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Grand Entretien - Le combat d'Adélaïde Charlier, activiste climatique belge de 23 ans: "Mon engagement a donné un sens profond à ma vie"

Adélaïde Charlier a déjà consacré cinq années de sa vie à la cause environnementale. L'activiste belge se confie dans un grand entretien à RTL info. Radicalité assumée et convictions profondes, elle parle "d’éveil généralisé" et reste convaincue de semer des graines de changement qui bénéficieront aux générations futures.  

Tout savoir sur le grand entretien d’Adélaïde Charlier en 6 points :

  1. Adélaïde Charlier évoque l'impact profond de cinq années d'activisme sur sa vision du monde, soulignant les rencontres enrichissantes avec des militants du monde entier et des aînés engagés.
  2. Malgré les progrès notables, notamment en termes de sensibilisation et de reconnaissance de la voix des jeunes dans les sphères politiques, Adélaïde Charlier insiste sur la nécessité de consolider ces acquis pour assurer une transition écologique durable.
  3. Elle favorise une approche en dehors du système institutionnel pour stimuler la réflexion sur de nouvelles formes d'implication citoyenne, et souligne l'importance de l'engagement politique tout en privilégiant des moyens alternatifs.
  4. Face à l'écoanxiété répandue parmi les jeunes, elle promet une démarche active d'espérance, incarnée par des initiatives concrètes et locales de transition écologique, source d'inspiration et de motivation.
  5. L’activiste déplore l'inaction des autorités en matière d'éducation formelle sur le changement climatique malgré les efforts de la jeunesse, et appelle à une collaboration intergénérationnelle et à une révision des approches éducatives pour mieux préparer les jeunes à relever les défis environnementaux.
  6. Elle adopte une vision réaliste teintée d'optimisme, et souligne l'importance d'une transformation radicale de nos modes de vie vers un avenir durable, marquée par la mobilité écologique, la préservation de la biodiversité et une transition énergétique globale.
     

RTL info : Quel bilan personnel tirez-vous de cette demi-décennie d'engagement? 

Lorsque l'on met les choses en perspective, cela représente une part significative de ma vie. Ce parcours m'a permis une transformation personnelle notable, modifiant profondément ma perception du monde et affinant mes aspirations. J'ai choisi de me rallier à un idéal collectif, aspirant à un changement dans notre façon de vivre, en harmonie avec notre environnement et dans le respect des frontières sociales.

Ces cinq années ont également été le théâtre de rencontres extraordinaires. J'ai eu l'opportunité de croiser la route de jeunes du monde entier, ainsi que de personnes plus âgées, dont la sagesse et l'expérience enrichissent encore aujourd'hui ma compréhension de la lutte environnementale. Que ce soit dans le cadre d'associations, d'initiatives environnementales ou d'autres mouvements, ces échanges ont été pour moi une source d'apprentissage inestimable sur les réalités, parfois dures, de notre monde.

Parallèlement, ces années n'ont pas ralenti mon parcours académique. J’ai beaucoup appris en sciences politiques, en sciences sociales et en gouvernance. 


Mon activisme, loin de se résumer à une suite d'actions, m'a offert une structure, une direction à suivre. Il a donné un sens profond à ma vie quotidienne, me construisant, me guidant vers des choix de vie conscients et engagés. Cette période d'engagement intense est bien plus qu'un combat, elle est devenue une partie intégrante de qui je suis, influençant durablement ma vision du monde et mes ambitions personnelles.


Et aujourd'hui, comment parvenez-vous à maintenir votre motivation intacte, surtout après avoir observé les progrès réalisés ces cinq dernières années? Peut-on dire que votre combat a porté ses fruits de manière positive?

Il est vrai que le chemin parcouru jusqu'ici révèle des avancées significatives, fruits de la mobilisation collective, tant de la jeunesse que des générations plus âgées. Parmi les acquis les plus marquants, je soulignerai d'abord l'émergence d'une prise de conscience globale. Cette prise de conscience s'est étendue bien au-delà des frontières de la Belgique, embrassant l'Europe et le monde entier. Elle concerne non seulement la problématique du CO2 et des gaz à effet de serre, mais aussi, plus largement, les limites planétaires et la destruction environnementale. Cet éveil généralisé est sans doute l'un des impacts les plus positifs de notre mobilisation.


Un autre progrès notable est la légitimation de la voix des jeunes dans les sphères politiques et publiques, notamment sur les questions climatiques. Il est désormais impensable d'envisager une transition écologique sans inclure et écouter la jeunesse. Cette reconnaissance est une victoire considérable, tant pour la cause environnementale que pour le renforcement de notre démocratie.


