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Les néfliers ploient sous les fruits mais personne n'est tenté de les cueillir au milieu des maisons abandonnées de Kfar Aza. Sauf Shar Shnurman, le premier survivant de l'attaque du Hamas le 7 octobre à être revenu habiter ce kibboutz israélien.
"Tout le kibboutz est mon jardin maintenant", clame ce doux géant en désignant la végétation généreuse où se détache la couleur des agrumes et des nèfles.
Récolter des fruits, siroter un café sur sa terrasse, et organiser un barbecue tous les lundis: c'est ainsi que Shar Shnurman s'efforce de "mener une vie normale dans un endroit anormal", depuis qu'il s'est réinstallé avec sa femme, Ayelet Khon, dans un des kibboutz du sud d'Israël décimés par les commandos du Hamas.
Pendant 30 heures terrifiantes, enfermés dans leur pièce sécurisée, le couple a entendu les hommes armés du mouvement islamiste palestinien tuer et détruire autour d'eux.
"A un moment les terroristes se sont assis sur la terrasse; d'autres étaient près de la fenêtre de la chambre forte, nous les entendions, nous les sentions", se remémore-t-il.
Quand ils ont été évacués du kibboutz par l'armée, le dimanche 8 octobre, "nous savions que nous allions revenir, pour nous c'était évident", confie M. Shnurman, 62 ans qui a déménagé il y a 20 ans dans ce kibboutz frontalier de Gaza et travaillait comme logisticien dans une usine locale.
- "Vous êtes fous" -
Le couple est resté plusieurs semaines chez des proches, puis dans un appartement à Tel-Aviv avant de réaliser l'impensable pour la plupart des survivants : réintégrer son domicile dans une communauté encore imprégnée des traces de la tuerie.
"Au début, le kibboutz ressemblait à une zone de guerre", raconte M. Shnurman qui a commencé par des visites de quelques heures, en journée, avec la permission de l'armée.
Puis début décembre, le couple a sauté le pas.
"Nous avons dit au responsable de la sécurité du kibboutz +nous sommes revenus+, il a dit +Vous êtes fous, mais d'accord+. Et depuis, nous sommes ici."
La première nuit, "ce fut la meilleure de ma vie, assure M. Shnurman. C'est le seul endroit où je dors. L'appartement à Tel-Aviv était très beau, très cher mais je dormais deux heures par nuit. Le sentiment d'être chez soi, ça ne s'explique pas".
Les combats à Gaza sont pourtant nettement audibles et lorsque les sirènes d'alerte aux roquettes retentissent, les présents ont quelques secondes pour se mettre à l'abri.
Avant le 7 octobre, le complexe de Kfar Aza comptait quelque 800 résidents. Plus de soixante personnes y ont été tuées dans l'attaque du Hamas, 18 prises en otage. Cinq résidents sont encore retenus à Gaza.
Sur un bras, M. Shnurman s'est fait tatouer la date de la catastrophe: 07.10.23, "une façon de dire plus jamais ça".
L'attaque des commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza dans le sud d'Israël a fait 1.170 morts, en majorité des civils, selon un bilan de l'AFP établi à partir de données officielles israéliennes.
L'offensive d'envergure de l'armée israélienne lancée en représailles pour tenter de démanteler le Hamas à Gaza a fait jusqu'à présent plus de 34.000 morts, la plupart des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas.
- "Peur tout le temps" -
Ligne grisâtre à l'horizon, des édifices du territoire palestinien ravagé par la guerre sont visibles au loin, de l'autre côté de la mince clôture métallique qui ceint le kibboutz.
Dans les allées luxuriantes de Kfar Aza, les traces de l'attaque du 7 octobre sont partout: murs incendiés, criblés de balles, inscriptions signalant que telle maison "ne contient plus de restes humains".
Pendant la journée, l'activité est incessante: soldats, journalistes, volontaires aidant à l'entretien, politiques et personnalités en visite.
Le soir venu, Shar Shnurman et sa femme ne sont plus tout à fait seuls. Une poignée de résidents, "cinq ou six" selon lui, sont revenus dans leurs maisons.
Chen Kotler, 65 ans, en fait partie mais déteste le mot "résilience". "La tristesse ne partira pas, j'ai peur tout le temps", confie-t-elle, dénonçant le flou du gouvernement sur l'avenir des kibboutz frontaliers.
Faut-il les transformer en lieux de mémoire ? Y faire revenir des familles ? Tenter de reformer ailleurs ces communautés traumatisées et dispersées ?
"Aujourd'hui je suis à Kfar Aza, dit Chen Kotler, mais demain, je ne sais pas, nous avons besoin d'un sentiment de sécurité".