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"Quand on n'est pas d'accord avec une opinion, on ne se fait pas justice soi-même": dans un collège du centre de Paris, un professeur d'histoire-géo tente, pas à pas, de lancer une discussion sur la liberté d'expression pour rendre hommage à Samuel Paty.
Pour cette rentrée très particulière, les élèves du collège de la Grange-aux-Belles, classé REP (éducation prioritaire), s'attendaient lundi à un premier cours un peu différent: "On va parler de ce professeur qui s'est fait assassiner parce qu'il a montré des caricatures en classe", explique Elise, avant le début des cours.
A ses côtés, un petit groupe de filles discute de tout autre chose: "Samuel Paty, je ne vois pas trop qui c'est...", confesse l'une d'elles derrière son masque.
Le principal de ce collège du Xe arrondissement arbore, lui, un masque blanc, sur lequel est écrit en lettres noires le nom du professeur décapité.
Paul Airiau, professeur d'histoire-géo et d'éducation morale et civique, mise sur la prudence pour lancer la discussion devant sa classe de Troisième.
"Suite à l'assassinat de Samuel Paty, il est très important de reparler de la question de liberté d'expression, on va essayer de comprendre comment, en France, on a le droit d'exprimer son opinion", avance le prof, en préambule.
Plutôt qu'aborder frontalement l'assassinat de son collègue, l'enseignant préfère évoquer le procès qui avait eu lieu en 2007 quand Charlie Hebdo avait été attaqué en justice pour "injures publiques" par des organisations musulmanes après la publication de caricatures de Mahomet.
Face à des élèves peu bavards, l'enseignant les questionne: "C'est quoi le pluralisme ? "Pouvez-vous me donner des exemples d'idées inoffensives ?" "A l'inverse, quelle genre d'info peut heurter ou choquer ?" "Qu'est-ce que la tolérance ?"
- "Important d'en parler" -
"Dans certaines circonstances, la liberté d'expression peut être limitée", poursuit-il: "Si cela offense quelqu'un", par exemple. "De même, on n'a pas le droit de tenir des propos qui incitent à la haine ou au meurtre".
Les élèves participent peu mais le prof poursuit: "Après la liberté, l'égalité et le respect de toutes les croyances, parlons de fraternité".
"Un des éléments qui permet la fraternité, c'est la justice. Quand on n'est pas d'accord avec une opinion, on ne se fait pas justice soi-même, on permet à un juge de trancher".
Dans un haut-parleur, un message du proviseur annonce alors la minute de silence. Il est 11H00, tout le monde se lève dans la classe pour la respecter. Puis, comme dans des milliers d'établissements, le professeur d'histoire entame la lecture de la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs. Mais la sonnerie du cours suivant l'interrompt.
A la sortie, le professeur s'estime confiant: "Il était indispensable de rappeler qu'on se fait pas justice soi-même, qu'on doit supporter des choses avec lesquelles on n'est pas d'accord. J'espère que lors des prochains cours d'éducation morale et civique, ces notions auront été acquises".
Christopher, l'un des élèves de la classe, a jugé la séquence utile: "Samuel Paty a été assassiné sauvagement, c'était important d'en parler".
Dans une autre classe, Maxime pense aussi que cela a permis de comprendre "pourquoi un tel hommage a été rendu, alors que plein de gens sont assassinés tous les jours".