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Faute de subsides, certaines églises, qui sont aux villages ce que Notre-Dame est à Paris, menacent de tomber en ruine dans des milliers de communes de France. Et les experts du patrimoine sont partagés entre la jalousie face à l'afflux de dons pour la cathédrale parisienne, et l'espoir d'une mobilisation.
Selon l'Observatoire du patrimoine religieux (OPR), quelque 5.000 édifices religieux se délabreraient. Un chiffre controversé entre experts, tant l'état exact de 40.000 à 60.000 églises et chapelles de tous acabits dans 36.000 communes est difficile à établir.
Cela va de la chapelle de lycée transformée en garage à vélos à l'imposante église qui semble en bon état mais dont personne ne voit que la charpente est pourrie.
Depuis la loi de séparation de 1905, les communes ont la charge d'entretenir les églises construites avant cette date. La très grande majorité. Et l'Etat n'intervient que pour les sites qu'il a répertoriés: bâtiments inscrits ou classés.
Le bon côté de l'"effet Notre-Dame"...
Le côté pile de la médaille est une mobilisation territoriale croissante: des dizaines de milliers de passionnés bénévoles, lanceurs d'alerte, jeunes ou retraités. Des référendums locaux. Un "remarquable effet Stéphane Bern" qui mobilise élus et administrés. Et, "dans 90% des cas, des maires désireux de sauver leurs églises", estime Olivier de Rohan, président de la fondation Sauvegarde de l'art français.
Révèle aussi la dure réalité des choses
Par contre, les grandes entreprises, que Stéphane Bern voudrait mobiliser, "ne mettent pas un sou" dans les petites églises en péril, "un interdit" pour leur image, regrette-t-il. "On crie à l'assassinat (des églises) alors que très peu de gens veulent les assassiner", ironise le président de Sauvegarde de l'art français, association qui apporte son expertise scientifique et financière, pour détecter notamment les devis gonflés.
Olivier de Rohan fait la différence entre l'étranglement financier des communes rurales et "le scandale" des églises parisiennes mal entretenues: Paris qui, pour l'état de ses églises, "ressemble à Naples en 1947".
Notre enjeu, c'est que l'incendie de Notre-Dame... provoque une prise de conscience
Le sauvetage de centaines d'édifices ruraux en majorité religieux est le pain quotidien de la Fondation du patrimoine (FDP): "l'église joue le même rôle au village que Notre-Dame au niveau national. Elle donne attractivité, sentiment de confiance. Quand on la démolit, elle laisse une trace, l'absente est toujours présente. Et notre enjeu, c'est que l'incendie de Notre-Dame n'absorbe pas la générosité des Français et des étrangers, mais au contraire provoque une prise de conscience de notre capacité à faire de même" au plan local, affirme Célia Vérot, sa directrice générale.
Selon elle, "ce patrimoine-là n'est pas en train de brûler. C'est plus lent. Une dégradation parfois invisible". Avec des coûts de sauvetage souvent accrus.
Des combats sont gagnés de haute lutte: l'église néoclassique Saint-Martin d'Arc-sur-Tille, monument néoclassique près de Dijon, que le préfet et le diocèse ne pensaient pas pouvoir sauver, a ainsi été restaurée. "Elle n'a pas cédé la place à la salle polyvalente prévue", observe Alexandre Gady, président de l'association "Sites et monuments".
"Il arrive qu'on sauve une église contre l'avis de l'évêque avec le soutien du maire communiste", s'amuse M. Gady.
Des chantiers compliqués
"Certaines villages ont leur deuxième, voire leur troisième église. Et les chantiers deviennent de plus en plus techniques: multiplication des normes, étude préalable, sécurisation. Vous avez à aligner pas mal d'argent avant le premier coup de pioche", note M. Gady, selon qui les communes et regroupements de communes ont de multiples autres priorités croissantes, notamment sociales.
Si même la mairie de Versailles a du mal à trouver 10 millions d'euros pour rénover les combles de son église Notre-Dame, que dire à l'échelle d'une commune de 270 habitants qui a une école, un gymnase, une crèche et un stade de foot...
Des monuments qu'on laisse dépérir
Comme il est interdit de détruire une église qui reste consacrée tant qu'on y célèbre une seule messe par an, le maire va parfois la laisser s'écrouler, demandant au préfet de prendre un arrêté péril. Des bâches, des barrières, des rubans très laids sont installés tout autour pendant des années. "Il devient plus facile alors de faire voter par le conseil municipal sa démolition. D'autant que souvent l'évêque, confronté aux églises vides, n'est pas le plus combatif", note Alexandre Gady.