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Devant les rares magasins de Nouméa qui n'ont pas été ravagés par les flammes, les files d'attente ne cessent de s'allonger. Après quatre longues nuits d'émeutes et de pillages, la population de Nouvelle-Calédonie s'organise pour faire face aux pénuries qui menacent.
Pour accéder à ces commerces qui n'ouvrent que quelques heures en fonction de leurs stocks, il faut prendre son temps.
C'est le cas de Kenzo, un jeune homme de 17 ans qui accompagne sa mère dans l'espoir de se ravitailler en pâtes et en riz. "Cela fait plus de trois heures qu'on est là", soupire-t-il au milieu d'une longue file. Les plus prévoyants ont pris une chaise pliante ou un parapluie pour se protéger du soleil.
"Comme tout le monde, on prend notre mal en patience", commente-t-il, fataliste. "De toute façon, on ne peut pas vraiment faire autrement..."
Les premiers chiffres révélés par le président de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de l'archipel français du Pacifique sud, David Guyenne, sont inquiétants.
Les émeutes suscitées par la réforme électorale ont déjà fait plus de 200 millions d'euros de dégâts, a-t-il évalué jeudi. Et de 80% à 90% de la chaîne de distribution commerciale (magasins, entrepôts, grossistes) de Nouméa a été "anéanti".
Les quartiers nord de la plus grande agglomération du territoire et les communes de Dumbéa, du Mont-Dore et de Païta ont été particulièrement touchés.
Les autorités locales ont toutefois balayé tout risque de pénurie.
- "Le sucre, c'est mort" -
"En lien avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l'Etat se mobilise pour apporter le soutien à la population et organiser l'acheminement des produits de première nécessité", a assuré vendredi matin le Haut-commissaire, Louis Le Franc. Et, c'est promis, un "pont aérien" doit se mettre en place entre l'Hexagone et son archipel, séparés de plus de 16.000 km.
N'empêche. La patience des habitants en quête de ravitaillement n'est pas toujours récompensée.
Devant la grille fermée d'une grande surface qui laisse passer les clients au compte-goutte, un employé fait l'inventaire. "Il reste une palette complète de riz. C'est deux (paquets de) riz par personne, deux (de) pâtes et un pack d'eau. Le sucre, c'est mort, il n'y en a plus. Il reste des boîtes de conserve".
"On fait avec le strict minimum que l'on a", commente sous couvert d'anonymat le salarié. "On devait recevoir un gros stock mardi mais nous ne l'avons pas eu".
Pierre, 52 ans, vient d'arriver dans la file d'attente. Sa femme l'a envoyé chercher du pain et des biscuits. Il a pu arriver jusqu'à la grande surface grâce à des voisins qui lui ont fait une petite place dans leur voiture.
"Heureusement qu'il y a les voisins", se réjouit-il. "Dans le quartier, tout le monde se donne la main. Pour la nourriture, pour le transport. L'important, c'est ça. Le partage".
- "Manquer un peu" et "partager" -
Après quatre nuits d'émeutes, certains commencent à craindre de devoir se serrer un peu la ceinture.
"Nous allons peut-être manquer un peu mais nous avons ce qu'il faut dans le jardin, des ignames, des maniocs", se rassure Pascale, la quarantaine, qui a rejoint la file d'attente d'une grande surface, "et nous partageons avec les gens autour".
Quand les premiers commerces ont été détruits, certains n'ont pas hésité à passer de la débrouille au pillage caractérisé. A quelques centaines de mètres de cette grande surface, une autre a été saccagée et entièrement vidée.
Parfois, nécessité fait loi. Depuis lundi, il n'est pas rare de croiser dans les rues de certains quartiers des personnes poussant des chariots pleins. "On a besoin de lait pour les enfants. Je ne considère pas que ce soit du pillage", a plaidé auprès de l'AFP une habitante qui a requis l'anonymat.
Pour faciliter le ravitaillement, le média public Nouvelle Calédonie la 1ère a lancé un radio service en temps réel qui oriente la population vers les commerces ouverts.
Les réseaux sociaux eux aussi se sont mis à l'heure de la débrouille et de l'entraide. Sur un groupe WhatsApp, des sages-femmes offrent même leurs services aux femmes enceintes qui ne peuvent plus rallier l'hôpital pour accoucher.