L'autonomie de nos smartphones est le gros point noir dans l'évolution d'un appareil qui devient de plus en plus indispensable. Alors qu'un témoin qui nous a contactés se demande si les fabricants ne font pas exprès de rendre les batteries moins endurantes au fil du temps pour nous faire acheter un nouveau modèle, RTL info met les choses au point dans ce dossier: pourquoi les batteries voient leur performance diminuer au fil du temps, quelles sont les pistes d'évolution ?
Le marché du smartphone représente l'essentiel des dépenses des consommateurs au niveau de l'électronique grand public. En marge du CES (grand salon mondial des nouvelles technologies) de Las Vegas, de nouveaux chiffres ont confirmé que les revenus du secteur restaient très dépendants des smartphones.
Nos chers téléphones intelligents demeurent "le centre de l'univers de la technologie grand public", selon un analyste du CTA, l'association américaine de l'industrie de l'électronique grand public. Ils vont ainsi représenter cette année 47% des dépenses en électronique grand public à l'échelle mondiale, a précisé Steve Koenig.
Face à un tel succès, la concurrence est énorme, les innovations se multiplient, les fiches techniques gonflent, les prix baissent.
Tout est "plus", sauf la batterie
Que des bonnes nouvelles, alors ? Non, car il y a un domaine où rien ne change (ou presque), c'est celui de l'autonomie des smartphones. Elle est généralement limitée à un jour, deux dans certains cas…
Et vous l'aurez forcément remarqué, elle a une fâcheuse tendance à être de plus en plus faible au fil des mois.
"Je possède un iPhone 5S (un appareil sorti en 2013, NDLR) depuis quelques années et depuis le début de cette année, je note que non seulement il se décharge plus rapidement qu'avant mais qu'en plus, dès qu'il atteint 40 % de réserve de batterie, il s'éteint", nous a écrit Jérôme via la bouton orange Alertez-nous.
Il faut se rendre à l'évidence: l'autonomie est le seul domaine au niveau duquel les téléphones mobiles sont moins performants qu'avant.
Mais pourquoi ? La première raison est évidente: les smartphones ont des besoins grandissants en énergie. L'internet mobile, gros consommateur d'énergie en recevant et envoyant des données aux antennes des opérateurs, est la cause principale. Et comme vous le savez, on consomme de plus en plus d'internet mobile: les forfaits sont passés de 200 MB à 2 GB par mois en quelques années. Viennent ensuite les écrans, toujours plus grands et toujours plus beaux, et bien sûr les processeurs. Ceux-ci sont, à chaque génération, de mieux en mieux optimisés pour délivrer plus de puissance en consommant moins d'énergie, mais cela va de pair avec des applications et jeux vidéo de plus en plus gourmands…
Tous les smartphones sont confrontés au même problème: après une grosse journée, tout devient rouge...
Un problème propre aux iPhone ? Non…
L'autre raison est plus compliquée à expliquer: la perte de performance des batteries au fil des mois. Jérôme, notre témoin, va jusqu'à se demander "s'il ne s'agit pas là d'un programme mis en place par Apple pour forcer un achat plus rapide d'un nouvel iPhone".
Commençons par mettre les choses au point par rapport au cas de l'iPhone. Cette impression qu'ils n'ont pas de bonne batterie est due à… une des plus grandes qualités des smartphones d'Apple: leur durée de vie. Les iPhone sont les téléphones qui se mettent à jour le plus grand nombre de fois. L'iPhone 5 sorti en 2012 a reçu sa 4e grosse mise-à-jour annuelle, ajoutant de nouvelles fonctionnalités, en 2016. On ne sait si ce sera encore le cas en 2017, mais cela équivaut déjà à la "garantie" officieuse d'un smartphone à jour durant 5 ans.
