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Bidzina Ivanichvili, dirigeant géorgien de l'ombre accusé de faire le jeu de Moscou

Le richissime Bidzina Ivanichvili préside discrètement au destin de la Géorgie depuis une décennie, préférant les coulisses à la lumière mais suscitant l'inquiétude dans ce petit pays du Caucase, à l'équilibre fragile entre sphères russe et européenne, pour ses affinités supposées avec Moscou.

L'homme d'affaires à la fortune estimée à 4,9 milliards de dollars, soit près d'un quart du PIB de son pays, a bien connu les projecteurs en étant Premier ministre de 2012 à 2013, après avoir fondé le parti du Rêve géorgien actuellement au pouvoir.

Mais Bidzina Ivanichvili, 68 ans, aurait continué à tirer les ficelles après avoir quitté ses fonctions officielles, solidifiant même son autorité ces dernières années.

Son influence et les controverses qui en naissent sont peut-être plus visibles que jamais à l'heure où le peuple géorgien est dans la rue contre un projet de loi sur l'"influence étrangère", dénoncé comme une copie d'une législation russe répressive.

Samedi, une nouvelle manifestation de grande ampleur est attendue.

Le texte, initiative de son parti du Rêve géorgien, est vu comme un obstacle sur le chemin de la Géorgie vers l'adhésion à l'Union européenne, qui a d'ailleurs critiqué vertement ce projet.

Bidzina Ivanichvili, aujourd'hui président honoraire du parti, le défend lui avec conviction. Quitte à compromettre l'avancée de son pays vers l'UE, un objectif pourtant si précieux qu'il est inscrit dans la Constitution géorgienne.

- "Chair à canon" -

Cette prise de position ne peut que relancer les suspicions de ses détracteurs, qui l'accusent de vouloir imiter la Russie. Il y a étudié et fait fortune dans le chaos des années 1990, s'échappant de la campagne géorgienne pauvre où il était né, à l'époque de l'URSS.

Rentré au pays au début des années 2000, ce père de famille, dont l'un des fils est un rappeur connu en Géorgie, avait débarqué sur la scène politique fort de son aura de banquier influent.

L'ex-Premier ministre, qui a aussi vécu en France, assure défendre l'entrée de la Géorgie dans l'UE, qu'il a même promise "d'ici 2030".

Bidzina Ivanichvili n'a cependant jamais condamné l'invasion russe de l'Ukraine, son propre pays ayant pourtant été lui-même envahi par la Russie lors d'une brève guerre en 2008.

L'ex-république soviétique aux rêves d'Europe craint d'être la prochaine cible sur la liste du Kremlin mais reste liée à Moscou, acteur historique du Caucase.

Preuve des ambivalences de Bidzina Ivanichvili, quand il s'est fendu d'un rare discours, fin avril, c'était pour attaquer férocement l'Occident.

Le sexagénaire aux cheveux poivre et sel s'exprimait à Tbilissi pour défendre la loi controversée, qui vise les ONG ou média recevant des financements de l'étranger.

Bidzina Ivanichvili a tancé ces ONG, une "pseudo-élite nourrie par un pays étranger", et imputé aux pays occidentaux, plutôt qu'à Moscou, les invasions russes de la Géorgie puis de l'Ukraine.

A le croire, l'Occident est le "parti mondial de la guerre" et la Géorgie sa victime, traitée comme de la "chair à canon".

Pour les observateurs, cette prise de parole offrait un rare aperçu sur la pensée de cet homme, qui se plaît à entretenir le mystère et fuit les médias.

"Il est toujours dans les coulisses", note auprès de l'AFP Natalie Sabanadzé, experte du pays pour le groupe de réflexion Chatham House.

- "Paix et stabilité" -

La loi sur "l'influence étrangère" avait d'abord été présentée par le Rêve géorgien en 2023. Mais des manifestations massives avaient forcé le gouvernement à la mettre au placard.

Son retour, début avril, a créé la surprise.

"Faire ce qu'il faut au bon moment, c'est l'art ultime de la politique", a lancé Bidzina Ivanichvili, de façon sibylline, pour expliquer ce choix.

Pour les analystes, il s'agit clairement de préparer le terrain pour les élections législatives d'octobre, vues comme un test important pour le Rêve géorgien.

Pour séduire les électeurs, la position de Bidzina Ivanichvili est de promettre "la paix et la stabilité", souligne Natalie Sabanadzé, ce qui n'est pas sans rappeler les arguments avancés par le Kremlin en Russie.

Il assure ainsi avoir sauvé le pays de la perdition qui aurait été causée par le président pro-occidental Mikheïl Saakachvili, son ennemi juré battu lors des législatives de 2012.

Les destins des deux hommes, qui se sont mutuellement retiré la nationalité géorgienne lors de leurs passages au pouvoir, illustrent les différentes facettes de leur pays.

Si Bidzina Ivanichvili a bâti sa carrière en Russie et était proche de l'ex-président Boris Eltsine, Mikheïl Saakachvili est très lié à l'Ukraine et aux États-Unis.

Principale figure d'opposition, au pouvoir de 2004 à 2013 et aujourd'hui détenu, il n'a pas de mots assez forts contre Moscou, qu'il voit comme une menace existentielle.

En décembre, depuis sa prison, Mikheïl Saakachvili assurait à l'AFP que son rival s'était "emparé" de la Géorgie. "Toutes les institutions de l'État sont contrôlées par lui et influencées par la Russie à travers lui".

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