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Au Sri Lanka, la faillite du pays attise la colère des électeurs

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Ishara S. KODIKARA

Milton Perera s'était promis d'exprimer sa colère devant la faillite du Sri Lanka à l'élection présidentielle du 21 septembre, mais la mort l'a fauché avant. Alors c'est sa veuve qui votera contre le président sortant.

Pushpalatha Perera, 70 ans, vit dans une maison humide aux murs délabrés de Slave Island, dans la banlieue de la capitale Colombo.

Comptable à la retraite, son mari Milton est décédé en décembre, à 75 ans, des suites de crises d'asthme, quelques mois après la fin du versement des aides sociales gouvernementales.

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Ishara S. KODIKARA

"Je n'avais pas d'argent pour lui acheter ses médicaments", raconte son épouse en serrant entre ses mains une photo de son défunt mari.

Comme beaucoup d'autres Sri-Lankais peu enclins à redescendre dans la rue et épuisés par leur quotidien de débrouille, Pushpalatha Perera votera contre tous les élus qu'elle considère comme responsables de sa situation.

Le Sri Lanka retourne aux urnes pour la première fois depuis 2022, quand une crise sans précédent a précipité sa faillite économique et causé la chute, au terme de violentes manifestations, du régime du président Gotabaya Rajapaksa.

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Ishara S. KODIKARA

Le dirigeant sortant Ranil Wickremesinghe, 75 ans, élu dans la foulée à la tête d'un gouvernement intérimaire par le Parlement, se présente avec pour seul programme la poursuite du redressement à marche forcée du pays.

En échange d'un prêt de 2,9 milliards de dollars (2,63 milliards d'euros), le Fonds monétaire international (FMI) a imposé des mesures d'austérité très impopulaires: hausse des impôts, privatisations, fin des subventions sur l'eau, l'électricité et le fioul...

- Coût de la vie -

Résultat, même si l'économie du Sri Lanka a donné en 2023 des "signes de stabilisation", selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté a progressé dans le pays pour la quatrième année consécutive.

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Ishara S. KODIKARA

Plus d'un quart de ses 22 millions d'habitants se situaient sous le seuil de pauvreté (moins de 2,15 dollars pour vivre par jour), de même source.

L'an dernier, près de 4 millions étaient recensés en situation d'"insécurité alimentaire modérée" et une famille sur quatre a été contrainte de réduire ses dépenses de santé ou d'interrompre la scolarité des enfants, selon l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

En quête désespérée de revenus, de nombreuses familles n'ont pas d'autre choix que d'envoyer un de leurs membres à l'étranger.

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Ishara S. KODIKARA

Pour Murtaza Jafferjee, à la tête du centre de réflexion indépendant Advocata à Colombo, le coût de la vie sera la clé du scrutin du 21 septembre.

"Un nombre significatif d'électeurs vont faire savoir aux partis traditionnels qu'ils sont très déçus de la façon dont le pays est gouverné", anticipe-t-il, "leur colère ne se manifeste pas dans la rue car beaucoup d'entre eux sont résignés".

En l'absence du président déchu en 2022, l'élection présidentielle s'annonce très incertaine.

- Contraintes -

Le président sortant Ranil Wickremesinghe pourrait payer le prix de l'austérité, selon des analystes, et le chef du principal parti d'opposition, Sajith Premadasa, 57 ans, dont les idées sont très proches, ne paraît pas plus en mesure de rallier les électeurs.

La coalition du Pouvoir national du peuple (NPP), dirigée par Anura Kumara Dissanayaka, 55 ans, à la tête du Front de libération du peuple (JVP), pourrait bien en profiter, suggère Murtaza Jafferjee.

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Ishara S. KODIKARA

Le chef du JVP était arrivé troisième lors du scrutin de 2019, avec seulement 3% des suffrages.

Mais sa relative inexpérience du pouvoir - il a été brièvement ministre de l'Agriculture - pourrait cette fois s'avérer déterminante si le scénario d'un vote de colère se confirme.

Même si, selon l'analyste Murtaza Jafferjee, l'étau financier qui étrangle le pays limitera sa marge de manœuvre.

Le Sri Lanka a fait défaut sur sa dette extérieure de 46 milliards de dollars (42,2 milliards d'euros) en avril 2022 et n'a toujours pas repris les paiements à ses créanciers internationaux.

"La réalité, c'est que nous allons devoir suivre un traitement douloureux pour nous réparer", estime Murtaza Jafferjee.

Pushpalatha Perera ne se fait d'ailleurs guère d'illusion. "D'habitude ils viennent et promettent beaucoup mais ne tiennent jamais parole", résume la veuve, résignée. "Je ne vois guère qui pourrait nous venir en aide".

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