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"Patrimoine" ou "ruine": au Mesnil-Le-Roi (Yvelines), le "Bordel allemand", bâtisse réquisitionnée comme maison close pendant l'Occupation nazie, continue de diviser, 80 ans après la Libération, l'actuel propriétaire, la mairie et les riverains.
"Je la détruirais pour faire autre chose", tranche Fabrice, 38 ans, un promeneur qui se balade parfois au Mesnil, à 24 km de Paris, un "coin agréable" entre la Seine et le viaduc de l'A14. Pour cet informaticien, le "Bordel allemand", envahi par la végétation, n'est qu'une simple "ruine".
De fait, cette demeure en béton aux allures de forteresse, accessible par un petit sentier, ne cesse de se détériorer: trous béants aux trois étages, balcon et escalier effondrés, aucune trace du mobilier de l'époque...
Les murs sont couverts de tags, de représentations de personnages de manga. Parmi les gravats, des bouteilles d'alcool, des déchets alimentaires ou un canapé décrépi montrent que le manoir est le théâtre de fêtes clandestines.
"C'est une propriété privée mais tout le monde y va", soupire le maître des lieux, Bruno Chiumento, 69 ans, qui dit avoir maintes fois installé des panneaux pour le signaler.
- "Villa Sapène" -
Ce promoteur immobilier résidant dans la Vallée de Chevreuse (Yvelines) explique à l'AFP être devenu propriétaire du "Bordel allemand" entre "2008 et 2010" après en avoir entendu parler "complètement par hasard" et racheté les parts auprès d'un associé aujourd'hui décédé.
"Le terrain est grand - une parcelle de 17 hectares. Pourquoi ne pas essayer de monter un projet immobilier? On verra quand ça pourra se faire", explique-t-il.
M. Chiumento se montre confiant: avant d'être propriétaire, le terrain aurait été parmi les favoris d'un concours organisé début 2000 par la Fédération française de rugby (FFR) pour y construire l'actuel Centre national de rugby de Linas-Marcoussis, doté de 20 hectares. Contactée par l'AFP, la FFR n'a pas confirmé ses dires.
Les années passent et Bruno Chiumento ne parvient pas à transformer l'essai.
Le site est progressivement classé zone PPRI (plan de prévention des risques d'inondation). Sa localisation près de la Seine laisse "2 hectares et demi, voire juste un peu plus", exploitables.
Pour le maire du Mesnil-Le-Roi (DVD), Serge Caseris, cela aurait dû inciter Bruno Chiumento à sceller le sort du "Bordel allemand": "ou bien le propriétaire clôt son terrain pour éviter la fréquentation et des accidents, ou bien il détruit".
L'élu ne se voit pas dépenser "des centaines de milliers d'euros" pour acquérir ce qui était à l'origine la "Villa Sapène", construite peu avant 1920 par Jean Sapène, directeur du Petit Journal.
Cette villa de type Art déco a été réquisitionnée "dans la période 39-45 parmi d'autres sur le Mesnil.
Les officiers allemands qui habitaient à Paris ou Saint-Germain, venaient passer leur week-end ici en bonne compagnie, d'où le nom du +Bordel allemand+", relate à l'AFP Serge Caseris.
- "Tourner la page" -
Bruno Chiumento n'a aujourd'hui qu'une seule envie: "tourner la page" de ce lieu. Convaincu que l'on peut reconstruire le manoir et en faire "une très belle propriété", le promoteur propose une vente à 2,5 millions d'euros, "la compilation des frais, études et intérêts sur la durée".
"2,5 millions, si c'est une ruine, c'est abusif", estime Jacqueline Mazeyrat, attablée dans un restaurant non loin du manoir. Cette retraitée de 79 ans préférerait "tout raser vu les travaux qu'il y aurait à faire".
A contrario, sa soeur aînée, Monique, 85 ans, pour qui le "Bordel allemand" est un "patrimoine", pense qu'il faudrait "investir pour en faire un lieu de culture". Par exemple, "un petit musée que tout le monde viendrait voir", abonde Mohamed Zarrouga, 52 ans, co-gérant du restaurant. Jacqueline Mazeyrat suggère alors de "demander" à Stéphane Bern.
Chaque année, l'animateur organise un Loto du patrimoine pour financer l'entretien de monuments en péril.
Se rapprocher de la Fondation du patrimoine et mobiliser le public autour d'une restauration du "Bordel allemand", serait-elle une solution pour Bruno Chiumento ?
"Si je voulais le garder oui, mais ce n'est pas le cas". Pour l'heure, le promoteur indique simplement discuter avec une société ayant "un projet bien précis" sur la partie exploitable, "pas pour faire de l'immobilier".