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Dix ans après les attentats de Charlie Hebdo, les choses ont-elles changées pour les caricaturistes ? Pierre Kroll estime que l'humour est devenue "dangereuse".
En 2014, douze personnes ont perdu la vie dans l'attaque menée par les frères Kouachi contre l'hebdomadaire satirique, cible de menaces djihadistes depuis la publication de caricatures du prophète Mahomet en 2006. Parmi elles, huit membres de la rédaction: les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, la psychiatre et psychanalyste Elsa Cayat, l'économiste Bernard Maris et le correcteur Mustapha Ourrad.
Dix ans plus tard, le caricaturiste belge Pierre Kroll s'en souvient encore : "Dans mon métier, évidement c’est un événement majeur. J’étais dans ma voiture, je reçois un coup de fil d’un journaliste d’RTL, c’est pas par la radio que je l’ai appris, c’est un journaliste d’RTL qui me dit : 'Il se passe quelque chose à Charlie Hebdo, il y a des morts, il y a un attentat'", se rappelle-t-il. "Y'a des morts?", demande-t-il. "Cabu, Wolinski...", répond le journaliste. "Je connais ces gens", se dit Pierre Kroll.
Une profession de grands enfants
Attaquer des caricaturistes revêt une dimension particulièrement violente pour le dessinateur de presse qui se compare à un grand enfant : "Ce qui est sidérant, c'est que les dessinateurs professionnels sont des enfants qui n'ont jamais cessé de dessiner, même si c'est un métier très sérieux, on a une pratique d'enfant", estime-t-il. "On n'imagine pas qu'on va être des soldats au front, qui vont se faire mitrailler pour ce qu'on a fait."
Quelque chose a fondamentalement changé
Dix ans plus tard, comment a évolué la liberté d'expression dans nos démocraties ? "Quelque chose a fondamentalement changé", assure Pierre Kroll. "Pas que à cause des attentats de Charlie Hebdo, car les réseaux sociaux sont très importants dans ce qui se passe maintenant", souligne-t-il. "Avant c’étaient des autorités qui se trouvaient légitimes pour fixer ce qu’on peut ou ne pas faire. Vous ne pouvez pas vous moquer de l’armée, du gouvernement, du chef de l’État, de l’Église… Maintenant, c’est tout le monde qui pense quelque chose d’un peu sacré pour lui, se trouve légitime à dire qu’il faudrait interdire ceux qui s’en moquent", déplore Pierre Kroll.
Pour autant, il n'est pas de ceux qui estiment qu'on ne peut plus rire de rien : "Les humoristes n'ont jamais été aussi nombreux sur scène, mais il faut savoir que ce qu'on fait peut être vu par n'importe qui dans le monde". Ces personnes pourraient ne "pas le comprendre", ne "pas le supporter", ou "l'instrumentaliser pour exciter des gens". Pierre Kroll assure que "l'humour, la déconne et la rigolade sont devenues des choses dangereuses".
Masi alors, peut-on caricaturer le prophète Mahomet ? "Je ne dessinais pas le prophète avant, je ne vais pas le dessiner après, pour le plaisir de me suicider", lâche-t-il.
Numéro spécial
Dix ans après l'attentat islamiste qui l'a frappé, Charlie Hebdo sort un numéro spécial mardi 7 janvier, à la date précise d'un anniversaire qui fait par ailleurs l'objet de nombreux hommages, avec des émissions spéciales et une kyrielle de livres.
Dans ce numéro spécial de 32 pages, l'hebdomadaire satirique publiera des caricatures sélectionnées lors d'un concours international lancé jusqu'à mi-décembre. Baptisé "#RireDeDieu", son but est de dénoncer "l'emprise de toutes les religions" sur la société, selon Charlie. La rédaction va également donner les résultats d'un sondage sur la question: la France est-elle encore Charlie?