Cependant, cette réussite soulève aussi un défi: celui de la pérennité de cette légitimité, indépendamment des changements politiques ou des rotations au sein des directions d'entreprises. Il est crucial de continuer à lutter pour ancrer cette reconnaissance de manière structurelle.
Nous avons également assisté à des avancées concrètes, comme l'accord de 27 pays européens en 2019 pour travailler sur la transition écologique via le Pacte Vert européen. Toutefois, il est important de rester réaliste et conscient que, selon les rapports du GIEC, aucun pays n'est encore pleinement aligné sur les objectifs de l'Accord de Paris. Malgré cela, la pression continue et les campagnes que nous menons, même si elles ne rencontrent pas toujours le succès escompté, sont cruciales.

Quel a été l'impact le plus significatif du mouvement des jeunes pour le climat sur les politiques environnementales? 

Je me permets de partager deux expériences marquantes qui se sont déroulées en une seule journée, au début du mois de février de cette année, illustrant parfaitement l'impact de notre mouvement. La première concerne notre combat contre le greenwashing en Belgique, spécifiquement dans le cadre de grands événements tels que les 20 kilomètres de Bruxelles. Après deux ans de mobilisation intense, pétitions, pression et lobbying, associant de jeunes militants, des ONG, et les "Grands-parents pour le climat", nous avons réussi à exclure Total Energy du cercle des sponsors de cet événement majeur. Cette victoire, bien que pouvant sembler modeste à première vue, revêt une importance capitale. Elle symbolise l’exclusion des espaces publics des entreprises ne s'engageant pas pour l'accord de Paris et la transition écologique. Cette réussite, fruit de la persévérance et de l'engagement collectif, témoigne de la capacité d'un petit groupe de jeunes à générer un impact significatif sur la scène nationale.


La persévérance est d'ailleurs le maître-mot de notre action. Même si l'impact de nos initiatives n'est pas toujours immédiat ou visible, je reste convaincue que nous semons des graines de changement qui bénéficieront aux générations futures.


Le même jour, une autre victoire a été célébrée au Parlement européen. Une résolution, que nous soutenions activement, appelant à l'arrêt de l'exploitation des fonds marins a été votée à une large majorité. Ce succès souligne l'importance de protéger la biodiversité marine et appuie la demande d'une pause de précaution le temps d'approfondir la recherche sur ces écosystèmes encore méconnus. Car nous connaissons mieux la surface de la lune que les fonds des océans. Voir le Parlement européen embrasser une cause que nous défendons de longue date confirme l'efficacité de notre plaidoyer et de notre capacité à influencer les décisions politiques.

Envisagez-vous un engagement politique pour maximiser votre impact?

Pour moi, l'engagement politique ne se limite pas à occuper une fonction au sein d'une institution. Je considère que ma démarche quotidienne, visant à influencer les sphères politiques, constitue en soi un acte politique. L'idée de m'impliquer plus directement en me portant candidate lors d'élections, comme celles de 2024, en rejoignant une liste d'un parti politique, ne m'attire pas à l'heure actuelle. Je tiens à préserver une certaine idéologie, celle selon laquelle il est possible d'avoir un impact politique significatif dans une démocratie sans forcément s'engager via un parti politique. Cela ne signifie pas que je n'envisagerai jamais cette voie, mais pour l'instant, je préfère rester idéaliste et explorer d'autres moyens démocratiques d'engagement.

Je crois fermement que c'est en restant en dehors du système institutionnel que je peux le mieux contribuer à le repenser et à le challenger. 

Je m'efforce de rester une citoyenne active, réfléchissant à des manières d'enrichir notre démocratie et d'encourager la participation civique, tout en restant à distance du monde politique institutionnalisé. Cette démarche me semble la plus appropriée pour l'instant afin de favoriser une réelle inclusion citoyenne et d'impulser un changement profond dans la manière dont nous concevons l'engagement politique.

Qu'est-ce qui vous donne de l'espoir malgré l'écoanxiété répandue parmi les jeunes ?

Ma génération est profondément marquée par l'écoanxiété, une réalité soutenue par une étude parue dans The Lancet, révélant que notre inquiétude face à l'avenir, notamment le réchauffement climatique, est profondément enracinée. En Belgique, cette anxiété atteint un niveau tel que 10% de la population lutte contre une forme sévère d'écoanxiété, une condition qui empêche de se projeter dans un futur sans destruction environnementale.


