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Quel bilan tirer des deux décennies d'existence de l'Agence mondiale antidopage (AMA) ? L'organisation a créé les outils pour harmoniser et améliorer la lutte contre le dopage, mais ses faiblesses sont apparues au grand jour lors du scandale de dopage institutionnel en Russie.
Née en novembre 1999, l'AMA a passé un quart de son existence -- depuis fin 2014 -- à gérer cette crise russe qui a ranimé le spectre d'un dopage d’État, déjà avéré en ex-RDA dans les années 80.
Ce système massif de corruption -- des entraîneurs prévenus des contrôles antidopage, des centaines de résultats de contrôles positifs "blanchis" -- s'était installé au sein même de l'agence antidopage nationale (Rusada) et du laboratoire de Moscou, pourtant supervisés par l'AMA. Des failles béantes dans le système.
Pire, l'AMA n'a pas été entendue par le Comité international olympique (CIO), son créateur, quand elle a demandé de bannir la Russie des JO de Rio-2016.
"On a vu les limites du système", concède à l'AFP le directeur général de l'agence, Olivier Niggli. Mais "il faut aussi fixer la limite de ce qu'on attend de la lutte antidopage. Face à l'intervention de services secrets (russes), jamais le système antidopage ne sera en mesure de lutter".
- "dopage plus difficile" -
"Cela étant, les choses ont été mises sur la table grâce aux enquêtes de l'AMA", après les révélations des médias, "et depuis on a changé beaucoup de choses". Comme le renforcement du service d'enquêtes de l'AMA, qui a dévoilé d'autres affaires. Ou des règles permettant de sanctionner des pays ou des fédérations sportives, y compris l'arme ultime d'empêcher une participation aux JO.
C'est déjà d'une crise qu'était née l'AMA, celle de l'affaire Festina sur le Tour de France. Des mois de négociations avaient abouti à un compromis entre des Etats qui ne voulaient plus laisser la main au mouvement sportif pour nettoyer ses écuries, et le CIO, soucieux de garder son pré carré.
Le bilan est solide: l'agence, basée à Montreal, a fait adopter en 2004 un code mondial antidopage, qui fixe des règles uniques, et 188 Etats ont adhéré à la convention UNESCO de 2005, qui permet de transposer le code dans les lois nationales.
Le passeport biologique, les obligations de localisation des sportifs, les coopérations avec les services d'enquêtes ou l'industrie pharmaceutique, et l'amélioration des méthodes de détection, ont renforcé le système.
"Aujourd'hui, il est plus difficile de se doper, cela demande des méthodes plus sophistiquées. A partir de là, les risques de se faire attraper augmentent, parce que (le dopage) implique beaucoup de choses autour qui rendent le secret plus difficile", assure Olivier Niggli.
Poussées par les scandales à répétition, quelques fédérations internationales ont mis sur pied des organes antidopage solides et indépendants, comme dans le cyclisme (CADF) ou l'athlétisme (AIU), et des programmes de réanalyses d'échantillons ont abouti à la disqualification de dizaines de sportifs médaillés aux JO, surtout dans l'haltérophilie.
- moins d'argent qu'Ineos -
Mais dix ans après l'affaire de dopage sanguin Puerto, l'affaire Aderlass, qui a touché début 2019 le ski de fond et le cyclisme de haut niveau, rappelle que les autotransfusions sont toujours indétectables aux contrôles, voire au passeport sanguin.
"L'enquête a montré combien il est facile de contourner les règlements. Il n'y a pas besoin de gros investissements médicaux pour déjouer les contrôles", a souligné, cette semaine encore, le chef de l'équipe d'enquête du parquet de Munich sur cette affaire, Kai Gräber. Le faible taux de contrôles positifs (1,43% sur plus de 300.000 contrôles) pose toujours la question de leur efficacité.
Depuis l'affaire russe, l'AMA, qui employait 117 personnes fin 2018, a lancé un vaste programme de supervision des fédérations internationales et des agences nationales antidopage. Mais sa capacité de contrôle est forcément remise en cause par ses moyens limités quand, dans certains pays, comme le Kenya, le dopage s'avère être un moyen de subsistance pour de très nombreux athlètes anonymes.
Financée par ses deux piliers, le CIO et les Etats, l'AMA est dotée d'un budget général d'environ 36 millions de dollars (32 M EUR) en 2019, soit moins que celui estimé de l'équipe cycliste Ineos (environ 40 M EUR). "Insuffisant", reconnaît Olivier Niggli, tout en saluant un "effort important" des contributeurs, qui ont promis une hausse annuelle de 8% sur cinq ans (2018-2022).