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L'organisation séparatiste basque ETA a annoncé jeudi sa dissolution et la fin de toute activité politique, mettant ainsi un point final à la dernière insurrection armée d'Europe occidentale, qui a fait plus de 800 morts et des milliers de blessés en quatre décennies.
"Voilà c'est fait, ça nous a pris 15 ans pour en arriver là et c'est terminé en 15 minutes", a déclaré à Genève David Harland, directeur exécutif du Centre pour le Dialogue Humanitaire, organisation privée spécialisée dans la résolution des conflits.
Il venait de lire le communiqué d'ETA annonçant sa dissolution, au cours d'une très brève cérémonie.
Dans une "déclaration finale" datée du 3 mai et distribuée à la presse à Genève, l'organisation clandestine dit avoir "démantelé l'ensemble de ses structures" et "mettre fin à toute activité politique".
Dans un enregistrement audio en ligne sur la plateforme internet du journal basque Gara, relais privilégié de l'organisation pour ses communiqués, le texte a été lu en différentes langues par un chef historique de l'organisation, Jose Antonio Urrutikoetxea, dit Josu Ternera, en fuite depuis 2002, et l'"etarra" emprisonnée Marixol Iparragirre.
L'ETA assure avoir pris cette décision "pour que le processus en faveur de la liberté et de la paix continue à travers d'autres voies". "C'est la conséquence logique de la décision adoptée en 2011 d'abandonner la lutte armée", ajoute-t-elle.
Le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy avait dénoncé par avance un coup de "propagande" et prévenu que l'ETA n'obtiendrait "pas d'impunité pour ses crimes", en disant : "Nous ne lui devons rien et nous n'avons à lui être reconnaissants de rien".
Fondée en 1959 sous la dictature de Francisco Franco, l'ETA a fait au moins 829 morts dans une campagne d'assassinats et d'attentats à la bombe en Espagne et en France, au nom de l'indépendance de "Euskal Herria", le Pays basque espagnol et français et la Navarre.
Décimée par les arrestations de ses chefs, l'organisation classée comme terroriste par l'Union européenne avait renoncé à la violence en 2011 et livré ses armes l'année dernière. Elle avait franchi un pas supplémentaire, dans un message diffusé le 20 avril, en demandant pardon aux victimes qui n'étaient pas parties au "conflit". L'opinion avait froidement accueilli cette déclaration qui laissait entendre que les autres, comme les policiers, pouvaient être des cibles légitimes.
L'annonce de la dissolution devait être suivie vendredi d'une "conférence internationale" à Cambo-les-bains au Pays basque français, où sont attendus l'ancien chef du Sinn Féin irlandais Gerry Adams et des représentants de plusieurs partis espagnols.
"Nous pensons avant tout aux nombreuses victimes de l'ETA et à leurs proches. Nous attendons désormais la matérialisation de l'annonce de sa dissolution, notamment la remise de ses dernières armes", a déclaré la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Agnès von der Mühll. "Si elle est confirmée, cette annonce marquera un succès majeur de la coopération franco-espagnole. (...) Nous devons rester vigilants et ne pas relâcher nos efforts contre toutes les menaces terroristes", a-t-elle ajouté.
"L'ETA devait (cette dissolution) à la société basque et à l'ensemble de l'humanité", a déclaré jeudi aussi le président de la région basque, le nationaliste Iñigo Urkullu. "Elle n'aurait jamais dû exister". Il a fait part de sa "détermination à travailler ensemble pour un futur de coexistence normalisée", respectant "la mémoire (...) et les droits de tous".
Pour le directeur d'Amnesty International en Espagne, Esteban Beltran, "la disparition de l'ETA est un tournant, qui clôt une période noire, mais ne réduit pas le moins du monde la responsabilité de ses membres pour qu'ils collaborent à l'enquête et à l'éclaircissement des assassinats commis, extorsions, menaces et harcèlements ayant visé de larges secteurs de la population".
- 358 crimes encore inexpliqués -
Beaucoup de victimes de l'ETA ne sont pas encore prêtes à pardonner le sang versé.
Lors d'une conférence de presse à Saint-Sébastien - ville basque ayant connu le plus d'attentats -, le Collectif des victimes du terrorisme a exigé que l'ETA condamne la terreur et aide à élucider 358 crimes encore inexpliqués.
L'immense majorité des Basques rejette la violence, mais une minorité réclame encore l'indépendance.
La coalition séparatiste EH Bildu (gauche), second parti au parlement basque, a recueilli 21% des voix aux élections régionales de 2016.
Son président Arnaldo Otegi est un ancien membre de l'ETA, mais l'un des premiers à avoir milité dans l'organisation pour l'abandon de la lutte armée. "Nous sommes toujours un peuple qui ne connaît ni la paix ni la liberté. Nous ne cesserons pas de chercher à les atteindre, avec notre travail et notre activité quotidienne", a-t-il déclaré jeudi lors d'un bref point presse à Saint-Sébastien.
Bildu demande, comme le Parti nationaliste basque de M. Urkullu, que les quelque 300 prisonniers de l'ETA qui purgent leur peine en Espagne et en France puissent être incarcérés plus près de leurs familles.
Aux attentats de l'ETA avait répondu une "sale guerre" : assassinats de membres de l'ETA par des groupes para-policiers, tortures aux mains de la police. Les victimes de ces actes-là demandent, comme l'ETA, que cette violence soit prise en compte.