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Il existe de nombreux types de papiers et de cartons. Les emballages, les papiers graphiques, les papiers journaux, les papiers domestiques et sanitaires (essuie-tout, papier toilette, …), et les papiers techniques et spéciaux (billets de banque, étiquettes, …). Une question se pose: comment fonctionne leur production?
La matière première, ce sont évidemment les arbres. La Belgique est un des pays qui a les plus petites récoltes de bois dans l’ensemble de l’Union Européenne. Notre pays est donc poussé à importer de la matière première. Selon les estimations du WWF, la Belgique importe l’équivalent de 24 millions de mètres cube de bois chaque année. Entre 2012 et 2017, 8,2 milliards d’euros auraient ainsi été dépensés annuellement pour ce type d’importation.
"Plus de 60% des arbres proviennent de la France", assure Firmin François, directeur de l’Indufed (Fédération de l’industrie durable), qui représente les secteurs du verre, du carton et du papier. "On en a aussi d’Allemagne, du Luxembourg, et évidemment de Belgique". Nos propres forêts nous procurent ainsi chaque année 21% du bois utilisé dans la production de papier. Faire venir des arbres de pays plus lointains n’est pas rentable. "Le transport deviendrait hors de prix. Transporter des arbres, c’est transporter de l’eau en partie".
Plusieurs procédés pour obtenir la pâte à papier
Les arbres sont transformés en pâte à papier (ou pulpe). Plusieurs espèces d’arbres sont privilégiées. "On fait principalement des pâtes à papier de feuillus. En Finlande, on fait de la pâte de bouleau. On n’a pas de forêts de ce type en Belgique, donc on a développé une pâte mixte. Elle est composée de chêne, de hêtre, de charme et de peuplier".
La pâte peut être produite de différentes manières. Tout d’abord, un processus de cuisson pour des pâtes dites chimiques. Les copeaux de bois sont cuits dans une solution alcaline. La pâte ne conserve alors que les fibres de cellulose du bois. Le papier obtenu sera destiné à une utilisation assez longue (livres, cahiers, etc.).
Autre procédé: le défibrage mécanique. Les plaquettes de bois sont imprégnées de sulfite de sodium, chauffées à la vapeur, puis défibrées entre deux disques métalliques pourvus de lames. La pâte mécanique contient encore la lignine du bois (la lignine est une macromolécule qui apporte rigidité et imperméabilité à l'eau, ainsi qu'une grande résistance à la décomposition). C’est elle qui est responsable du jaunissement du papier au fil du temps. Les papiers obtenus deviendront plutôt des pages de magazines, par exemple.
Un rendement différent
La quantité de bois nécessaire pour produire ces deux pâtes est sensiblement différente. Pour la pâte chimique, le rendement est de 50%. Pour chaque tonne de bois, on aura une demi-tonne de pâte. Le reste sera utilisé pour produire de l’énergie électrique et de la chaleur. La pâte mécanique conserve beaucoup plus de matière. Pour chaque tonne de bois, on obtient environ 950 kg de pâte.
Dans les deux cas, ces pâtes doivent être blanchies, en utilisant du peroxyde d’hydrogène (pour les pâtes mécaniques), ou des produits chlorés (pour les pâtes chimiques). Ces derniers ont par contre tendance à être de plus en plus remplacés par des produits sans chlore.
Autre pâte à papier: la pâte de recyclage. Les vieux papiers sont plongés dans l’eau, ce qui met les fibres en suspension. L’opération permet d’obtenir une pâte grisâtre qui sera nettoyée de tout déchet. Elle sera ensuite désencrée, voire blanchie dans de nombreux cas.
Les fibres de la pâte à papier passent entre les lames d’un raffineur. La pâte est ensuite projetée sur une toile, avant d’entrer dans une presse. Dernière étape: le séchage, un processus assez énergivore. On envoie de l’air chaud sur le papier, ou on le met en contact avec un cylindre métallique chauffant. La feuille connaîtra enfin quelques traitements de finition, qui la rendront plus lisse et plus brillante. Une machine à papier moderne produit en une heure une feuille de 10 mètres de large et de 120 kilomètres de long.
La pâte à papier est désormais majoritairement importée
Les industries papetières ont également l’occasion d’importer directement de la pâte à papier, prête à être transformée, ce qui leur permet de rentabiliser leur processus de production. "Il existe de la pâte d’eucalyptus, dans certains grands pays comme l’Uruguay, le Brésil, le Chili, mais aussi le Portugal", évoque Firmin François. "Ces eucalyptus sont exploitables 5 ans après leur plantation, c’est donc assez rentable". Les arbres coupés sont ensuite remplacés par d'autres eucalyptus, et le processus recommence. Ce genre de culture n’est pas pratiqué chez nous. Mais quoi qu’il en soit, les pays qui ont adopté cette pratique ont littéralement inondé le marché mondial.
