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"Il y a un mois, j'ai appris via mon frère, qui habite à Lobbes, que notre nom de famille d’origine polonaise a changé", confie Isabelle, 52 ans, via notre bouton orange Alertez-nous. Désormais, elle ne s’appelle plus Isabelle Kopyka mais Kopijka. "Je ne sais même pas comment le prononcer", s’exclame la quinquagénaire.
"J’ai contacté ma commune qui m’a affirmé qu’effectivement il y a des modifications en raison de la numérisation des données des actes de l’état civil. Visiblement, il se rendent compte des erreurs du passé et les corrections de noms d’origine étrangère se font à la pelle", ajoute cette habitante de Rixensart.
Une nouvelle banque de données digitale
Comment expliquer cette situation inattendue ? Il faut remonter au début de l’année. La commune d’Anderlues, où sont nés plusieurs membres de sa famille, est alors confrontée à un problème lorsqu’elle veut migrer un acte papier dans la BAEC, la nouvelle banque de données des actes d’état civil.
Depuis le 31 mars 2019, l’état civil est en effet numérisé. Les communes et les consulats belges signent électroniquement les actes et les enregistrent dans ce registre central. Les agents délivrent des extraits et des copies à partir de cette banque de données digitale.
"Cette numérisation met un terme à l’archivage physique de millions d’actes dans les maisons communales, les tribunaux et les consulats. Les anciens actes papier migrent systématiquement des 589 registres communaux et des 102 registres consulaires vers la nouvelle banque de données. Le nombre total d'actes établis depuis 1945 est estimé à 15 à 20 millions", explique le porte-parole du SPF (Service Public Fédéral) Justice.
Le système coince en cas d’erreur
Dans la BAEC, chaque citoyen est identifié par un ensemble de données personnelles. Si une commune y intègre, par exemple, un acte de naissance papier, un contrôle s’opère automatiquement via le numéro de registre national. "S’il y a une différence entre les données personnelles déjà connues dans la BAEC et les données de l'ancien acte papier à migrer, la banque de données centrale affiche un message d'erreur. Une faute d’orthographe ou de frappe dans les noms, prénoms et adresses est considérée comme une erreur matérielle", indique le SPF Justice.
C’est donc le souci rencontré par la cheffe de bureau administratif de la commune d’Anderlues. Elle nous explique que Marian Kopijka, l’ancêtre commun qui est arrivé en Belgique, est né en juin 1913 en Pologne. Sur différents documents officiels belges, comme son acte de mariage, son nom de famille n’a pas été écrit de façon identique. "Et ce monsieur a eu sept enfants. Sur leurs actes de naissance, le nom de famille n’est déjà pas toujours orthographié de la même façon. Il existe donc une série d’erreurs depuis des décennies qui ont été répercutées sur les descendants de cette famille nombreuse", explique-t-elle.
"Beaucoup d’enfants de Marian sont nés à Anderlues, c’est pour cela que j’ai initié les démarches de migration début janvier", confie la cheffe de bureau. Comme il y a des différences entre les actes papier et les données du registre national, une migration n’est toutefois pas possible. Cela coince dans le système.
La justice a tranché sur l’orthographe à adopter
Que faire ? Quand il s’agit d’une erreur matérielle, un officier de l’état civil peut lui-même la rectifier. "Nous avons dû trouver une solution. Pour savoir quelle orthographe adopter, j’ai transmis ce dossier complexe à la substitut du procureur du Roi à Charleroi qui a tranché", poursuit la fonctionnaire.
Visiblement, c’est l’orthographe qui apparaît sur l’acte de notoriété de cet ancêtre commun qui a été choisie. "Ce document officiel rédigé par le tribunal de première instance de Charleroi, où Marian était établi, date de mars 1940. Il remplace l’acte de naissance", précise-t-elle.
Je conçois que ce changement de nom est peut-être brutal, mais nous n’avons pas le choix
Cette décision a eu un effet en cascade sur toute la famille. Et notamment sur Isabelle, son frère et son père, qui réside également à Lobbes, dans le Hainaut. "Mon papa de 80 ans apprend à la fin de sa vie que son nom a changé. Il ne le comprend pas et est dans le déni complet", confie sa fille. "Je conçois que ce changement de nom est peut-être brutal, surtout pour le père, mais nous n’avons pas le choix. Ce changement doit être réalisé pour uniformiser tous les noms de la famille. Il s’agit d’une décision judiciaire que nous ne faisons qu’appliquer", souligne Olivier Goffaux, officier de l’état civil à Rixensart.
Depuis quelques mois, la commune d’Anderlues contacte toutes les autres communes où résident un membre de cette famille pour qu’elles changent les données du registre national. "La crise sanitaire a chamboulé notre travail. Nous ne sommes donc pas arrivés au bout, mais les changements sont en cours", assure la cheffe de bureau.
