé, qui avait pour ambition de démocratiser et de moderniser son pays. "Ainsi il  décide de le transformer en une monarchie constitutionnelle où le pouvoir du monarque est contrôlé par le parlement. Jusqu’alors il n'y avait pas de parlement en Afghanistan, la majorité des Afghans  à l’époque était  analphabète." Zaher Shah a également souhaité moderniser la culture et l'éducation avec la multiplication des écoles, notamment pour les filles, et le développement de l'université de Kaboul.

Une modernisation avortée

Mais ne nous leurrons pas. Les jeunes filles en mini-jupes ne représentaient qu’une infime minorité. Le pays était très majoritairement rural, soumis à des potentats féodaux bien éloignés des préoccupations du chef de l’Etat.

Zaher Shah, malgré sa constitution très progressiste adoptée en 1964, eut beaucoup de mal à imposer ses idées. Peut-être manquait-il de détermination, à trop vouloir ménager les uns et les autres selon la tradition afghane. En 1973, il fut renversé par son coussin Daoud qui avait été Premier ministre de 1953 à 1963. Zaher Shah partit en exil en Italie. Daoud eut l’ambition de pousser encore plus loin les réformes de son cousin. D’abord avec l’aide des Etats-Unis, mais cela ne les intéressait pas beaucoup, puis avec celle des Soviétiques. On sait comme cela se termina, les Russes envahirent le pays en 1979… puis se retirèrent en 1989, après des années de guerre civile. Jusqu’alors, les droits des femmes avaient été respectés selon les critères établis sous le roi Zaher. Le roi d’ailleurs failli faire son retour au début des années 2000, soutenu par plusieurs chefs locaux de son ethnie, les Pachtounes. Mais les Américains lui préférèrent un régime présidentiel dirigé par Hamid Karzaï, le roi devenant une sorte de père de la patrie mais sans aucun pouvoir. Il mourut à Kaboul à en 2007 à l’âge de 92 ans. Quant à la guerre civile, elle n’a jamais vraiment cessé, et les Américains, ont fini par abandonner la partie, laissant les talibans reprendre le pouvoir en 2021.

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Le retour des talibans

Depuis, les tenues féminines à l’occidentale ont de nouveau déserté les rues. L’un des premiers gestes des talibans de retour fut de badigeonner les vitrines des boutiques de mode. Et il ne se passe pas une semaine sans qu’ils ne limitent le droit des femmes et même des petites filles, qui ne peuvent plus aller à l’école au-delà des classes primaires. Fin août, ils ont interdit aux femmes la fréquentation du parc Band-e Amir, l’un des plus beaux sites naturels du pays. Des lacs, au cœur des montagnes de l’Hindou Kouch, au pied des niches monumentales qui accueillaient autrefois les Bouddhas de Bamyan, détruits eux aussi par les talibans. Les familles aiment à se réunir dans cet endroit splendide, notamment à l’occasion de la fête de l’Aïd el-Kebir. On y pratique des activités hérétiques telles que le pédalo. De très jolis pédalos jaunes ou rouges, en forme de cygne. C’est peut-être le cygne qui pose problème. L’idée est bien sûr de maintenir les femmes le plus possible à la maison, et de leur interdire au maximum l’espace public. Les premières interdictions de ce type remontent à octobre 2022, au moment où on leur interdisait l’université et la possibilité de travailler pour des ONG. Actuellement elles ont encore le droit, bien théorique, d’être embauchées dans les domaines de la sécurité, de la santé publique, de l’art et de l’artisanat. Pour combien de temps ? 

Un parfum d’espoir

Il existe néanmoins des espaces de résistances. Des salons de coiffure clandestins à domicile, malgré les risques énormes que prennent les coiffeuses. Et même une radio, radio Begum, soutenue financièrement par les Nations-Unies et des dons privés. Trente animatrices et journalistes se relayent au micro pour les informer, les éduquer et leur donner la parole. Elles y témoignent de l’enfermement qu’elles subissent, de la dégradation de leur santé mentale et physique, de la difficulté de trouver des médicaments et même des légumes pour faire la cuisine. Car on leur interdit aussi bien sûr de faire les marchés. 

Radio Begum rivalise de ruse pour éviter l’interdiction, ainsi elle ne diffuse pas d’interviews d’hommes,  n’évoque pas les sujets politiques, et ne passe pas de musique. Mais elle assure six heures de cours tous les jours pour les collégiennes et les lycéennes, qui n’ont plus le droit d’aller à l’école. L’enseignement de l’anglais y serait particulièrement suivi. Tout cela en se basant sur les programmes de l’ancien régime….établis aux temps regrettés du roi Zaher. 

On ne reverra pas de sitôt des mini-jupes dans les rues  Kaboul. Mais les femmes afghanes n’ont pas encore perdu la bataille. L’une d’entre elles déclarait le 18 août à la BBC : "Nous ne sommes pas les mêmes femmes que celles que les talibans ont supprimées il y a 20 ans. Nous avons changé et ils devront l’accepter, même si nous devons y laisser notre vie."

     

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