Partager:
La série noire continue pour Boeing: l'entreprise est dans la tourmente après de nombreux incidents récents impliquant ses avions. De quoi faire baisser la confiance des voyageurs. Plusieurs experts et rapports pointent des négligences au niveau de la maintenance des avions Boeing, et des failles dans le dispositif de sécurité de l'entreprise aéronautique. Une enquête pénale est même ouverte aux Etats-Unis à l'encontre de l'avionneur. Face à ces constats, une question légitime se pose: ces avions sont-ils sûrs?
Roue perdue, moteur en feu, porte qui explose en vol, problème hydraulique ou encore de pression... Les Boeing 737 Max de l'entreprise aéronautique font beaucoup parler d'eux depuis quelques mois. Et pour cause: les incidents impliquants cette flotte d'avion s'enchaînent.
Les déboires s'enchaînent pour Boeing
Début janvier, une porte s'est détachée en plein vol à 5.000 m d'altitude, obligeant l'équipage à atterir d'urgence et faisant une belle frayeur aux 177 personnes à bord. Cet incident a fait 4 blessés. Plus récemment, ce 1er mars, un Boeing 737 de la compagnie Alaska Airlines a atteri avec la porte de la soute, où se trouvaient des animaux de compagnie, ouverte. Trois jours plus tard, c'est le moteur d'un Boeing 737 qui a pris feu lors d'un vol reliant le Texas à la Floride.
@strawberr.vy Girls’ trip turned into emergency landing trip… #alaska #alaskaair ♬ original sound - vy
Mais les incidents n'impliquent pas que des Boeing 737 Max. Très récemment, ce 11 mars, c'est un Boeing 787-9 Dreamliners de la compagnie Latam Airline qui a subi un "problème technique". L'avion a brutalement perdu de l'altitude au-dessus de la mer de Tasmanie lundi soir. Ce décrochage a propulsé au plafond tous ceux dont la ceinture de sécurité n'était pas bouclée, faisant 50 blessés.
Toujours en mars, mais cette fois c'est un Boeing 777 qui a dû atterir d'urgence après avoir perdu le pneu d'une de ses roues pendant son décollage... Et en janvier 2023, lors d'un vol entre Paris et Los Angeles, l'équipage observe "des anomalies" sur l'un des moteurs, notamment une perte de presion d'huile, et fait demi-tour.
Shocking video shows the moment a @united Airlines @Boeing 777 lost a tire during takeoff from San Francisco, reportedly crushing cars on the ground below. https://t.co/vjTw0qCZMa pic.twitter.com/eR2rGuZ0Ah
— ABC7 News (@abc7newsbayarea) March 7, 2024
Une enquête ouverte: elle pointe des lacunes en matière de sécurité
A la suite de l'incident survenu en janvier, des enquêtes ont été ouvertes par les autorités américaines en charge de la sûreté aérienne (NTSB), et un rapport d’une commission indépendante désignée par le régulateur aérien (FAA) a notamment pointé des lacunes et des défaillances dans les dispositifs de Boeing en matière de sécurité.
Les directives de sécurité du constructeur aéronautique américain Boeing sont "inadéquates et confuses", selon ce même rapport, publié en février 2024. Les experts ont observé "une déconnexion entre la direction générale de Boeing et les autres membres de l’organisation en ce qui concerne la sécurité". Il y a également "un manque de sensibilisation aux statistiques de sécurité à tous les niveaux" de l’entreprise.
Boeing ne prend pas suffisamment en compte l’impact des facteurs humains sur la sécurité aérienne et ne tient pas suffisamment compte de l’avis des pilotes lors de la conception des avions, souligne notamment le rapport de la FAA. De nombreuses défaillances "vraiment importantes" de la chaîne de fabrication et d'assemblage de Boeing ont notamment été pointées par la FAA.
Mike Whitaker, administrateur de la FAA, a notamment déclaré dans une conférence de presse: "Parfois, c'est l'ordre dans lequel le travail est effectué. Parfois, c'est la gestion des outils. Cela semble un peu banal, mais il est vraiment important dans une usine que vous disposiez d'un moyen de suivre efficacement vos outils, afin d'avoir le bon outil, et que vous sachiez que vous ne l'avez pas laissé derrière vous".
Le rapport s'appuie sur plus de 4.000 pages de documents internes de l'entreprise aéronautique, et sur des entretiens avec plus de 250 employés. Les experts formulent 53 recommandations pour améliorer la sécurité dans 27 domaines. Le régulateur américain a appelé l'avionneur à effectuer des "améliorations réelles et conséquentes" pour assurer la sécurité de ses appareils après plusieurs incidents. Boeing a jusqu'à la fin du mois de mai pour élaborer un plan d’action assorti d’échéances concrètes sur la base de ces recommandations.
