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La justice russe a placé mercredi en détention provisoire un vice-ministre de la Défense, Timour Ivanov, arrêté pour corruption et dont le train de vie avait été dénoncé en 2022 dans une enquête de l'organisation de l'opposant Alexeï Navalny.
Il s'agit d'un rare cas d'arrestation et de poursuites judiciaires graves au plus haut niveau de l'appareil militaire russe, qui intervient à un moment où le conflit avec l'Ukraine fait rage et où le pouvoir a décuplé les dépenses pour l'armée.
Le service de presse des tribunaux moscovites a annoncé que Timour Ivanov, âgé de 48 ans et à son poste depuis 2016, était placé en détention préventive pour au moins deux mois, jusqu'au 23 juin, dans l'attente de son procès.
Il est inculpé de "prise de pots-de-vin à grande échelle", un crime passible de 15 ans de prison.
Les mêmes accusations ont été portées contre un complice présumé, Sergueï Borodine, également placé en détention provisoire.
M. Ivanov est apparu mercredi à son audience dans un tribunal de Moscou en uniforme militaire, se tenant droit dans la cage en verre réservée aux détenus, peut-on voir sur des images diffusées par la justice russe.
Selon une source sécuritaire anonyme citée par l'agence de presse TASS, il sera en détention provisoire à Lefortovo, une prison de la capitale russe administrée par les services de sécurité russes (FSB). C'est là aussi qu'est détenu le journaliste américain Evan Gershkovich.
Mercredi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, qui selon l'opposition est déjà parti en vacances par le passé avec M. Ivanov, a appelé à ne pas tomber dans "les conjectures" autour de cette affaire.
"Énormément de ragots circulent actuellement. Il faut se tourner vers les informations officielles. Une enquête est en cours", a-t-il éludé.
Timour Ivanov était chargé du BTP au sein du ministère de la Défense, notamment de travaux dans des installations militaires.
Selon les enquêteurs, il a fait partie d'un système de corruption dans le cadre de "la réalisation de travaux contractuels et de sous-traitance pour les besoins du ministère de la Défense."
- Train de vie luxueux -
Fin 2022, M. Ivanov avait fait l'objet d'une enquête de la Fondation anticorruption, créée par le défunt leader de l'opposition Alexeï Navalny et interdite en Russie pour "extrémisme".
Selon cette enquête, le vice-ministre avait supervisé et profité de projets de construction à Marioupol, un port ukrainien conquis, après avoir été ravagé, par l'armée russe au printemps 2022 à l'issue d'un siège sans merci.
Les autorités russes n'avaient pas réagi à ces révélations.
L'ex-femme de Timour Ivanov, Svetlana Ivanova, était une personnalité faisant partie de l'élite fortunée et, toujours selon cette enquête, certaines de ses dépenses pour l'achat de produits de luxe avaient été réglées par des entreprises ensuite impliquées dans la reconstruction de Marioupol.
Dans les investigations de l'organisation d'Alexeï Navalny, le porte-parole du Kremlin apparaissait lui-même sur des images présumées de vacances en 2021 avec le couple Ivanov, où il semblait apparaître dansant au cours d'un petite cérémonie, déguisé en ours.
Depuis octobre 2022, Timour Ivanov est sanctionné par l'Union européenne en tant que haut responsable du ministère de la Défense. Dans l'enquête d'Alexeï Navalny, on affirme qu'il avait divorcé pour permettre à sa femme de contourner ces sanctions.
L'organisation de cet opposant mort en prison au début de l'année a mené de multiples enquêtes de ce type, accusant les plus hauts responsables de l'Etat de corruption, y compris Vladimir Poutine.
Elle avait notamment publié des investigations sur un palais somptueux des bords de la mer Noire censé appartenir au président russe, qui, face aux remous suscités, avait dû démentir en personne ces allégations.
En 2019, le magazine Forbes Russie avait désigné Timour Ivanov comme étant l'un des membres de l'appareil sécuritaire russe les plus riches de son pays.
Selon Forbes, ce diplômé en mathématiques et en cybernétique a fait une grande partie de sa carrière dans le domaine de l'industrie atomique et avait rejoint en 2012 l'équipe de Sergueï Choïgou, quand celui-ci était le gouverneur de la région de Moscou.
Il avait ensuite suivi, toujours selon Forbes, M. Choïgou après sa nomination au poste de ministre de la Défense, qu'il occupe toujours actuellement.
Par le passé, en particulier dans les années 1990 et 2000, après la dislocation de l'URSS, l'armée russe avait été éclaboussée par de multiples scandales de corruption ayant conduit à plusieurs reprises à de sévères peines de prison.