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Après trois semaines de plongée dans la guerre civile au Liberia et ses atrocités, place au verdict: la cour d'assises de Paris rend mercredi sa décision concernant l'ex-commandant rebelle Kunti Kamara, qui encourt la prison à vie pour complicité de crimes contre l'humanité.
Pour ses derniers mots à la cour, l'accusé, crâne chauve et moustache épaisse, a de nouveau contesté les faits mercredi matin. "Je suis innocent aujourd’hui, je suis innocent demain, j'étais un simple soldat, c'est tout", a déclaré M. Kamara, 47 ans, avant que la cour ne se retire pour délibérer et répondre aux 19 questions qui lui sont soumises.
Tout au long de ce procès inédit, filmé à des fins historiques, plaignants et témoins venus du Liberia ont fait basculer la cour dans l'horreur d'un conflit aux racines complexes, qui a décimé le petit pays d'Afrique de l'Ouest et ouvert une plaie encore béante trente ans plus tard.
"Les crimes commis sont trop horribles pour pouvoir être décrits", a résumé à la barre le journaliste et activiste libérien John Stewart.
Au moment de la première des deux guerres civiles libériennes (1989-1997), Kunti Kamara faisait partie du Mouvement uni de libération pour la démocratie (Ulimo), qui s'était emparé du nord-ouest du pays pour freiner la milice rivale du redouté Charles Taylor.
C'est dans cette région du Lofa que "C.O Kundi" - pour "commanding officer" - aurait pris part à des exactions contre les civils qui lui valent d'être jugé à Paris depuis le 10 octobre, au nom de la compétence universelle exercée par la France pour les crimes les plus graves.
"Les crimes dont il s'est rendu responsable (...) ont détruit des vies et leur gravité a porté atteinte à l'humanité toute entière", a affirmé l'avocate générale Aurélie Belliot lundi, réclamant à son encontre une des plus lourdes peines du droit français: la réclusion à perpétuité.
- "Mémoire imparfaite" -
Deux incriminations majeures pèsent sur lui. D'une part, des "actes de tortures et de barbarie", constitués notamment par sa participation à la mise à mort d'un civil en 1993, dont il aurait mangé le coeur avec d'autres responsables de l'Ulimo. Et la "complicité de crimes contre l'humanité" dont il se serait rendu coupable en facilitant les viols répétés de deux adolescentes par ses troupes.
Son passé de milicien avait ressurgi par hasard au milieu des années 2010. Son nom était apparu au détour d'une enquête menée en Suisse sur les crimes de guerre au Liberia reprochés à Alieu Kosiah, un ex-compagnon d’armes de l’Ulimo qui espérait le faire entendre comme témoin à décharge et qui a été condamné à 20 ans de prison en 2021.
Sa trace avait alors été retrouvée aux Pays-Bas où il avait obtenu l'asile politique après avoir menti sur son passé. M. Kamara s'était ensuite installé en 2016 en France où l'ONG Civitas Maxima, qui lutte contre l'impunité, a déposé plainte contre lui en juillet 2018, conduisant à son arrestation à Bobigny deux mois plus tard.
Tout au long du procès, le premier consacré en France aux guerres civiles libériennes, la défense s'est attaquée aux "lacunes" du dossier que l'accusation voudrait masquer par un "écran de fumée".
"Notre propos n’est pas de dire qu’il ne s’est rien passé au Liberia", a argumenté Me Marilyne Secci lundi dans sa plaidoirie. "Mais notre procès n’est pas celui de la guerre civile", c'est celui d'un "simple soldat sur le front" contre lequel les "preuves directes" font défaut, a ajouté l'avocate, mettant en cause la fiabilité des témoignages.
Faute de relevés d'ADN ou d'excavation des corps, le dossier repose sur la "mémoire imparfaite" des victimes, a reconnu l'avocate des parties civiles Me Sabrina Delattre mais "aucune d'elles n'a exagéré ses souffrances", a-t-elle assuré.
Selon le ministère public, le jugement de la cour fera date au Liberia, qui n'a jamais jugé les crimes de cette guerre. "Votre verdict sera historique et votre décision et la peine que vous prononcerez seront scrutées au Liberia et ailleurs", a estimé Mme Belliot.