Un autre rapport, commandité par l'Agence américaine de sécurité des transports (NTSB), pointe des failles au niveau du contrôle qualité chez Boeing. Ces négligences dans la vérification des appareils sont notamment à l’origine du détachement de la porte du 737 Max d’Alaska Airlines. L’enquête a établi l’absence de quatre boulons, retirés par les employés du constructeur lors d’une inspection avant la livraison de l’avion.
Un lanceur d'alerte, ancien employé de l'entreprise, retrouvé mort: il avait soulevé des craintes quant à la sécurité des Boeing
Mais ces soucis de sécurité et ces négligences ne datent pas d'hier. John Barnett, un ancien employé Boeing devenu lanceur d'alerte en 2017, dénonçait depuis longtemps des failles de sécurité, induite par une forte pression de l'entreprise sur ses employés. Il a été retrouvé mort ce lundi, la piste du suicide est privilégiée. Mais une enquête a été ouverte pour faire la lumière sur les circonstances de son décès. John Barnett était encore opposé à Boeing en justice, et devait être interrogé à nouveau samedi.
Le sexagénaire, qui a travaillé 32 ans chez Boeing, avait tiré la sonnette d'alarme il y a quelques années au sujet des 787 Dreamliners. Ancien responsable de qualité pour l'avionneur, il avait déclaré à la BBC que des pièces de qualité inférieure étaient utilisées par le groupe, sur des avions en construction, afin de ne pas retarder la production.
L'assemblage était, selon lui, effectué à la hâte et dans des conditions dangereuses, ce qui compromettait la sécurité. Il dénonçait également des anomalies au niveau des masques à oxygène, rapportant à la BBC "qu'un masque sur quatre ne fonctionnerait pas en cas d'urgence".
Auprès du New York Times en 2019, John Barnett avait déclaré qu’un responsable de qualité comme lui est "la dernière ligne de défense avant qu’un défaut ne soit rendu public. Et je n’ai pas encore vu d’avion venant de Charleston (là où se trouve l'usine de production, ndlr) sur lequel j’apposerais mon nom pour dire qu’il est sûr et en état de vol."
Certains de ses dires ont été confirmés en 2017 par le régulateur aérien américain (FAA) dans un rapport qui pointe divers problèmes. À l’époque, John Barnett travaillait sur l’un des fleurons du géant américain de l’aéronautique: le 787 Dreamliner. L’avion, qui a commencé à voler fin 2019, équipe la plupart des grandes compagnies aériennes mondiales.
Plus récemment, dans un rapport rendu par les experts de régulateur aérien américain (FAA) en mars 2024, des problèmes de sécurité sur les Boeing 787 Dreamliner et les 737 Max sont pointés du doigt. Notamment avec l’équipement de dégivrage qui est défectueux, et qui pourrait entraîner une perte de poussée des moteurs. La FAA autorise les avions à continuer à voler et Boeing a déclaré que le problème ne posait pas de risque immédiat pour la sécurité.
A l'origine, les 737 Max ont été conçus pour concurrencer Airbus mais la conception a été baclée
Des accidents meurtriers, des erreurs de conception, des problèmes divers et variés d'inspection et de formation, des failles de sécurité et des manquements... Les Boeing sont au coeur de la tourmente. Mais celui qui fait le plus parler de lui, et qui a le plus d'incidents dans son sac, c'est le 737 Max.
Pour rappel, cette flotte d'avions est née d'une rivalité industrielle avec Airbus. Boeing voulait produire l'avion de ligne le plus économe en carburant avec le 737 Max. Mais la compagnie a précipité la conception.
En conséquence de cette rapidité de production, l'avion avait un défaut et était susceptible de décrocher dangereusement dans certaines situations de décollage. L'entreprise a alors créé le logiciel MCAS pour pallier ce défaut de conception en poussant automatiquement le nez de l'avion vers le bas. Mais la société n'a jamais parlé du logiciel ni à la FAA, ni aux compagnies aériennes ou encore aux pilotes, afin de gagner du temps et de l'argent.
Deux crashs mortels impliquant des Boeing 737 Max
Rappelons aussi que le Boeing 737 Max est à l'origine de deux crashs aériens mortels. Le 29 octobre 2018 en Indonésie, soit près de 3 ans après le premier vol d'un Boeing 737 Max, un accident se produit 13 minutes après le décollage, et entraîne la mort des 189 personnes à bord.
