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"Il ne doit pas être facile de regarder les victimes dans les yeux lorsque l'on sait que l'on a quelque chose à se reprocher..." Au procès de l'accident du TGV Est, les familles des victimes n'ont pas mâché leurs mots vendredi pour dénoncer "le manque de courage" des sociétés mises en cause.
"J'attendais d'avoir devant moi les vrais chefs d'entreprise et non pas des personnes missionnées, je perçois un manque de courage", a dit à la barre du tribunal judiciaire de Paris Marine Miannay, dont le père Christophe est mort dans le déraillement survenu en Alsace le 14 novembre 2015.
Au total, onze personnes ont perdu la vie dans cet accident et 42 autres ont été blessées.
Si la douleur et le chagrin ont une nouvelle fois émaillé les témoignages, souvent poignants, des endeuillés ou des rescapés qui ont trouvé "le courage et la dignité", selon les mots de la présidente Marie Debue, de venir témoigner, la colère s'est aussi faite entendre dans l'enceinte de la 31e chambre du tribunal.
"J'ai appris que les personnes morales (la SNCF et sa filiale Systra, chargée des essais, ndlr) plaideraient non-coupables, qu'elles n'étaient pas responsables et ça je ne (peux) l'admettre", a affirmé Mathilde de Saint-Léger, dont le fils Cyrille a été blessé dans l'accident.
Au fil des auditions et des témoignages, "j'ai compris (que l'accident) n'est pas la faute à +pas de chance+ comme on a voulu nous le faire croire au début", a dit Mme de Saint-Léger. "J'ai compris qu'il y a eu des erreurs, des négligences et des manquements graves dans la coordination, la communication, l'analyse des risques et, fatalement, l'exécution de cet essai dynamique en survitesse", a-t-elle ajouté.
- "Stratégie du déni" -
Également présent à la barre, son mari Olivier de Saint-Léger s'est indigné de la stratégie des prévenus qu'il a résumé par la formule: "c'est pas moi, c'est l'autre".
"Vous n'avez cessé de vous renvoyer la balle", a-t-il déploré avant de souligner avec une cinglante ironie: "au moins, en vous renvoyant la balle, reconnaissez-vous implicitement qu'il y a un grave problème entre vous".
"Vos conseils d'administration, vos comités de direction, vos comités exécutifs ont délibérément choisi la stratégie du déni", a déploré M. de Saint-Léger.
Cette stratégie "est stupide et improductive. Vous n'en sortirez pas grandis. Votre image de marque en prendra un coup", a-t-il estimé. "Votre parti pris de nier ne peut que vous desservir aux yeux des victimes, de l'opinion", a-t-il poursuivi.
Cette "stratégie du déni" reflète "l'arrogance, l'irresponsabilité, l'incompétence, la lâcheté, le cynisme et la bêtise de vos organisations et/ou de vos dirigeants", a martelé M. de Saint-Léger face à des bancs de la défense assez clairsemés.
"Ne vous sentiriez-vous pas nettement plus à l'aise si vous aviez rapidement reconnu vos torts?", interroge-t-il... sans évidemment obtenir de réponse.
S'adressant enfin au tribunal et au procureur, le père de Cyrille qui a perdu sa petite amie, Fanny Mary, dans l'accident, demande: "n'oubliez pas s'il vous plaît les onze morts, n'oubliez pas les blessés dans leur chair, n'oubliez pas les blessés dans leur esprit".
L'enquête a établi que ni le matériel ni la voie ne pouvaient être mis en cause pour expliquer le déraillement du TGV, qui transportait 53 personnes, dont 35 "invités". La vitesse excessive et un freinage tardif sont à l'origine de l'accident.
Le TGV a abordé une courbe à 265 km/h, très largement au-dessus des 176 km/h prévus à cet endroit. Il a déraillé 200 mètres plus loin, heurtant le parapet du pont au-dessus du canal de la Marne au Rhin à la hauteur d'Eckwersheim (Bas-Rhin), à 20 km de Strasbourg, à une vitesse estimée de 243 km/h.
Les plaidoiries des parties civiles sont prévues lundi et mardi.
Le procès doit s'achever le 16 mai et la décision n'est pas attendue avant plusieurs mois.