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Devant la percée du Rassemblement national, "peu de gens ont dû tomber de leur chaise". A Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), au lendemain du score historique enregistré par l'extrême droite dans toute la région, des habitants expliquent avoir "senti la vague venir".
Assis près de la place où se tient le marché tous les lundis, Manuel, 72 ans, se réjouit de voir percer le RN dans un territoire pourtant "ancré dans le centrisme". Lui qui a longtemps voté communiste, a "fait la fête en 1981" après l'élection de François Mitterrand et soutenu Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen en 2002, a choisi dimanche la liste de Jordan Bardella.
"J'ai une retraite de misère. Ici comme partout les gens n'arrivent plus à vivre correctement. On diabolise le RN et pourtant c'est lui qui se saisit des choses réelles: le pouvoir d'achat, l'immigration, la perte d'autorité...", énumère Manuel, "fils d'une immigrée espagnole", qui se revendique toujours "de gauche". "Mais la gauche caviar, je ne peux plus", ajoute-il, en chapeau de paille et polo rose.
Aucune des personnes rencontrées par l'AFP n'a souhaité donné son patronyme, ne voulant pas être identifiées par des connaissances ou par référencement, ou préférant respecter le "principe du vote secret".
Pour la première fois, la Bretagne, rétive jusqu'à présent à l'extrême droite et longtemps soutien affirmé du président de la République Emmanuel Macron, a placé le Rassemblement national en tête lors des élections européennes.
Rassemblant 25,61% des voix (contre 17,32% aux européennes de 2019), la liste de Jordan Bardella est arrivée première dans les quatre départements de la région.
A Bain-de-Bretagne, le RN a reçu 28,57% des suffrages, contre 16,94% en 2019.
"On a senti la vague venir, peu de gens ont dû tomber de leur chaise. Il suffit de regarder autour de soi pour voir que tout le monde galère. Les gens se disent : +Qu'est-ce qui peut être pire+", lance une quadragénaire croisée dans le centre-ville.
- "C'est assez normal de voter RN" -
Installée avec un ami autour d'une table de pique-nique, une jeune femme de ménage de 20 ans explique avoir choisi la liste de Jordan Bardella "pour ses idées" mais aussi pour "contrer celles de Macron". Elle avait voté pour Marine Le Pen à la présidentielle de 2022, sa première élection.
Pêle-mêle, elle cite sans détailler l'"attitude" de l'exécutif envers les +gilets jaunes+, "l'immigration, le pouvoir d'achat". "Pour mes parents, l'argent c'est compliqué, ça a joué", dit la jeune femme. Autour d'elle, "c'est assez normal de voter RN".
Plusieurs habitants de Bain-de-Bretagne rencontrés par l'AFP, soutiens ou opposants du RN, racontent avoir vu le soutien à l'extrême droite se banaliser.
"Ici, il n'y a pas beaucoup de mixité, pas d'insécurité. Et pourtant les gens qui votent RN évoquent surtout l'immigration et la délinquance. A force de voir ces sujets tourner en boucle à la télé, ça finit par imbiber", affirme un commerçant de 39 ans qui dit avoir "voté rose".
La liste PS-Place publique de Raphaël Glucksmann a terminé en Bretagne en deuxième position, juste devant la tête de liste de la majorité présidentielle Valérie Hayer (18,43% contre 17,42%).
Elu de l'opposition municipale, Rémy Conneau (sans étiquette) rapporte que "beaucoup de gens" de "tout âge et de tout horizon" lui avaient dit prévoir de voter RN dimanche pour la première fois.
Originaire de la région de Dinard et étudiante en droit à Rennes, Alex avait voté pour Emmanuel Macron en 2022 mais a choisi cette fois la liste de Jordan Bardella.
"Au début, c'était un peu compliqué pour moi de voter RN, mais je me suis rendu compte que la ligne s'était énormément adoucie et que c'était beaucoup plus proche de mes idées que tous les autres partis", raconte la jeune femme au téléphone.
Si elle "n'exclut pas de voter pour un autre parti" aux prochaines législatives, son choix, pour le moment, s'oriente vers le RN.