Aucun smartphone Android sorti en 2012 ne peut en dire autant. Même les modèles haut-de-gamme de Samsung, Sony, Huawei (etc…) reçoivent la mise-à-jour Android de l'année suivant leur sortie, et puis basta. Ça ne signifie pas que le téléphone ne fonctionne plus, mais qu'il n'a pas accès à toutes les nouveautés du système d'exploitation, qu'il n'y a plus de correctif de sécurité ni d'amélioration de ses performances/fonctionnalités. Sans compter que certaines options des applications peuvent devenir inaccessibles. Cela ne favorise pas la durée de vie d'un tel appareil, et encourage leurs utilisateurs à changer tous les deux ans environs, s'ils veulent utiliser la dernière version d'Android.
N'oublions pas également que les iPhone font partie des très rares smartphones à connaître un succès en seconde main. Des gens n'hésitent pas à dépenser 300 euros pour un iPhone 6 en bon état, sorti en 2014.
Enfin, rappelons-nous que les iPhone sont des appareils qui coutent chers (769€ pour l'iPhone 7 de base). Ils sont donc très souvent (et assez facilement dans les petites boutiques) réparés quand l'écran est cassé, quand le tactile ou le bouton d'accueil déconne.
Tout ça pour dire que le problème n'est donc pas du tout lié aux iPhone, mais au fait que ces smartphones aient une durée de vie nettement plus grande que la moyenne. Il y a donc beaucoup de "vieux" iPhone sur le marché. Et forcément, les capacités de leur batterie étant directement liées à leur âge, comme on va le voir, on en trouve beaucoup dont l'autonomie est très erratique.
Pourquoi les batteries sont-elles de moins en moins efficaces au fil des mois ?
Le grand problème des batteries pour les petits appareils électroniques, et peu de gens le savent, c'est que leurs capacités diminuent au fil du temps et des recharges. Les modèles actuels, au lithium-ion polymère, commencent donc à perdre de leur 'puissance' dès que vous déballez votre smartphone.
Apple, puisqu'on parle de lui, le reconnait sur son site : pour les "possesseurs d’iPhone, (la) batterie est conçue de manière à conserver jusqu’à 80 % de sa capacité initiale au bout de 500 cycles de charge complets". Vu qu'il faut généralement le charger (presque) tous les soirs, 500 cycles correspondent environ à 1 an et demi. L'autonomie de votre iPhone diminue donc, selon Apple, de 20% par tranche d'un an et demi.
Mais pourquoi ? Les batteries, c'est une question de chimie. Celle de votre smartphone est basée sur le déplacement de l'ion lithium entre une électrode positive et une électrode négative, chacune étant constituée d'un certain matériau (graphite et cobalt, pour faire simple). Ces ions, pour se déplacer et ainsi créer de l'énergie, ont besoin d'être dans un genre de bain semi-liquide (une sorte de gel) jouant le rôle d'électrolyte, et lui aussi composé de certains éléments chimiques bien précis.
"Il y a de multiples raisons" qui expliquent la perte de performance de la batterie au fil des cycles de charge et de décharge, nous a expliqué Jean-François Gohy, Professeur à l'Ecole de Chimie de l'UCL, l'Université Catholique de Louvain.
En premier lieu, il y a "le vieillissement des éléments qui composent la batterie". Cette décroissance peut être vue comme "une fatigue des composants", la batterie ayant été optimisée pour fonctionner le mieux possible "durant quelques milliers de cycles de charge".
Cette fatigue est principalement causée par le "voyage" des électrons, qui entraîne "un dépôt de certains composants, une réaction avec d'autres éléments de la batterie".
Nathalie Job, chargé de cours au département de chemical engineering de l'ULG (Université de Liège), explique la perte de performances au fil des charges et décharges de la batterie avec une comparaison plus imagée. "Les matériaux s'usent par sollicitation mécanique, ils gonflent et se dégonflent (on parle d'infimes variations, NDLR) lorsque les ions lithium se déplacent d'un côté à l'autre. C'est comme si on empilait des balles de tennis les unes sur les autres", et que celles-ci étaient compressées avant de retrouver leurs formes initiales. "Inévitablement, elles vont s'abîmer au fil du temps". Pour info, dans les tournois de tennis, on change les balles tous les 9 jeux…
A quel rythme nos batteries perdent-elles leur efficacité ?
