Partager:
Pour les Balkhel, la vendetta a commencé il y a au moins 50 ans, pour les Sabari cela fait plus de 25 ans que les deux tribus afghanes s'entretuent pour des collines broussailleuses. Chacune rend l'autre responsable de cette guerre qui a fait quelque 200 morts.
Les flambées de violence, avec des armes lourdes, ont eu lieu aux confins des provinces orientales de Khost et de Paktia.
"On est d'accord sur le fait que ce ne sont que des pierres, que cette montagne et ces terres ne valent pas une seule vie humaine", dit à l'AFP Badshah Khan, instituteur de 50 ans et chef des Balkhel. Mais "ils nous ont déclaré la guerre".
Plus que les faits, ce qui compte c'est le code de l'honneur, le "pachtounwali", qui peut consumer des communautés et rendre caduque toute règle de l'Etat de droit.
Le gouvernement taliban assure, selon des médias locaux, avoir résolu 200 conflits de ce type en 2023 à travers l'Afghanistan. Et poursuivre une centaine de médiations pour en résoudre d'autres.
"Les Pachtounes joueront leur vie pour l'honneur", dit le chef des Sabari, Saddam Mukhlis, 45 ans, un pistolet sous son gilet. "Ils sont prêts à mourir plutôt que de céder du terrain."
Les autorités talibanes ont finalement mis tout le monde d'accord: les combats devaient cesser.
Les Balkhel et les Sabari sont deux clans de plusieurs milliers de membres, de l'ethnie pachtoune, dominante en Afghanistan où elle représente 40% de la population principalement dans le Sud et l'Est.
Au cœur du "pachtounwali" qui cimente le clan dans ce système patriarcal: la loyauté, l'hospitalité, l'indépendance mais aussi la vengeance.
Sont en jeu le "zan, zar et zameen": les femmes, l'or et la terre.
"Mieux vaut être tué par 100 hommes qu'humilié par un seul", proclame l'un des innombrables dictons pachtounes.
"Quand il n'y a pas de gouvernement (local), les gens ont besoin de règles", souligne le chercheur Lutz Rzehak, de l'université Humboldt à Berlin. "Le pachtounwali est un idéal de conduite."
- "Mort pour rien" -
Mais la fierté a un coût. En traversant un cimetière, le chef des Balkhel explique que 110 des siens ont été tués après qu'un étranger est venu couper du bois qui ne lui appartenait pas.
"On a traversé des jours difficiles", dit Malak Zera Gul, 65 ans, dont le fils a été abattu en 2017.
"C'est comme s'il était mort pour rien", se désole-t-il.
Il soulève sa chemise pour montrer ses cicatrices de blessure par balle. "Certains peuples sont si têtus", poursuit-il, "ils recourent à la force et veulent que les choses leur appartiennent".
Du côté des Sabari, 93 personnes ont été tuées. Selon eux, tout a commencé lorsque des tombes ont été creusées sur leurs terres sans permission.
Les récits pleuvent: des histoires de bergers tués avec cruauté, d'exécutions le long des chemins, de meurtre d'un nouveau-né au retour de la maternité ou de routes bloquées.
Lors des derniers affrontements, en 2022, huit personnes auraient été tuées.
"Pour les gens, la terre est comme une mère: si tu ne protèges pas son honneur, tu ne protégeras pas celui de ta mère non plus", déclare Ahmad Shah Lakankhel qui a joué le rôle de médiateur sur instruction du ministre de l'Intérieur des talibans, Sirajuddin Haqqani.
Une "jirga", une assemblée des chefs locaux, a permis un cessez-le-feu, en attendant que l'affaire soit jugée sur le fond.
- "Le goût de la paix" -
En 2005, la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (Unama) a mis deux mois à atteindre un accord de paix. Mais ce fut un échec.
M. Lakankhel assure qu'il n'a fallu qu'une semaine aux talibans pour parvenir à un accord et installer des avant-postes.
Le même message a été passé aux deux côtés: "Vous ne devez pas devenir un autre gouvernement, prendre des décisions ni tuer des gens".
C'est une question "sensible" pour les talibans qui ne veulent pas "d'une compétition ouverte qui saperait ou poserait un défi" à leur autorité, décrypte le chercheur Nemat Bizhan de l'université nationale australienne.
Mais ils avancent sur une corde raide: d'un côté, des tribus qui les ont soutenus dans leur insurrection attendent d'être récompensées, de l'autre la partialité pourrait créer la sédition.
Le vice-gouverneur de la province de Khost, Mahboob Shah Qanit, affirme que le succès des talibans à mettre fin à la vendetta s'explique par leur mandat populaire.
"Nous provenons du peuple et le peuple provient de nous", exprime-t-il, "nous sommes comme les doigts de la main".
Les talibans "disent que (s'ils) ont réussi à résister contre le monde entier pendant 20 ans, (ils peuvent) aussi lutter contre une tribu", rétorque le chef sabari, M. Mukhlis.
Sur les lieux des batailles entre Balkhel et Sabari, aujourd'hui ce sont deux chèvres qui s'affrontent, tête contre tête, sur un monticule de graviers.
"On est fatigués de la guerre", lâche le chef des Balkhel, "eux aussi". "La paix a un goût différent et on le sait."