L'enquête a révélé que le crash était dû à une défaillance dans un logiciel de commandes de vol, le système anti-décrochage MCAS. Malgré les efforts des pilotes pour le désactiver, le logiciel a mis l'avion en piqué. Autre raison avancée par les enquêteurs indonésiens: la formation inadaptée du pilote.
Moins de 6 mois plus tard, une nouvelle tragédie impliquant un Boeing 737 Max survient. Le 10 mars 2019, un avion de la compagnie Ethiopian Airlines s'écrase, tuant les 157 personnes présentes à bord. La cause de l'incident est identique à celle d'octobre 2018, ce qui amplifie encore la polémique.
Ce logiciel défaillant avait été dissimulé par Boeing à l'époque qui s’était assuré qu’il ne soit pas fait mention du MCAS dans le manuel du pilote. D'après Boeing, le MCAS ajuste la position de l'avion, en réglant les surfaces de contrôle de l'avion pour maintenir une position définie. Mais les enquêtes ont révélé que le processus de certification du 737 Max a été bâclé par les autorités américaines.
"Ces accidents tragiques ont mis en évidence la conduite frauduleuse et trompeuse des employés de l'un des principaux constructeurs d'avions commerciaux du monde. Les employés de Boeing ont choisi la voie du profit plutôt que celle de la franchise en dissimulant des informations importantes à la FAA concernant l'exploitation de son avion 737 Max et en s'engageant dans un effort pour dissimuler leur tromperie", avait déclaré le procureur général adjoint de la division criminelle du ministère américain de la Justice (DOJ). D'autres irrégularités ont été relevées plus tard par les enquêteurs.
A la suite des deux crashs mortels, Boeing avait été accusé de complot pour fraude et avait passé un accord avec la justice américaine
A la suite du crash de mars 2019, les régulateurs de l'aviation du monde entier ordonnent l'immobilisation au sol des Boeing 737 Max. Ces modèles de l'avionneur américain doivent subir une modification du logiciel défaillant MCAS, afin d'éviter qu'un nouveau drame ne se produise. C'est ce logiciel qui a poussé les deux avions à piquer brusquement du nez, sans que les pilotes ne parviennent à les redresser.
A l'époque, les régulateurs exigent deux autres prérequis: le repositionnement de certains câbles et une nouvelle formation des pilotes. Il faudra attendre presque 2 ans avant que les 737 Max ne soient remis en service avec le logiciel MCAS mis à jour, le 9 décembre 2020.
A la suite de ces deux accidents mortels, l'entreprise américaine Boeing a été accusée en 2021 de complot pour fraude sur le 737 Max. Elle a accepté de payer plus de 2,5 milliards de dollars, dont une amende de 244 millions de dollars, suite à un accord avec la justice américaine qui lui a permis d'échapper à un procès pour les crashs de 2018 et 2019.
Une enquête pénale ouverte: l'accord de Boeing avec la justice américaine pourrait être remis en cause
Mais les dernières négligences à l'origine de plusieurs incidents pourraient remettre en cause l'accord passé en 2021 avec la justice américaine, qui avait permis à Boeing d'échapper à un procès pour les crashs de 2018 et 2019. Après l'enquête technique du NTSB sur la perte en vol d'un panneau de porte d'un 737 Max, celle de la FAA sur le même sujet, et le rapport d'experts commandité par les parlementaires de Washington, c'est le ministère américain de la Justice (DoJ) qui a ouvert une enquête pénale à l'encontre de Boeing.
Mais cette enquête pourrait être plus lourde de conséquences pour l'avionneur... Car contrairement à celles du NTSB et de la FAA, elle ne vise pas à clarifier les causes de l'arrachage du panneau de porte, mais à vérifier que cet accident ne remet pas en cause l'accord intervenu en 2021 entre Boeing et le ministère de la Justice américain (DoJ) pour solder les comptes des deux crashs de 2018 et 2019.
La confiance des voyageurs envers Boeing en chute
Parallèlement, Boeing perd peu à peu la confiance de ses voyageurs. Selon le baromètre Morning Consult, le nombre d’Américains ayant confiance dans la marque a chuté de 32 à 20 points entre décembre 2023 et janvier 2024. Celle des passagers utilisant fréquemment ses avions a reculé de 41 à 28 points. De nombreux sites de comparatif de vols proposent désormais de choisir, lors de la recherche, si on veut voyager ou non à bord d'un avion de la société aéronautique américaine. Par ailleurs, Boeing a également chuté en bourse.
Reste à voir si Boeing va s'adapter et proposer un plan de redressement qui conviendra à la FAA avant la fin du mois de mai.