Cette usure est difficile à mesurer, car il y a de nombreux facteurs qui jouent un rôle sur la "fatigue" des composants de la batterie. "Il y a température: si elle est élevée, cela accentue les phénomènes de dégradation", précise notre experte.
Mais les chiffres compilés sont tout de même assez interpellants. Au déballage, la capacité de la batterie serait déjà située entre 88 et 94% de son rendement initial. Après 250 cycles de charge (environ 9 mois ou une année pour ceux qui l'utilisent un peu moins), la batterie n'a plus qu'entre 73 et 84% de sa capacité.
Selon Battery University, un site web canadien très fouillé dans le domaine, en moyenne, après un an, un smartphone a perdu entre 15 et 22% de son autonomie initiale…
Peu de smartphones sont conçus pour être démontables et réparables facilement
Quelles pistes pour l'avenir ?
D'après le Professeur Gohy, les batteries au lithium actuelles fonctionnent toujours sur "la même base inventée en 1991 par Sony: il n'y a pas eu de rupture technologique". Il y a tout de même eu des progrès: "on a optimisé les composants", et amélioré lentement les performances générales des batteries.
"Les techniques d'assemblage des industriels ont également largement évolué avec le temps. Il y a également de grosses évolutions au niveau de l'électrolyte (le 'bain' dans lequel voyagent les ions lithium, NDLR), qui est désormais du gel polymère, moins liquide", a précisé pour sa part Nathalie Job.
Et l'avenir, alors ? Pour nos deux experts, on a atteint un certain plafond dans les performances des batteries actuelles de smartphones, celles qui sont produites en masse par l'une des filiales de Samsung (Samsung SDI), par exemple, lui qui fournit la plupart des constructeurs.
Les faits sont donc clairs: à court terme, il ne faut pas s'attendre à des révolutions en matière d'autonomie pour nos chers smartphones. Les milliards de dollars générés par ce marché très actif n'y changeront rien: la capacité d'une batterie dépend actuellement de sa taille et de son poids, or on se dirige toujours vers des smartphones plus fins et plus légers.
Certes, à intervalle régulier, on apprend qu'un petit laboratoire d'université a inventé la batterie idéale, à la fois plus endurante et se rechargeant en quelques secondes. "Pour faire vraiment beaucoup mieux, il faut changer les matériaux", explique notre experte de l'ULG. "Il existe des projets avec des matériaux organiques, qui permettent notamment un transfert beaucoup plus rapide, et des recharges en quelques secondes parfois". Les concepts existent, mais ils sont très loin du stade de la production industrielle, qu'ils n'atteindront sans doute jamais. La raison est parfois simplement que les composants utilisés sont trop rares et trop cher, ou que la conception est trop complexe. Il en faut nettement plus "pour convaincre Samsung d'investir des milliards de dollars pour changer ses lignes de production de batteries".
L'autre frein, selon Jean-François Gohy, est que "les industriels se focalisent davantage sur la production de batteries pour les voitures électriques". Tesla, par exemple, "a trouvé des nouveaux matériaux pour stocker plus de lithium dans ses batteries", et augmente donc régulièrement l'autonomie de ses voitures. Ces évolutions parallèles des batteries au lithium (qui n'ont pas les mêmes contraintes d'encombrement ni cycles de recharge) peuvent-elles avoir des retombées sur les batteries de nos smartphones ? "L'avenir nous le dira".
A court terme: des charges beaucoup plus rapides
A quoi faut-il s'attendre, dès lors ? A court terme, à ce que proposent déjà plusieurs marques à partir d'une certaine gamme: la charge (très) rapide du smartphone. Chacun travaille plus ou moins de son côté, même si la norme 'Quick Charge' du fabricant de puce Qualcomm est ouverte à tout le monde.
