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Un dossier "sans équivalent dans les annales judiciaires françaises": le parquet a requis jeudi le renvoi devant les assises du Doubs de l'ancien anesthésiste Frédéric Péchier, pour les empoisonnements de 30 patients, dont 12 mortels, dans des cliniques de Besançon, sur la base d'un important faisceau de preuves, malgré les dénégations du praticien.
"Le parquet a requis le renvoi de Frédéric Péchier pour les 30 empoisonnements présumés correspondant à la totalité des cas pour lesquels il était mis en examen", a déclaré le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux, lors d'une conférence de presse.
"Les faits pour lesquels il est mis en examen n'ont rien à voir avec des faits d'euthanasie. Ce qui lui est reproché, c'est d'avoir empoisonné des patients en bonne santé, pour nuire à des collègues avec lesquels il était en conflit", a souligné le magistrat, estimant qu'il s'agissait d'une "procédure réellement sans équivalent dans les annales judiciaires françaises".
L'ancien anesthésiste, 52 ans, est soupçonné d'avoir pollué, entre 2008 et 2017, les poches de perfusion de patients dans deux cliniques privées de Besançon pour provoquer des arrêts cardiaques puis démontrer ses talents de réanimateur, mais aussi pour discréditer des collègues avec lesquels il était en conflit.
"Trente cas d'empoisonnement présumés qui font encourir la réclusion criminelle a perpétuité, c'est vertigineux", a réagi auprès de l'AFP Me Frédéric Berna, conseil des parties civiles dans 17 de ces cas. "Les victimes commencent enfin à voir la lumière au bout du tunnel, après de longues années très éprouvantes, avec enfin la perspective d'un procès plus si lointaine."
"Sept ans et quatre mois (depuis le début de l'affaire), cela peut paraître particulièrement long mais cette durée s'explique par l'extraordinaire, je pèse mes mots, l'extraordinaire complexité des faits portés à la connaissance du parquet", a ajouté M. Manteaux, rappelant avoir été saisi à l'origine pour 77 événements indésirables graves (EIG).
- Interventions bénignes -
Au final, l'anesthésiste a été mis en examen de façon définitive pour 30 cas, dont 12 mortels. Pour deux autres cas, faute de charges suffisantes, M. Péchier a été placé sous le statut plus favorable de témoin assisté. La procédure représente 27.000 cotes: feuillets d'auditions, expertises...
L'affaire avait débuté lorsqu'une anesthésiste d'une clinique bisontine avait donné l'alerte après plusieurs arrêts cardiaques inexpliqués de patients en pleine opération, un incident pourtant très rare normalement.
Dans la grande majorité des cas, des expertises ont jugé qu'il existait des "suspicions fortes" - dans quelques cas des "certitudes" - que des substances en doses parfois létales avaient été administrées aux patients venus se faire opérer dans les deux cliniques de Besançon où officiait M. Péchier, souvent pour des interventions bénignes.
Parmi les produits retrouvés en surdosage dans les analyses pratiquées sur des patients dont certains, décédés, ont dû être exhumés: de la lidocaïne, un anesthésique local, ou encore du potassium.
Selon M. Manteaux, les enquêteurs ont recensé 1.514 personnes susceptibles d'avoir eu accès aux salles d'opération entre 2008 et 2017. "Sur ces 1.514 personnes, Frédéric Péchier est la seule personne qui a été présente dans ces établissements, aux périodes où les 30 empoisonnements présumés ont été constatés".
- "Personnage charismatique" -
"Frédéric Péchier était le primo intervenant quand survenait un arrêt cardiaque", a poursuivi le magistrat. Selon ses collègues, "il avait toujours la solution", "se prenait pour le meilleur", "la star des anesthésistes de Besançon". "Il s'était créé un vrai personnage charismatique de sauveur".
"Dans les empoisonnements où les patients sont décédés, il était en conflit plus marqué avec les collègues auxquels ça arrivait", a également noté le procureur.
Après avoir gardé le silence durant plusieurs interrogatoires, Frédéric Péchier avait incriminé lors d'une de ses auditions ses anciens collègues, assurant que la majorité des EIG résultaient "d'erreurs médicales" de leur part.
"Le parquet continue dans sa logique d'empilement des cas, mais contrairement à ce qu'il affirme, on attend toujours une preuve univoque de l'implication de Frédéric Péchier" dans ces empoisonnements, a estimé auprès de l'AFP son avocat Me Randall Schwerdorffer. "La question n'est d'ailleurs pas tranchée: il y a des contradictions très significatives d'une expertise à l'autre."