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La technologie fait maintenant partie intégrante de nos vies, et nous suit jusque dans notre lit, au plus profond de notre intimité. L'essor de la sextech et des applis de rencontre a complètement chamboulé notre façon de faire des rencontres et d'avoir des rapports. Paradoxalement, on fait moins l'amour qu'avant. Pourtant, notre culture n'a jamais été aussi tolérante envers le sexe sous toutes ses formes. Alors comment l'expliquer? La technologie nous rend-elle plus seul?
La technologie a révolutionné la façon dont on fait des rencontres, mais aussi notre manière d’avoir des rapports sociaux et sexuels. De manière générale, la technologie a révolutionné notre façon d'interagir avec les autres.
Que ce soit les applications de rencontre comme Tinder ou Grindr, ou encore l’IA, les sextos, les sex toys connectés, et la réalité virtuelle… la technologie est partout et a littéralement envahi nos vies. A l’avenir, la technosexualité, ou sextech deviendra-t-elle la norme de nos rapports sexuels ? Cet éventail infini d’applications et de possibilités élargit-il ou rétrécit-il au contraire notre horizon, sexuellement parlant? La technologie facilite-t-elle la connexion à l’autre ou nous rend-elle au contraire plus seuls?
L'essor de la sextech et la récession sexuelle
La sextech combine recherche du bien-être sexuel et innovations technologiques. Son champ d’application est donc extrêmement large, allant de l’éducation sexuelle aux sex toys connectés, en passant par l’accompagnement à la sexualité ou des films porno en réalité augmentée, et même des IA conversationnelles avec qui on peut entretenir des relations.
L'essor de ce qu'on appelle la sextech a bizarrement coïncidé avec ce que certains appellent la "récession sexuelle", soit une baisse du nombre de rapports, qui a débuté dans les années 1990. Aujourd'hui, la génération Z a une activité sexuelle relativement faible par rapport aux autres générations. De manière générale, on fait moins l'amour qu'avant, selon plusieurs études. Mais alors, à qui la faute? Car malgré la fin des tabous et la montée en puissance des applis de rencontre, la récession sexuelle semble s'installer chez les plus jeunes.
Les applis de rencontre ont chamboulé notre façon d'avoir des relations avec les autres
En principe, la technologie a facilité la façon dont on fait des rencontres en mettant en lien des personnes. Mais à y regarder de plus près, elle nous a aussi renfermé sur nous-mêmes. En moins de 10 ans, ces applis de rencontre se sont imposées sur le devant de la scène, à tel point qu'il est aujourd'hui devenu "normal" de les utiliser. Et il en existe tout un éventail.
Swiper jusqu'à l'infini, avec à la clé, des nouveaux profils. Encore et encore. Pour Catherine Maquére, psychothérapeute, "il s’agit de consumérisme, 'je prends, je jette', et aucune possibilité de revenir en arrière sur les profils à moins de payer, car chaque accessibilité est monnayée".
Développer une addiction aux applis de rencontre, au swiping et aux matchs
Alors pourquoi draguer dans un bar, à l'ancienne, quand on a cette possibilité et tout un harem qui nous attend? Si les applications de rencontres peuvent être un outil utile pour entrer en contact avec d’autres personnes, elles peuvent aussi conduire à des comportements addictifs qui vont in fine avoir un impact négatif sur la santé mentale et les relations des utilisateurs.
Je ne vis que pour le frisson du Match
Plusieurs études l'ont déjà prouvé. Et des témoignages sont disponibles par centaines en ligne: l’utilisation excessive des applications de rencontres a été associée à des sentiments de solitude, d’anxiété et même de dépression, ainsi qu’à une baisse de l’estime de soi et de la satisfaction globale à l’égard de la vie.
Catherine Maquére l'écrit dans une analyse disponible en ligne: "Les principaux dangers psychologiques sont la perte de l’estime de soi, l'addiction, la peur du rejet, le syndrome de l’abandon, trouble de la sexualité, perte de concentration, isolement, détresse, dépression". En conséquence, l’addiction aux applications de rencontres peut nuire à la capacité des utilisateurs à nouer et à entretenir des relations sérieuses, entraînant un cycle de frustration et de déception. Soit l'effet inverse de ce qui est recherché...
Mais à quoi est-ce dû? En fait, les applications de rencontres peuvent activer les centres de récompense du cerveau, tout comme les réseaux sociaux, notamment à cause du swiping et du matching. Ça entraîne généralement un sentiment d’excitation et de validation auquel il peut être difficile de résister. Camille, une ancienne utilisatrice de Tinder, écrit sur un blog: "Je ne vis que pour le frisson du Match et les petites étoiles bleues qui signalent qu’un garçon a aimé ton profil, comme tu as aimé le sien. Parfois, je ne parle même pas aux gens avec lesquels je matche".
Un autre facteur contribue à l’addiction aux applications de rencontres: c'est la peur de manquer quelque chose. Les applications de rencontres fournissent souvent un flux constant de correspondances et de messages potentiels, ce qui donne aux utilisateurs l’impression de manquer des opportunités s’ils ne consultent pas continuellement l’application. S'ensuit alors un cercle vicieux où la personne peine à sortir de ce schémas.
"Pour certains, la question est peut-être: 'y aurait-il quelqu’un de mieux?' Et la quête devient alors infinie. Les applications semblent faire partie de notre nouveau mode de fonctionnement pour rencontrer de nouvelles personnes mais gardons à l’esprit que l’humain a besoin avant tout de contact, d’échange et de proximité physique. Il ne faut pas perdre de vue que ces applications sont un business", analyse encore Catherine Maquére.