Chaque année, les papeteries belges consomment 600.000 tonnes de pâtes de fibres vierges (donc, qui ne sont pas issues du recyclage). 45% proviennent d’usines belges. Mais le reste est bel et bien importé, en grande majorité de l’Union Européenne (38%). Viennent ensuite l’Amérique latine (12%), et l’Amérique du Nord (4%, USA et Canada). Les autres régions du globe représentent 1% de ces importations.
"Ces plantations sont potentiellement établies à la place de forêts naturelles"
Béatrice Wedeux est chargée des politiques forêts au WWF. Pour elle, les importations européennes de bois et de pâte à papier ne posent pas de soucis. "Ce sont des manières de gérer les forêts qui sont plus ou moins durables, ou en faveur de la biodiversité forestière", explique-t-elle. Par contre, elle émet de grosses réserves en ce qui concerne les pâtes provenant d'Amérique latine. "Elles proviennent surtout de plantations d’eucalyptus. C’est un pays où les surfaces forestières sont en régression, donc ces plantations sont potentiellement établies à la place de forêts naturelles".
Du côté de l’Indufed, on affirme que l’industrie papetière n’a rien à voir avec cette déforestation. "Ces plantations ont été faites sur des sols abandonnés ou qui n’étaient plus exploitables en termes agricoles. La déforestation, elle existe en Amérique du Sud, mais elle est poussée par l’élevage et l’agriculture. Le secteur est perpétuellement en recherche de nouveaux terrains", se défend Firmin François.
Uniquement du papier recyclé? "Une utopie"
Un argument que ne partage pas Jeroen Verhoeven, chargé de mission ecosystème chez Greenpeace. "Les industries disent qu’elles utilisent surtout des vieux papiers, et ne détruisent pas de forêts, mais c’est une contre-vérité. Souvent le carton qu’elles utilisent est recyclé, mais l’impact il reste là parce qu’on ne peut pas recycler éternellement des fibres de papier". Un constat que Firmin François reconnaît: le "tout au recyclage" est une utopie. "La matière n’est pas éternelle et perd progressivement en qualité. Il faut donc en effet rajouter des fibres vierges dans la production de papier". "Et là on remarque que cela a un impact sur des forêts qui sont rasées", rétorque Jeroen Verhoeven.
La déforestation est en tout cas un sujet au centre de toutes les attentions. Le WWF a publié un rapport en novembre dernier, dont les constats sont assez alarmants. Selon lui, 129 millions d’hectares de forêts ont disparu entre 1990 et 2015. Cela représente 42 fois la superficie de la Belgique.
Des labels FSC et PEFC pour protéger les forêts
Ce qu’il faut, c’est gérer les forêts de manière écoresponsable, et ne pas utiliser du bois dont l’origine serait douteuse. Deux labels permettent de certifier la gestion forestière: FSC (Forest Stewardship Council, ou Conseil de Soutien de la Forêt) et PEFC (Programme for the Endorsement of Forest Certification schemes, ou Programme de reconnaissance des certifications forestières). "Une plantation qui est certifiée FSC ne peut pas être établie sur une zone qui a été déboisée après 1994, c’est-à-dire la date où le certificat a été lancé", explique Béatrice Wedeux du WWF.
Le label FSC met en place des zones de protection, veille au respect des normes sociales et des communautés indigènes. Pour Béatrice Wedeux, c’est ce certificat qui est le plus robuste, même si l’écart tend à diminuer. En effet, les acteurs économiques (comme les entreprises), les acteurs environnementaux (WWF et autres organisations), et les acteurs sociaux (syndicats, ONG à caractère social) sont mis sur un même pied d’égalité. "Ces trois chambres ont le même pouvoir lorsque de nouveaux critères doivent être établis. Une décision ne peut pas se faire dans le dos d’une autre". Ce qui est moins le cas pour les certifications PEFC, où les acteurs économiques ont plus de poids, selon elle.
La conscientisation est en tout cas en marche en Belgique. Une étude de 2018, réalisée pour le SPF environnement, montre que la part de marché de différents produits de bois et de papiers certifiés durables en Belgique pour l’année 2016 est assez élevée. "On serait déjà à 78.9 % de papiers et cartons sur le marché belge qui porteraient un certificat FSC et PEFC. Le marché de papier est assez avancé au niveau de la certification écoresponsable", se réjouit Béatrice Wedeux.