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De l'illustration au travail sur les mots, la Québécoise Julie Doucet, grand prix du festival de bande dessinée d'Angoulême en 2022, est au cœur d'une grande exposition présentée au Musée Tomi Ungerer de Strasbourg.
"Ca fait 20 ans que je fais plein de choses, mais j'ai eu du succès en bande dessinée, j'ai eu cette étiquette, alors j'ai eu énormément de difficulté à montrer autre chose", explique à l'AFP l'artiste, âgée de 58 ans. "Il y a une pièce dédiée complètement à mon travail d'écriture, c'est une première, je suis tellement heureuse de pouvoir le montrer".
Baptisée "Julie Doucet - Une rétrospection" et inaugurée dans le cadre des "Rencontres de l'illustration 2024", l'exposition retrace le parcours créatif de cette autrice influente qui a multiplié les pratiques, du dessin à la gravure, en passant par le collage, la vidéo et la poésie.
Elle débute en présentant le fanzine autopublié qui l'a fait connaître au début des années 1990, "Dirty Plotte", un titre qui annonce la couleur, plotte étant un terme d'argot québécois désignant à la fois la vulve et une femme.
A l'époque, Julie Doucet vient d'abandonner ses études d'art plastique et livre, en toute liberté, des récits personnels et fantaisistes où elle se met en scène, évoquant ses rêves et ses cauchemars, la masturbation ou les menstruations, avec, déjà, ce souci pointu du détail dans ses dessins en noir et blanc.
"Je le faisais vraiment pour moi à l'époque, je n'avais aucun espoir d'être éditée. J'imprimais ce fanzine au début à 50 exemplaires, je n'imaginais pas être particulièrement lue", se remémore l'artiste, qui trouve "ironique et drôle" de voir ces dessins exposés.
"Je pensais juste que mes amis allaient rire mais c'est tout. Je ne réfléchissais pas plus que ça à ce que je mettais sur la page, je n'avais pas vraiment de censure", explique-t-elle.
Le succès est rapide et le fanzine, expédié à l'unité par la poste, attire l'attention des éditeurs, qui publieront en 1999 "My New York Diaries", récit de ses années new-yorkaises, quand elle dessine pour des journaux comme le Village Voice.
- "Je suis un satellite" -
Mais au début des années 2000, après plus d'une décennie de dessin acharné, Julie Doucet se retire progressivement du monde de la BD.
"Si on parle de la bande dessinée, c'est un milieu où il y a beaucoup d'hommes. Et puis au début des années 1990, il y a eu un énorme +backlash+ (retour de bâton, ndlr) anti-féministe. Être dans un milieu d'hommes, c'était assez particulier, compliqué... horrible", confie-t-elle.
"Ca a évolué, mais ce n'est pas parfait. C'est largement un milieu d'hommes encore, et j'ai moyennement envie d'être dans un milieu d'hommes. Je suis un satellite de ce milieu".
Dans la suite de son parcours, elle fonde le "Mouvement lent" et se consacre davantage au travail sur les mots. Dans son autobiographie, "J comme je", elle raconte les 15 premières années de sa vie à travers des collages de textes découpés dans des journaux et magazines, puis joue avec les mots, sur le plan sonore, dans sa série de poèmes "Je suis un K".
Toujours grâce aux collages, elle travaille l'aspect graphique des textes, avec des micro-publications comme "Un deux trois je ne suis plus là".
"Je suis toujours restée dans le mot et l'image. J'ai essayé de travailler avec seulement le mot, d'écrire un roman en tapant à la machine à écrire, mais c'était horrible, j'ai vraiment besoin d'avoir un aspect graphique, d'image, d'une manière ou d'une autre", explique l'autrice.
Dernièrement, elle a renoué avec le dessin, à travers le roman graphique, dont "Suicide total", publié en 2023 chez l'Association, sous la forme d'un leporello : un carnet composé d'une longue bande de papier d'un seul tenant, pliée en accordéon, qui n'autorise aucune erreur ni révision.
L'exposition est une des manifestations inscrites au programme de "Strasbourg, capitale mondiale du livre", label décerné par l'Unesco.