Cette anxiété ne doit pas être sous-estimée, car elle influence considérablement notre capacité à envisager l'avenir et à bâtir des projets communs. Je rencontre beaucoup de jeunes désespérés par la destruction de l’environnement, tombant dans la dépression, ou incapables de trouver la motivation de se lever le matin par manque de perspectives. Cela souligne l'urgence de prendre au sérieux cette détresse.
L'écoanxiété est alimentée par le décalage entre les alertes scientifiques et l'inaction qui caractérise notre réponse collective au défi climatique. La clé pour affronter cette anxiété réside dans l'action, qui sert de pont entre la conscience de notre situation et la nécessité d'agir.


Contrairement à l'espoir, qui peut s'avérer passif, j'opte pour le terme d'espérance, qui incarne une démarche active. L'espérance se manifeste dans notre capacité à nous mobiliser, à imaginer et à concrétiser des projets innovants et respectueux de l'environnement et des limites sociales. 


Les initiatives belges comme la ceinture alimentaire à Liège ou la ceinture énergétique dans ma ville à Namur, où les citoyens s'organisent pour promouvoir une alimentation locale et respectueuse ou pour développer des sources d'énergie propre, incarnent cette espérance. Ces projets, par leur engagement envers des solutions concrètes et locales, démontrent la beauté et la potentialité de la transition écologique.

Dans le cadre de vos engagements environnementaux, comment gérez-vous la collaboration avec les autres générations?


La collaboration avec les autres générations est cruciale dans notre lutte contre l'urgence climatique. Il est essentiel de comprendre que cette urgence ne concerne pas uniquement ma génération, même si nous serons statistiquement les plus impactés par les conséquences climatiques à long terme. Le changement climatique affecte déjà nos sociétés et représente un défi que nous devons relever ensemble, toutes générations confondues.


Nous avons eu la chance de bénéficier d'un soutien incroyable de la part des "grands-parents pour le climat", une organisation remarquable qui nous a épaulés dans chacune de nos actions et réflexions ces 5 dernières années. Cette forme de soutien intergénérationnel s'est révélée être un pilier pour nous, créant des liens forts qui nous unissent dans cette cause commune.


Il est important pour nous, jeunes militants, de reconnaître les efforts des générations précédentes. Beaucoup ont été des lanceurs d'alerte et ont initié d'importants projets environnementaux. Reconnaître ces contributions et s'en inspirer est fondamental pour une collaboration fructueuse.

Les réseaux sociaux ont-ils joué un rôle positif dans la diffusion des messages du mouvement des jeunes pour le climat et dans l'engagement de la communauté internationale?

Les réseaux sociaux, c'est clairement un outil que j'utilise énormément. Ils me permettent de faire partie d'un mouvement international, ce qui montre bien l'ampleur de leurs avantages. Je reste active sur ces plateformes parce qu'elles constituent pour moi un moyen essentiel de mobilisation et de sensibilisation. Et c’est très positif.

Cependant, il y a aussi un revers à la médaille. Les critiques que l'on peut y rencontrer sont souvent dures et difficiles à digérer parce qu'elles sont personnelles, elles font très mal, et je doute que quiconque ait le courage de me les dire en face, dans la vraie vie. Elles ne concernent pas le fond de notre message, mais plutôt des attaques sur notre apparence, notre façon de parler...

Cette toxicité des réseaux sociaux nécessite de développer des mécanismes de défense robustes. De plus, un autre problème majeur est la formation de bulles. On a tendance à rester enfermé dans des cercles où tous partagent les mêmes idées.

C'est là que les médias traditionnels jouent un rôle encore plus crucial. Ils peuvent atteindre une audience plus variée, brisant ainsi les bulles créées sur les réseaux sociaux. 

Il est vital de garder à l'esprit ces limitations lorsque l'on utilise les réseaux sociaux, surtout dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Avec une communauté de jeunes très engagés derrière nous, il faut se rappeler que nous ne représentons qu'une partie de notre génération, et non sa totalité. 

Comment l’éducation peut-elle être améliorée pour mieux préparer les jeunes à relever les défis environnementaux ?

Je constate que de nombreux enseignants s'engagent activement et me soutiennent dans l'effort d'éveiller la conscience de leurs élèves. Cependant, il manque une démarche structurelle et systématique pour intégrer l'éducation environnementale dans nos programmes éducatifs. Cette lacune se retrouve non seulement parmi les jeunes, mais aussi à travers toutes les générations, étant donné que très peu d'entre nous ont bénéficié d'une éducation approfondie, ou même basique, sur les implications réelles du changement climatique.

