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Jeunes, retraités, catégories supérieures et même les urbains: le Rassemblement national de Jordan Bardella retire une à une ses épines du pied en parvenant à lisser la sociologie de son électorat, préalable selon le parti d'extrême droite à la conquête du pouvoir.
"Avant, on allait tous aux meetings de Chirac et Sarkozy... Mais avec tous les copains, on s'est reconnus chez Bardella, je retrouve les idées de l'UMP, du RPR": à Lille, Christophe, 53 ans, ne cache pas son intention de voter pour la liste RN aux européennes de juin, alors que ses suffrages s'étaient jusqu'alors "toujours" portés "à droite".
Ce qui a convaincu ce chef d'entreprise dans l'industrie automobile de passer à l'extrême droite? "Avec LR, j'étais orphelin: ils n'ont plus d'idéaux", tandis que que le RN "défend la France et les Français" et, surtout, "n'a plus cette idée de sortir de l'euro et de l'Europe, parce que je voyage beaucoup". "Bardella, il a les idées claires: il a une belle séduction, physique, mais aussi cérébrale", enfonce encore celui qui refuse de donner son patronyme, à l'instar de l'ensemble des personnes interrogées par l'AFP.
Avec, selon une étude d'Ipsos et de la Fondation Jean-Jaurès parue lundi, 32% d'intentions de vote pour le scrutin du 9 juin, le parti à la flamme "peut réaliser le score le plus important de son histoire", n'a pas manqué de rappeler la tête de liste âgée de 28 ans, mercredi, lors d'un meeting à Perpignan.
Sa performance pourrait également, au passage, être la meilleure depuis quarante ans à un scrutin européen et les 43% de Simone Veil en 1984.
- Plafond de verre -
Derrière ce triomphe annoncé, un Rassemblement national qui "devient un parti attrape-tout, présent dans toutes les catégories et géographies", analyse le patron de la Fondation Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein.
Y compris chez les cadres: quand à peine un d'entre eux sur dix votait pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2022, ils sont maintenant quasiment le double à assurer qu'ils se porteront sur le bulletin Bardella aux européennes.
"Le Rassemblement national est très puissant là où il l'était déjà: les employés, les ouvriers, les milieux populaires, les actifs", note le président délégué d'Ipsos, Brice Teinturier.
"Mais la nouveauté", outre le bond constaté chez les catégories supérieures, "c'est l'âge", poursuit-il, avec un RN "devant la liste de la majorité présidentielle chez les 60-69 ans et à jeu égal chez les plus de 70 ans: c'est totalement inédit et cela change tout".
Depuis plusieurs semaines, Marine Le Pen explique d'ailleurs à ses proches que c'étaient les disparités de son électorat qui maintenaient son plafond de verre - elle a essuyé les pires scores d'un candidat au second tour d'une présidentielle, exception faite de son père en 2002.
Ce "lissage sociologique" doit ainsi participer, selon elle, des conditions d'une victoire élyséenne en 2027.
- "Attaques au couteau" -
"Je vois bien maintenant que certaines personnes dans mon entourage vont voter RN, quand j'étais la seule il y a encore quelques années", témoigne Michèle, une retraitée venue écouter son champion à Perpignan. De 14% en 2022 à désormais 26% d'intentions de vote pour les européennes, la génération née avant 1955 se convertit au lepénisme, y compris lorsqu'elle est prospère: en trois ans, les retraités des catégories supérieures votant RN sont passés de 12% à 21%.
A l'autre bout de la pyramide, la petite-fille de la septuagénaire perpignanaise, Lubjana, illustre une autre percée spectaculaire, chez les 18-24 ans. "J'aime bien Bardella, ses idées, comment il parle", explique la lycéenne qui se rendra pour la première fois aux urnes en juin.
Comme 1,2 million de jeunes "et presque tout le monde dans (son) lycée", elle s'est abonnée au compte TikTok du leader d'extrême droite après que "les algorithmes" le lui ont suggéré. Efficace pour glaner des voix? Dans cette catégorie, ils sont en tout cas désormais 32% à s'apprêter à voter pour le parti fondé par Jean-Marie Le Pen, contre à peine 18% il y a trois ans.
Jordan Bardella s'attaque aussi à des forteresses jusqu'alors réputées imprenables: "27% en Bretagne; plus de 28% dans la France urbaine des villes de plus de 200.000 habitants", pointe M. Finchelstein.
Réputé davantage libéral que Marine Le Pen, le patron du RN parvient pourtant à convaincre des ex-électeurs de gauche, telle Laëtitia, une aide-soignante de Collioure (Pyrénées-Orientales) qui votait "toujours PS". "Mais avec tout ce qu'on voit dans l'actualité, les attaques au couteau... Le RN, ce sont eux qui donnent envie de se battre: ils donnent un peu d'espoir", estime la quadragénaire.
A ses côtés, son compagnon Jean-Louis hoche la tête. "C'est un trop plein de tout, même si avant, j'aimais pas du tout ces idées-là". Avant? "Il y a encore deux ans, j'étais encarté chez LFI."