Partager:
Le Parlement européen se prononce cette semaine sur la révision de la Politique agricole commune (PAC) détricotant ses règles environnementales pour répondre à la colère du secteur, dans le cadre d'une procédure d'urgence contestée par la gauche et des ONG.
Les eurodéputés en plénière voteront mardi sur l'assouplissement des obligations de prairies permanentes, puis jeudi sur une vaste révision législative de la PAC.
Abandon des jachères, labours, contrôles... Sous pression des Vingt-Sept face aux manifestations agricoles, la Commission européenne avait proposé mi-mars d'assouplir, voire de supprimer, une partie des critères "verts" que la nouvelle PAC impose depuis 2023.
Des révisions entérinées sans changement substantiel par les Etats une semaine plus tard, avant d'être rapidement soumis au Parlement.
"Cela répond à la crise, en offrant un répit aux agriculteurs sur la complexité administrative (...) ça n'empêchera pas de travailler lors de la prochaine législature" pour adapter encore la PAC "si ce qu'on adopte dans l'urgence ne s'avère pas totalement efficace", indique à l'AFP l'eurodéputé Jérémy Decerle (Renew, libéraux).
"Outre l'urgence sur le terrain, il s'agit de la dernière session pour légiférer" avant les élections de juin, ajoute Anne Sander (PPE, droite), tout en reconnaissant que "les questions de partage de la valeur (pour les agriculteurs) restent en suspens".
Les eurodéputés examinent mardi l'acte administratif aménageant les obligations de maintien des prairies permanentes à leur niveau de 2018, permettant aux Etats de modifier l'année de référence, notamment pour les éleveurs se convertissant dans les céréales.
La commission parlementaire Agriculture avait décidé de ne pas s'y opposer, mais une centaine d'eurodéputés socialistes et verts ont réclamé un vote en plénière: "Cela ne réglera pas le problème des revenus agricoles" tout en sapant ces "puits de carbone" naturels, s'indigne l'eurodéputé socialiste Christophe Clergeau.
- "Improvisation" -
Jeudi, les eurodéputés s'exprimeront sur la révision législative détricotant les critères environnementaux stricts ("conditionnalités") que les agriculteurs doivent respecter pour toucher des paiements dans le cadre de la PAC 2023-2027 et que les organisations agricoles jugent impraticables.
Le texte autoriserait les Etats à supprimer complètement l'obligation de laisser au moins 4% des terres arables en jachères ou surfaces non-productives (haies, bosquets, mares...), après une suspension temporaire accordée pour 2023 puis 2024.
L'obligation de rotation des cultures pourrait être remplacée par une simple "diversification", l'interdiction de sols nus durant les périodes "sensibles" et l'encadrement des labours seraient assouplis, et en cas d'épisodes climatiques extrêmes, des dérogations seraient possibles.
Surtout, les exploitations de moins de 10 hectares (soit 65% des bénéficiaires de la PAC, pour 9,6% des surfaces) seraient exemptées de contrôles et pénalités liés aux règles environnementales.
Si le texte adopté reprend peu ou prou celui du Conseil, il pourrait entrer en vigueur rapidement après ultime feu vert des Vingt-Sept. Seule la gauche soutient des amendements substantiels, notamment pour plafonner les aides aux grosses exploitations et rétablir les obligations de surfaces à haute diversité.
"On revoit profondément l'équilibre de la PAC, on prétend répondre aux mobilisations agricoles en 3 semaines dans l'improvisation totale, sans étude d'impact et sans vérifier si cela règle les problèmes de fond", indique M. Clergeau à l'AFP.
En offrant des souplesses aux Etats, "le risque est de renforcer les distorsions de concurrence dans l'UE", ajoute-t-il.
-"Cadeau empoisonné"-
L'ONG ClientEarth entend saisir la médiatrice de l'UE pour contester une procédure d'urgence violant selon elle les "lignes directrices" de l'exécutif européen en termes de transparence et de consultations.
Celles-ci, menées précipitamment "en cinq jours", ont notamment ignoré l'opposition de la fédération de l'agriculture bio (Ifoam) et de la coordination agricole alternative Via Campesina.
La Commission "a invoqué l'+urgence politique+, seulement utilisé pour la pandémie et la guerre en Ukraine.
Adopter une approche de crise pour des mesures qui nécessitent une réflexion approfondie aura des répercussions dévastatrices", avertit Sarah Martin, juriste de ClientEarth.
"On ne remet pas en cause toute la partie environnementale de la PAC, il s'agit simplement d'introduire un peu de souplesse: c'est une réponse conjoncturelle à une situation exceptionnelle", rétorque Jérémy Decerle.