La commune de Rixensart a reçu un email à ce propos en mars dernier. "Nous vérifions d’abord si tout est correct avant de procéder au changement. Comme cela n’était pas urgent et, vu le contexte de crise, nous ne l’avons pas fait rapidement", explique Isabelle Vanden Borre, responsable du service démographie.
Quand Isabelle l’apprend par son frère, elle a donc contacté sa commune. "J’ai en discuté avec Mme Kopijka au mois de juin. A ce moment-là, elle savait que son nom allait être modifié. Nous avons convenu de réaliser ce changement au mois de septembre pour lui éviter des soucis éventuels pendant les vacances", confirme la responsable."
"C’est choquant de ne pas être prévenue"
Selon Isabelle, elle a toutefois découvert par hasard début juillet que son nom avait déjà officiellement changé. "Comment est-ce possible de procéder dans la plus totale indifférence des personnes concernées à un changement de nom ? La commune change tout à coup un Y en IJ sans prévenir. C’est cela que je trouve choquant", ressent la quinquagénaire.
Normalement, les communes de résidence doivent contacter les personnes concernées pour les informer. La responsable du service regrette cette situation mais parle d’un concours de circonstance malheureux. "Je suis partie en vacances et un collègue a poursuivi le travail en pensant bien faire. Il n’était pas au courant de notre arrangement. C’est donc une mauvaise communication", admet Isabelle Vanden Borre, tout juste rentrée au bureau. "En tout cas, normalement, les citoyens qui se trouvent dans ce cas sont prévenus puisqu’ils reçoivent une convocation pour leur nouvelle carte d’identité dès que les changement est opéré dans le registre national", ajoute-t-elle.
"Je dois changer tous mes documents et prévenir tous mes contacts"
Au-delà de cette "mauvaise surprise", Isabelle insiste également sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un acte anodin. "Un tel changement c’est bien plus que de modifier un nom sur un bout de papier. Cela a des répercussions. Je dois changer ma carte d’identité, celle de ma fille, mon passeport, ma carte de banque, mon acte de naissance et de mariage. Je dois prévenir tous mes contacts", énumère la quinquagénaire. "Tout cela va prendre du temps, sans compter les frais alors que c’est le fruit d’erreurs d’officiers de l’état civil", souligne-t-elle.
Isabelle espère d’ailleurs que sa commune va faire un geste. "En ce qui concerne les remboursements des frais qui représentent un coût non-négligeable, une discussion était planifiée avec la bourgmestre via visioconférence mais il y a eu un souci technique. En tout cas elle est ouverte au dialogue", assure Olivier Goffaux. "Même s’il ne s’agit pas d’une erreur de notre part, mais d’une rectification imposée de données, nous allons faire un geste. Sa carte d’identité sera certainement gratuite", prévoit la responsable du service."
Cela risque d’arriver de plus en plus avec la digitalisation des donnée
Tous deux confirment que ce n’est évidemment pas la seule famille concernée. "Cela risque d’arriver de plus en plus avec la digitalisation des données. Récemment, j’ai eu le même souci quand j’ai voulu migrer un nouvel acte de divorce d’un habitant de la commune. Il manquait un accent sur son nom d’origine espagnole. Ces détails paraissent anodins, pourtant les répercussions sont réelles", souligne l’officier d’état civil à Rixensart.
Il y a déjà pas mal de cas visiblement à Rixensart. Donc vous imaginez à l’échelle nationale
"C’est encore plus compliqué quand il a fallu traduire des noms de personnes venant de pays où l’alphabet est différent, comme la Russie. Les traducteurs interprètent et les résultats ne sont pas les mêmes pour tous les membres d’une famille. Il faut rectifier tout cela", ajoute sa responsable.
"Il y a déjà pas mal de cas visiblement à Rixensart. Donc vous imaginez à l’échelle nationale", souligne Isabelle.
Un retour en arrière impossible
La BAEC devrait toutefois permettre d’éviter ce genre de problèmes à l’avenir. "Le but de ce système est d’uniformiser et de formaliser les données. Il permet de détecter des erreurs et de les rectifier. On va donc devoir trancher une fois et, par la suite, chaque commune devra toujours garder la même orthographe pour intégrer ou délivrer des documents", se réjouit la responsable du service démographie.
Même si elle comprend la raison de ce changement, Isabelle garde un goût amer mêlé à de la nostalgie. "J’ai déjà contacté le SPF Justice pour retourner en arrière et récupérer mon nom. Mais visiblement ma demande n’est pas acceptée car je ne peux pas contester une décision prise par un officier de l’état civil", regrette la quinquagénaire qui devra s’habituer à écrire différemment son nom de famille.