Prenons l'exemple du OnePlus 3, un smartphone aux caractéristiques haut-de-gamme mais au prix contenu. Sa fonction 'Dash Charge' permet effectivement de redonner 63% d'autonomie en seulement 30 minutes. Nous l'avons testé et en effet, c'est très, très rapide. Pour ce faire, il y a un chargeur d'une tension de 5 volts, mais d'une intensité de 4 ampères, ce qui donne au final 20 watts (contre 5 pour la plupart des chargeurs). Il faut une puce spéciale dans le smartphone qui gère cette forte intensité de la charge, car on peut y aller très fort pour le début, mais il faut y aller plus doucement ensuite pour ne pas endommager la batterie. Il faut également utiliser le câble USB de OnePlus, qui comporte plus de pins, pour que l'énergie soit correctement transmise.
Cette option qui va encore se répandre en 2017 comble une partie du problème d'autonomie, sachant qu'il suffit de prendre son petit-déjeuner pour recharger une grande partie de la batterie son smartphone.
Notez également que les batteries de secours se démocratisent, encore faut-il penser à les prendre dans son sac et à les recharger régulièrement. Quant à la charge sans-fil, elle a fait quelques apparitions chez les constructeurs ces dernières années, mais pas de quoi motiver le reste de l'industrie pour retrouver des zones de chargement sans fil dans les sièges des avion/train/taxi, les tables de nuit, les voitures, les bureaux, etc.
Kyocera pourrait présenter son smartphone à chargement solaire prochainement
A long terme: rêvons…
Sur le plus long terme, en attendant que toutes les promesses des prototypes de laboratoires d'université se concrétisent, on peut juste rêver à des solutions plus radicales pour que nos smartphones conservent une autonomie respectable.
L'une d'elles est une chimère: une feuille de cellule photovoltaïque insérée dans l'écran et la face arrière du smartphone, qui chargerait constamment la batterie. Cela fait plusieurs années qu'on en parle, mais il n'y a rien de concret pour le moment. Cependant, il se murmure que le japonais Kyocera est sur le point de présenter, au Mobile World Congress de Barcelone en 2017, une version définitive de son smartphone à chargement solaire. On attend de voir l'efficacité réelle de la recharge.
Une autre piste est plus concrète: (re)faire des smartphones "ouvrables" (comme le Fairphone, voir plus haut) et prévoir un système gratuit de remplacement annuel de la batterie, avec envoi de l'ancienne pour son recyclage. Mais quelle entreprise a envie de gérer cette procédure tout de même assez lourde ?
Conclusion
La théorie de Jérôme selon laquelle Apple chipoterait dans son logiciel pour que les iPhone s'éteignent plus rapidement après quelques années, forçant les utilisateurs à en acheter un nouveau, est mise à mal par les explications de nos experts.
En réalité, les batteries perdent de leur capacité naturellement, et graduellement, au fil des charges et des décharges, à cause de leur fonctionnement intrinsèque: pour faire simple, le déplacement des ions lithium "fatigue", "use" les composants chimiques de la batterie, dont les performances s'amenuisent petit-à-petit.
Quant au système d'exploitation de l'iPhone, iOS, "il intègre un logiciel de gestion" auquel les scientifiques n'ont pas accès, explique Nathalie Job de l'ULG. "Il y a différents critères pris en compte par ce genre de logiciel pour calculer l'autonomie restante. C'est la tension de la batterie qui est l'indicateur principal, mais c'est parfois irrégulier". De plus, ces logiciels de gestion de la batterie, qui servent également à mettre le téléphone en sécurité avant que la batterie soit complètement vide (car c'est très mauvais, autant la charger quand elle arrive à 25%), sont optimisés pour des batteries neuves. Après 4 ans, la batterie de l'iPhone de Jérôme a sans doute des signaux de tension erratiques, ce qui trompe le logiciel de gestion, qui éteint dès lors le smartphone alors qu'il indique 40% d'autonomie restante.
"Je ne crois pas que l'obsolescence programmée des smartphones soit liée à leur batterie. Elle réside sans doute davantage dans le fait qu'il est pratiquement impossible de les ouvrir pour les réparer", conclut notre experte.
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