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Au procès de trois auteurs présumés de guet-apens homophobes devant la cour d'assises de Paris, les victimes relatent vendredi la "terreur" et la "violence" de ces rendez-vous qui ont viré au cauchemar.
Les accusés, jugés pour séquestration, extorsion et vol avec arme en bande organisée, le tout à raison de l'orientation sexuelle des victimes, nient cependant le caractère homophobe des agressions.
Ce 22 janvier 2022, c'était le jour de son anniversaire, il était "heureux", se souvient à la barre un homme brun à la barbe fournie, première victime à témoigner.
En quête d'une rencontre furtive, cet enseignant en maternelle de 40 ans décide de se rendre sur le site homosexuel "Les Pompeurs" et fixe un rendez-vous "dans la demi-heure" à un utilisateur, "Eliasse9": il devra attendre ce dernier à son domicile, garder sa porte ouverte et se positionner nu, à quatre pattes, dans le noir.
Derrière ce pseudonyme se cache Guillaume N., 18 ans au moment des faits. Le visage enfantin, le jeune homme est dans le box des accusés.
Guillaume N. "s'est présenté à mon domicile, m'a rejoint dans ma chambre et j'ai senti que quelque chose n'était pas normal", décrit la victime, les mains tremblantes.
Son ravisseur lui attache les mains avec du scotch mais il parvient à se libérer. S'ensuit alors une "empoignade" qui le met "à terre".
"Quand j'essaye de me relever, je ressens un violent coup porté sur mon crâne" avec une arme de poing. Des photos de ses blessures, dont une à la tête, diffusées à l'audience témoignent de la violence de l'agression.
Aidé de Karim B., 19 ans à l'époque, également dans le box des accusés, Guillaume N. séquestre la victime et lui extorque bijoux et appareils électroniques.
"Un instant, j'ai eu l'idée qu'on pouvait me faire souffrir et me torturer", témoigne la victime en référence à une menace de Karim B. "C'était terrorisant".
Les ravisseurs enfin partis avec leur butin, l'homme se retrouve "perdu" et "hagard", décrivant, en larmes, son "énorme tentation" de "garder tout ça pour (lui)". Il se ravise, par "une sorte de devoir", se disant qu'ils "sont dangereux et que ça allait peut-être recommencer."
- "Puits sans fond" -
Deux jours après la première agression, et suivant un mode opératoire similaire, la seconde victime, âgée de 43 ans, vit un calvaire de plus de deux jours, dans l'attente de pouvoir effectuer un virement de 20.000 euros au profit de ses agresseurs.
Cette fois-ci, les ravisseurs utilisent un couteau et des menottes.
Guillaume N. et Karim B. reçoivent l'aide d'un troisième homme, Guy N., qui leur aurait fait parvenir un RIB. Libéré en mars, il est le seul accusé à comparaître libre.
"J'ai basculé dans un autre monde, je suis tombé comme dans un puits sans fond sans savoir quand ça allait s'arrêter", raconte la victime, lunettes noires et cheveux grisonnants.
Ce professeur de français confie avoir "connu la plus grande peur et la plus grande solitude de (sa) vie".
Profitant d'un moment d'inattention de ses ravisseurs, il parvient à contacter un proche. Guillaume N. et Karim B. sont arrêtés en flagrant délit.
"On voulait se faire de l'argent facilement", admet Guillaume N., entendu vendredi et qui se dit "désolé pour les victimes". Son acolyte renchérit un peu plus tard, tout en s'excusant auprès des parties civiles: "Je comprends la gravité de mes actes" et "reconnais l'intégralité des faits".
Deux ans après, les blessures psychologiques des victimes restent en effet vives. "Je suis plus anxieux, j'ai peur de beaucoup de choses", déplore la première victime, disant aussi sa "culpabilité" d'avoir vu son agression permettre des "améliorations" en vue du second guet-apens.
"Je me suis souvent dit que j'étais sorti de cet appartement, mais j'ai laissé quelque chose de moi là-bas", raconte la seconde victime qui souhaite que cette "affreuse parenthèse se ferme".
Les accusés se défendent de toute homophobie, mais ne nient pas avoir ciblé spécifiquement des personnes en raison de leur orientation sexuelle, notamment car cela leur semblait plus "facile", selon Guillaume N.
Un élément qui "suffirait à caractériser la circonstance aggravante", selon Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, avocat de l'association Stop Homophobie, partie civile au procès.