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De cimes enneigées en précipices, il dessert une vingtaine de gares, dont la plus haute de France: hiver comme été, le Train jaune grimpe à près de 1.600 m d'altitude, se jouant des courbes et des pentes au flanc des Pyrénées catalanes.
D'une technologie calquée sur le premier métro parisien, il en a gardé l'allure avec ses wagons de bois plaqués de métal et son troisième rail électrique, sur une voie étroite.
Une particularité qui, depuis plus d'un siècle, permet au Train jaune d'affronter des côtes à 6% et de les redescendre, sans risquer de décoller dans les virages.
"On se dit pourvu que ça ne tombe pas!", plaisante Daniel Seguin, 60 ans, mécanicien automobile en retraite, sans cacher son "plaisir" d'un voyage en nostalgie dans ce train qui flirte avec les sommets des Pyrénées-Orientales en transportant jusqu'à 250 passagers.
Partant de la citadelle médiévale de Villefranche-de-Conflent, aux remparts renforcés par Vauban au XVIIe siècle, le "Canari" - ainsi surnommé pour ses wagons jaunes ornés d'un liseré rouge, aux couleurs de la Catalogne - longe le torrent fougueux de la Têt, à 427 m d'altitude.
A travers bois, il gravit peu à peu la montagne, passe par la gare de Bolquère, son point culminant à 1.592 m, et dessert la station de ski de Font-Romeu, avant de filer sur le plateau ensoleillé de la Cerdagne jusqu'à Latour-de-Carol, à la moyenne tranquille de 30 km/h.
- 19 tunnels, 40 ponts -
Inauguré en juillet 1910, il "est resté quasiment tel qu'il était". "On est sur de la vieille mécanique", a précisé à l'AFP Laurent Lenfant, 49 ans, directeur de la ligne.
Les rails ne sont écartés que d'un mètre, au lieu des 1,435 m d'une voie classique qui n'aurait pas permis des courbes aussi prononcées sur cette ligne de montagne.
Des motrices, munies d'étraves rouge vif, servent d'ailleurs de chasse-neige lorsque la poudreuse blanchit le tracé.
Le parcours d'environ 60 km a nécessité l'édification de pas moins de 650 ouvrages d'art, dont 19 tunnels et 40 ponts.
Deux sont classés monuments historiques: le viaduc Séjourné avec sa peu banale arche en ogive, qui surplombe un ravin de 65 m, et le pont Gisclard, dernier pont suspendu ferroviaire en service, à 80 m au-dessus du vide.
Dans le dépôt, le long des voies de Villefranche-de-Conflent, une vingtaine d'agents de la SNCF dorlotent et révisent cette "relique".
"C'est un train chargé d'histoire", souligne Galdric Sère, 36 ans, responsable de maintenance, fier du côté "artisanal" de son métier et de "technologies qui ne sont plus connues".
Les lourds frotteurs d'acier, qui captent le courant du 3e rail, sont ainsi fabriqués sur place. Sous un hangar voisin, des wagons sont démontés, leur structure de chêne mise à nu afin d'être traitée avant de retrouver sa carapace d'acier.
- Technologie des années 1900 -
Mais pour certaines pièces, il faut l'expertise d'autres cheminots, tels ceux qui réparent les ponts et savent encore concevoir des rivets sur le modèle de l'assemblage de la tour Eiffel.
La prochaine grande révision générale du Train jaune, prévue fin 2022, durera trois ans et permettra de mettre en circulation du "matériel neuf avec un design proche de l'ancien", assure le directeur de la ligne.
"Il y a vraiment une envie de le développer pour continuer l'exploitation au-delà de 2030 et doubler sa capacité", en passant de 10 à 20 trajets quotidiens en été, la saison haute, précise-t-il.
Avec 100.000 voyages par an, le Train jaune, qui à la belle saison circule en wagons découverts, a une forte vocation touristique. "Je voulais découvrir les beaux paysages", explique ainsi Aurore Lambert, étudiante belge de 25 ans.
"C'est plus agréable que la voiture", renchérit Martine Patrick, 69 ans. Et "c'est important pour les gens qui habitent dans le coin", ajoute cette assistante juridique en retraite.
Car si les horaires du "Canari", qui démarre après 9h00 en hiver, se prêtent peu aux trajets domicile-travail, il pallie les inconvénients de la route. En 2020, lorsqu'elle a été obstruée par des éboulements, le Train jaune a continué de desservir toute la vallée.