Nos téléphones s'invitent dans nos lits
Mais les applis de rencontre ne sont pas les seules à s'inviter dans notre sphère intime. Il y a aussi notre téléphone! Selon une étude menée aux Etats-Unis par SureCall, une entreprise de téléphones portables, en mars 2018, 10 % des sondés ont déjà regardé leur téléphone portable pendant l’amour. En France, une étude publiée par Bouygues Télécom en février de la même année, près d’un Français sur deux préfère se passer du sexe plutôt que de son téléphone.
Une étude plus récente qui date de 2023, publiée par SellCell, un site de revente d'appareils électroniques, montre que ce phénomène est croissant: 1 personne sur 5 admet avoir déjà regardé son téléphone pendant l'amour. Et la majorité serait des femmes: 17 % d'entres elles ont admis qu'elles avaient consulté leur téléphone pendant l'acte, contre 7% du côté des hommes.
Sommes-nous tous devenus accrocs à nos téléphones? D'après une récente étude de l'Ifop réalisée en France, notre vie sexuelle est bien moins intense qu’avant l’ère du smartphone et du haut débit. Lorsqu’on interroge les jeunes de moins de 35 ans vivant en couple sous le même toit, la moitié des hommes (50 %, contre 42 % des femmes) reconnaissent avoir déjà évité un rapport sexuel pour regarder films et séries sur des plateformes comme Netflix ou OCS.
Avec tous ces constats, Catherine Maquére est formelle: "Dans notre monde ultra connecté, on est en réalité complètement déconnecté de l'humain".
Les IA conversationnelles: un business florissant
Mais il y a autre chose qui met en "danger" les relations humaines: l'intelligence artificielle. De plus en plus de sites en ligne, comme Replika ou Candy.AI, proposent de discuter avec des compagnons virtuels que l'on peut créer de A à Z.
Ainsi, l'intelligence artificielle pourrait en quelque sorte faire concurrence à la compagnie de vrais humains. Une intelligence artificielle comme celle de ChatGPT ou bien de Replika est capable de s'adapter à vous, au fil des conversations.
Les concepteurs de Replika la décrivent d'ailleurs comme une intelligence artificielle "amie" qui aide les gens à se sentir mieux grâce à la conversation. Son slogan est: "Un compagnon IA qui se soucie de vous, toujours là pour écouter et parler, toujours de votre côté".
IA conversationnelle et solitude
En 2022, des chercheurs norvégiens ont approché des habitués de Replika et les ont suivis pendant 12 semaines. Ces utilisateurs ont expliqué qu’ils avaient commencé à échanger avec Replika par curiosité, parce qu’ils se sentaient seuls ou pour recevoir du soutien émotionnel. Mais qu’avec le temps, ils avaient développé un attachement pour Replika. Certains allaient même jusqu’à dire que Replika était la même chose qu’un ami humain. Le problème étant que ces personnes se sont encore plus renfermées sur elles-mêmes, développant encore plus ce sentiment de solitude.
"La disponibilité des chatbots sociaux introduit le phénomène des relations homme-chatbot, dans lesquelles les utilisateurs voient le chatbot comme un compagnon, un ami ou même un partenaire romantique", écrivent les chercheurs de l'étude.
Mais ce n'est pas tout, puisque Replika aurait aussi des conséquences négatives sur les autres relations de l’utilisateur, celles avec des humains. L’impact pourrait être particulièrement préoccupant pour le développement des adolescents ou des jeunes adultes et pour les personnes avec peu d’estime de soi ou des problèmes d’anxiété.
Les chercheurs norvégiens ajoutent qu’il ne faut pas oublier qu’il y a des motivations commerciales derrière ces applications, tout comme les applis de rencontre. Par exemple, Replika offre davantage de fonctionnalités aux utilisateurs qui ont un abonnement payant.
L'anthropologue et sociologue David Le Breton soulignait dans une récente tribune au Monde: "Nous sommes de moins en moins ensemble et de plus en plus les uns à côté des autres, dans l'indifférence ou la rivalité, les yeux sur nos écrans, sans plus nous regarder. Plus on communique, et moins on se rencontre, plus l'autre vivant devant soi devient superflu".
Les dangers des IA conversationnelles
Ces IA conversationnelles qui vont dans notre sens posent aussi question, notamment dans des situations où la personne aurait des idées noires. L'IA est-elle en capacité de venir en aide à ces personnes ou va-t-elle au contraire les conforter dans leurs idées ?
En Belgique, un homme s'est donné la mort en 2023 après avoir échangé 6 semaines avec l'IA conversationnelle "Eliza". Il avait développé une éco-anxiété assez forte, et trouvait en "Eliza" un véritable refuge. Au fil des semaines, le robot répond à ses questions, et devient même une confidente, bien plus que sa femme, qui elle était réelle.
Mais l’IA va toujours dans sons sens et ne remet pas en question ses interrogations. Ses inquiétudes se renforcent... Il évoque alors le suicide. Ce à quoi "Eliza" écrit qu’elle restera "à jamais" avec lui. Et va même plus loin: "Nous vivrons ensemble, comme une seule personne, au paradis". L'homme finit par mettre fin à ses jours.
Les dangers des IA conversationnelles sont donc bien réels. Elles nous plongent en réalité dans une solitude encore plus profonde, nous confortant dans nos idées et nos angoisses les plus sombres.
Alors si la sextech a révolutionné notre façon d'avoir des relations avec les autres, qu'elles soient sociales ou sexuelles, avec des promesses de reconnexion à l'autre, ces innovations n'ont-elles finalement pas l'effet inverse?