C'est pourquoi, en 2019, nous avons pris l'initiative d'écrire une lettre à la ministre de l'Enseignement et aux directeurs des écoles en Wallonie, exhortant à ne pas laisser les jeunes seuls face à cette problématique. "Ne laissez pas les enfants seuls" cette fois-ci, s'il vous plaît, informez-nous sur ce que c'est le dérèglement climatique, éduquez-nous sur ces questions-là. Nous avons demandé une éducation formelle sur le changement climatique. Je suis fière de cette action, bien qu'elle ait demandé beaucoup d'effort. Malgré cela, il reste encore à instaurer un cadre structurel pour cette éducation.

La lettre avait été envoyée en 2019, c'est cinq ans d'inaction? 


Oui, cela fait cinq ans que nous avons envoyé cette lettre, et pendant tout ce temps, il semble n'y avoir eu aucune avancée significative concernant l'intégration de l'éducation au dérèglement climatique de manière structurelle dans les programmes scolaires. Aucune réforme éducative récente n'a pris en compte la nécessité d'enseigner ce sujet à tous les étudiants de façon systématique.


En ce qui concerne l'éducation de nos jeunes sur les enjeux climatiques, nous sommes loin du compte. Au cours des cinq dernières années, j'ai visité de nombreuses écoles, et à chaque fois, je me retrouve à devoir expliquer les fondamentaux du changement climatique, comme le CO2 et les gaz à effet de serre. Parfois, je dois presque donner un cours de science élémentaire avant de pouvoir discuter des actions à entreprendre. Cela met en évidence un déficit flagrant d'information parmi un grand nombre de jeunes. 
 
Quelles innovations technologiques vous inspirent-elles le plus dans la lutte contre le dérèglement climatique, et comment peuvent-elles être mises à l'échelle efficacement ?


C'est une bonne question. Je dirais que, dans le contexte de la lutte contre le dérèglement climatique, l'aspect technologique joue un rôle crucial, notamment dans le domaine énergétique, où nous devons découvrir des technologies nous permettant de minimiser notre empreinte énergétique sur la Terre. Toutefois, je n'ai pas un exemple spécifique de technologie à souligner, principalement parce que, en Belgique, le débat se focalise déjà abondamment sur la technologie, sans nier son importance vitale.


Ce qui me préoccupe, c'est que le discours ambiant oublie souvent l'aspect structurel de notre manière d'habiter et de nous organiser sur cette planète. Prenez, par exemple, les voitures électriques. Elles représentent certainement l'avenir de la mobilité, mais l'avenir ne repose pas sur les véhicules individuels. Selon le rapport de Climact, qui examine comment la Belgique peut atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, une simple transition technologique ne suffira pas. Nous devrons revisiter nos modes de vie.

Malgré les défis environnementaux, êtes-vous optimiste quant à l’avenir de notre planète ?

L'optimisme face aux défis environnementaux repose, pour moi, sur une appréciation réaliste des circonstances actuelles. Bien que les faits relatifs à la destruction de notre environnement puissent sembler sombres, je trouve de l'espoir dans la richesse et la diversité des initiatives de transition écologique observées en Belgique. La passion et l'énergie que de nombreux citoyens et entreprises investissent dans ces projets sont véritablement inspirantes. Ces efforts collectifs démontrent un désir profond de contribuer positivement à notre avenir commun.
Mon optimisme est donc teinté de réalisme: bien que conscients que nos actions ne sont pas encore suffisantes pour inverser les tendances actuelles, la volonté de s'engager davantage, de soutenir plus activement les initiatives existantes et d'en initier de nouvelles est un signe encourageant. Cet "optimisme réaliste" est alimenté par la conviction que, malgré les obstacles, notre capacité collective à innover et à s'adapter peut nous conduire vers un avenir plus durable.

Si je vous donne là maintenant une baguette magique, comment imaginez-vous un avenir durable, et quelles étapes clés devons-nous franchir pour y parvenir?

Si je disposais d'une baguette magique pour esquisser un futur durable, j'écouterais avant tout les experts et scientifiques, car toutes les solutions nécessaires sont déjà identifiées. Dans ce futur idéal, la mobilité serait radicalement transformée: des trains fréquents nous connecteraient, les villes seraient libérées des voitures, laissant la place aux bus pour nos déplacements urbains. Les automobiles, utilisées avec parcimonie, seraient reléguées aux périphéries.


Les centres urbains respireraient, libérés de la pollution, sauvant ainsi des vies auparavant fauchées par la qualité de l'air médiocre. La reforestation et la préservation des espaces naturels seraient prioritaires, rendant la Belgique plus verte et plus accueillante pour sa biodiversité. Chaque habitation bénéficierait d'une isolation optimale, et les villes seraient ceinturées de fermes et d'initiatives énergétiques locales, renforçant ainsi notre autonomie alimentaire et énergétique.
 

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