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En deux heures, près de 800 taurillons embarquent dans un navire en partance pour la Tunisie. Une brève parenthèse d'activité pour le parc aux bestiaux du port de Sète (sud de la France), au ralenti depuis un embargo de l'Algérie sur les animaux français.
Les jeunes mâles ont été chargés dans des camions avant l'aube, à environ trois heures de route de là, dans l'exploitation de Jérôme Larroque. Ce négociant a affrété un bateau pour les acheminer jusqu'à ses clients en Tunisie.
Il résume son métier: "On les achète, on les vaccine, on les vend." Il faut aussi, désormais, les désinsectiser et s'assurer qu'ils ne sont pas porteurs de la maladie hémorragique épizootique (MHE), transmise par des moucherons piqueurs.
La maladie détectée pour la première fois en France en septembre n'a pas provoqué de cataclysme sanitaire - non transmissible aux humains, elle est rarement mortelle chez les bovins. Elle a en revanche secoué le commerce: les échanges internationaux sont soumis à de nouvelles restrictions.
Or la France, avec le premier cheptel bovin de l'Union européenne, ne garde pas tous les animaux nés sur son sol. Elle vend une grande partie de ses mâles en Italie, en Espagne et au-delà. Ils seront engraissés et abattus sur place.
Sur les rives françaises de la Méditerranée, Sète vient de perdre la place de premier port européen pour le transport de bétail vivant, principalement vers le Maghreb, parfois la Turquie, Israël ou le Liban. La ville a été détrônée par Carthagène (sud-est de l'Espagne) car les animaux ne partent plus qu'au compte-gouttes du port français.
L'Algérie, officiellement indemne de la MHE et auparavant principal acheteur des bovins au départ de Sète (80% de l'activité en 2022), n'a toujours pas rouvert ses portes.
En temps normal, le parc de transit des bestiaux voit passer 100.000 bovins et quelques dizaines de milliers d'ovins par an, selon Laurent Trémoulet, le directeur de cet outil appartenant à l'interprofession française de la viande bovine, à des exportateurs et des transitaires (intermédiaires du fret).
Le bâtiment, qui peut accueillir plus de 1.300 animaux, est désormais le plus souvent désert.
"On n'a plus qu'un bateau tous les dix jours. Avant, c'était entre deux et trois par semaine", regrette M. Trémoulet.
- "Prospecter d'autres marchés" -
Interrogés par l'AFP sur les raisons du blocage, les ministères des Affaires étrangères, de l'Economie, de l'Agriculture n'ont pas souhaité répondre, une source diplomatique française indiquant seulement que des "discussions" étaient "en cours pour la réouverture du marché algérien".
Les exportations d'animaux vivants et de génétique (semences de taureaux par exemple) en dehors de l'UE sont "extrêmement sensibles aux aléas diplomatiques et géopolitiques", selon un rapport de l'établissement public FranceAgriMer. Paris et son ex-colonie entretiennent des relations en dents de scie.
"Notre administration travaille intelligemment pour rouvrir ce flux commercial", affirme Laurent Trémoulet.
L'homme était plus remonté quelques semaines plus tôt au téléphone, agacé de ne rien voir bouger.
Le président du port, Philippe Malagola, pèse aussi ses mots: "Nos amis algériens font le maximum", avance-t-il. Selon lui, seules des "questions administratives, d'organisation interne" restent en suspens.
"Les importateurs algériens sont très demandeurs", ajoute-il, glissant qu'il faudra tout de même "prospecter d'autres marchés" pour moins dépendre de l'Algérie.
Ils espèrent un dégel juste avant le pic habituel du dernier trimestre.
En général, explique Maximin Bonnet, agroéconomiste à l'Institut français de l'élevage, les envois vers l'Algérie "sont assez dynamiques en fin d'année": les bêtes pourraient ainsi être engraissées pour le Ramadan (février-mars 2025).
D'après lui, la fermeture du marché algérien n'a globalement pas empêché les éleveurs français d'écouler leurs animaux, en raison d'une contraction du cheptel européen et d'une demande italienne soutenue. Mais les pays hors-UE achètent généralement les bêtes plus cher.
Dans le parc d'attente, les animaux vendus par Jérôme Larroque ont les muscles bien dessinés: des races à viande, "entre 1.200 et 1.400 euros par tête", soit une cargaison d'environ un million d'euros.
La réouverture de l'Algérie "va tirer les cours vers le haut pour toute la filière bovine" française, prédit Laurent Trémoulet, rappelant que la crise liée à la MHE est l'un des terreaux de la colère agricole qui a éclaté cet hiver en France.