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"Ici on a un toit et la sécurité". Poussés hors de leur pays par les attaques jihadistes et les exactions de l'armée et de ses supplétifs, des dizaines de milliers de Burkinabè ont trouvé refuge dans le nord de la Côte d'Ivoire, dans des sites d'accueil ou chez l'habitant.
En périphérie de Ouangolodougou, le centre de Niornigué ressemble davantage à un petit village organisé qu'à un camp de réfugiés.
Ici pas de tentes, mais un millier de maisons en brique de terre cuite et aux toits de tôle ondulée alignées sur une dizaine d'hectares.
Plus de 6.000 "demandeurs d'asile" - la Côte d'Ivoire ne les reconnaît pas comme réfugiés - y sont hébergés, en grande majorité des éleveurs Peul qui ont laissé biens et bétail derrière eux.
"Depuis qu'on est arrivé, on a été bien accueilli, on se sent bien ici", explique Adama Maïga, qui allaite son bébé né un mois plus tôt sur le site.
Chaque famille a un "abri", avec une chambre et un petit salon. Une aire de jeux avec quelques balançoires jouxte une place où un petit marché se tient quotidiennement et quatre pompes mécaniques permettent l'approvisionnement en eau.
Les femmes et les enfants constituent l'immense majorité de la population de Niornigué, encore traumatisée par les exactions des jihadistes, des militaires ou des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP, supplétifs civils de l'armée).
Le Burkina Faso est frappé depuis près de dix ans par des violences de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda ou à l'Etat islamique, qui ont fait des dizaines de milliers de morts, tandis que l'armée et les VDP sont régulièrement accusés de commettre eux aussi des massacres contre des civils.
"Beaucoup de femmes ont perdu leurs maris là-bas", rappelle Fatou (le prénom a été modifié), dont l'époux a été tué par des hommes armés, depuis l'entrebâillement de son abri.
- Site complet -
En ce mercredi pluvieux, c'est "jour de paie" pour chaque demandeur d'asile qui reçoit un petit pécule mensuel de 5.000 francs CFA (7,5 euros), distribué par le Programme alimentaire mondial (PAM), pour acheter de la nourriture.
Plusieurs centaines de personnes font la queue pour présenter leur carte plastifiée de demandeur d'asile qui leur permet d'être recensées et obtenir la somme.
"Avec ça, je vais pouvoir payer de la nourriture pour les enfants, peut-être un sac de riz de 50 kg", explique Amadou Barry, qui repart avec 30.000 francs (45 euros) en poche pour sa famille de six personnes.
Mais la somme qui constitue souvent l'unique ressource des demandeurs d'asile a récemment été divisée par deux en raison de l'afflux de demandes.
"Ici, on a un toit et la sécurité, mais les ressources se font rares et nous n'avons pas de travail, alors les enfants vont travailler en ville pour rapporter un peu d'argent", raconte Fatou.
Le gouvernement ivoirien a financé quasi intégralement la construction de ce site ainsi qu'un autre, de même taille, plus à l'est, près de Bouna.
"On n'était pas obligé de le faire, mais la Côte d'Ivoire est un pays d'hospitalité. Depuis 2021, des réfugiés s'installaient chez des habitants, certains villages étaient saturés. On a créé ces sites pour mieux coordonner l'assistance et éviter des conflits entre éleveurs et agriculteurs", explique Paulin Yéwé, conseiller défense et sécurité auprès de la présidence ivoirienne.
Plutôt que d'opter pour des tentes fournies par l'aide humanitaire - saturée de demande avec le conflit en Ukraine - les autorités ont opté pour des constructions en "semi-dur", plus rapides à mettre en place avec des opérateurs locaux et finalement moins coûteuses.
Un peu plus d'un an après son ouverture, le site est déjà complet.
- Elan de générosité -
Mais les personnes hébergées à Niornigué ne sont qu'une petite partie des quelque 66.000 arrivées, selon les estimations du HCR: la majorité a été accueillie par des familles, dans diverses localités du nord ivoirien.
C'est le cas à "Ouangolo", située au carrefour du Burkina (30 km) et du Mali (90 km).
Dans le quartier de Koko, Ibrahima Touré est un "tuteur". C'est lui qui fait enregistrer les familles qui arrivent et qui parfois les héberge temporairement.
"Vendredi soir encore, huit femmes et enfants sont arrivés, alors je les loge dans mon magasin en attendant qu'ils puissent trouver une petite maison", explique-t-il.
Lors des premières vagues en 2023, "j'ai eu jusqu'à 30 personnes dans ma cour pendant plus de 7 mois", se souvient-il.
Un peu plus loin dans une autre cour, à l'abri d'un manguier chétif, Djibril Barry, un autre tuteur, explique cet élan de générosité.
"Les réfugiés du Burkina, ce sont nos parents. On les accueille car c'est la crise chez eux. On fait de notre mieux avec nos maigres moyens", détaille-t-il.
"Chez nous, la tradition c'est d'accueillir les étrangers. Ce sont des gens qui ont quitté leur pays dans des conditions déplorables, on les traite comme nos frères", confirme le chef du village de Ouangolodougou, Siaka Ouattara.
Pour subsister, les demandeurs d'asile comptent sur l'entraide de leurs familles d'accueil et quelques dons, du gouvernement ivoirien ou des institutions internationales comme le HCR.
Le rêve de la plupart d'entre eux: trouver un petit champ pour cultiver et nourrir la famille, et scolariser les enfants, ce qui n'est le cas que pour quelques centaines d'entre eux.
"Tout le monde sait que c'est ici qu'il y a la paix", sourit Aliou, arrivé l'an dernier en Côte d'Ivoire. Saïdou, qui a fui avec sa famille, opine du chef: "ici au moins on ne me tue pas".