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Attention aux vendeurs en porte-à-porte de fruits et légumes dans le Brabant wallon. À Waterloo, une femme a pris pour 400 euros de marchandise. Cette mère de famille tout à fait sensée ne comprend pas comment elle a pu se laisser convaincre d'acheter ces quantités absurdement disproportionnées. Elle n'est pas la première dans la région. Derrière ces ventes, deux mystérieuses entreprises basées en Belgique: "Saveurs du terroir" et "Primouest".
30 kilos de pommes de terre. 12 kilos de pêches, abricots, nectarines et tomates. 20 kilos d'oignons. 5 kilos de melons. Et 12 litres de jus de pomme. Pour un total de 400 euros environ. Une mère de Waterloo, âgée d'une quarantaine d'années ne comprend toujours pas comment elle a pu acheter de telles quantités à un vendeur de fruits et légumes qui s'est présenté à son domicile au début du mois de juillet. L'incompréhension domine. Mais aussi la honte. Un sentiment qui la pousse à vouloir garder l'anonymat. "Je veux que mon témoignage soit anonyme parce que j'ai tellement honte de ce que j'ai fait. Les gens vont penser 'Mais quelle cruche celle-là!'", nous confie-t-elle au téléphone après avoir pris contact
Une technique bien rodée
Il est vendeur de fruits et légumes bio. Des produits de qualité, affirme-t-il au seuil de la porte. Le nom de son commerce ambulant est "Saveurs du terroir". La société dispose d'un siège social à Waterloo, 20 rue de Normandie. Le commerçant raconte que lui et ses collègues sont occupés à vendre leurs produits chez des voisins dans la rue. Il se demandait si elle-même ne serait pas intéressée. En parcourant le témoignage d'autres victimes sur des forums internet, nous constaterons plus tard que cette introduction est un classique dans ce type de vente.
Intéressée? Elle répond par l'affirmative. La machine s'enclenche. Lui, c'était l'éclaireur. Son coéquipier se présente vingt minutes plus tard.
"Il est arrivé avec un panier en osier contenant les produits qu'il vendait. Il m'a demandé d'entrer. Il s'est installé à la table de la salle à manger, moi je suis restée debout. Et là, il a commencé à me proposer des pêches plates, des tomates, des nectarines,... Et en me parlant de quantités très élevées. Je ne me rappelle plus des chiffres exacts mais ils vous disent 100, 80, 60, 24...", relate la mère de famille. Le vendeur est astucieux, il lâche des chiffres mais n'évoque jamais l'unité de mesure, c'est-à-dire des kilos. Cette technique est, elle aussi, rapportée par d'autres clients lésés sur des forums internet.
Des arguments douteux
L'habitante de Waterloo a des enfants mais pas une famille nombreuse. Et elle part en vacances bientôt. Elle déclare dès lors à son interlocuteur qu'elle ne peut pas acheter d'importantes quantités. Il déploie alors une série d'arguments à la pertinence douteuse. "Il vous dit que, comme la chaîne du froid n'a jamais été rompue, les produits n'ont jamais été mis au frigo et qu'ils vont se conserver beaucoup plus longtemps, que les fruits vont pouvoir se conserver deux à trois mois", nous rapporte la femme.
Deux ou trois mois pour un fruit? "J'étais étonnée", dit-elle. Elle le lui dit: "Ce sont quand même des pêches". Il objecte que "oui, mais madame, ce n'est pas la même chose que ce qu'on vend chez Carrefour, ce sont des produits de meilleur qualité, avec du goût. Il me dit aussi que c'est de les mettre au frigo qui fait qu'ils pourrissent", se souvient celle qui bientôt achètera les quantités ahurissantes énumérées plus haut. La quantité, elle y vient justement. "C'est quand même beaucoup", dit-elle. Mais le vendeur relance une offensive: "Non, pas tant que ça, ce sont des quantités qu'on vend même à des personnes âgées, vous êtes une famille avec des enfants, vous arriverez à tout consommer", tente-t-il de convaincre, se rappelle la quarantenaire. "Je lui dis qu'on part bientôt en vacances. Il me répond de ne pas m'inquiéter, que ça va rester bon. Il me dit que les pommes de terre restent bonnes 10 à 12 mois, les oignons la même chose, même chose pour l'ail." Pour ces trois végétaux, le vendeur n'exagère pas. Ils peuvent en effet se conserver longtemps, toutefois seulement si les conditions sont optimales (dans une cave, avec à une température et un taux d'humidité bien précis): 8 à 12 mois pour des patates, 6 mois à 1 ans pour de l'ail, 6 mois environ pour les oignons.
Aux arguments de bon sens de la mère de famille, le vendeur en objecte donc d'autres systématiquement. Et elle finit par céder. "À chaque fois, il me propose de grosses quantités, en partant de la plus élevée et en allant vers la plus basse. Et là... Vous dites oui en fait", observe-t-elle. "Il vous propose des pommes de terre, vous dites oui. Vous voulez ça aussi? Vous dites oui."
Elle descend à la cave et constate les quantités énormes de fruits et légumes
Les quantités sont énormes. Le prix aussi. Le vendeur fait la somme et, sur le bon de commande, il inscrit... 600 euros. Elle se défend à nouveau. Ce sera la dernière fois. Elle répète que c'est quand même cher. Il relance une dernière salve d'arguments: produits de qualité, longue conservation, c'est un investissement. Elle cède définitivement. "Je me dis que oui, tout compte fait... Et puis, je paie. Voilà, je me fais avoir", conclut-elle. Il sort promptement son lecteur de carte. Elle sort sa carte. Bip bip. Le paiement est fait. C'est terminé.
Dernière étape, la livraison. Le vendeur annonce qu'il va tout déposer dans le garage. "Et au moment où je descends les marches de ma cave, je me dis 'Mais qu'est-ce que tu as fait? C'est débile, pourquoi as-tu fait ça?'" se souvient-elle. Son réveil est définitif à la vue des énormes plateaux et sacs de fruits et légumes que l'homme est en train d'entreposer dans le garage. Elle veut annuler la transaction. Mais le vendeur a décidément une riposte pour tout: "Oui, si vous aviez payé en cash, je vous aurais remboursée mais comme vous avez payé avec Bancontact, je ne peux pas", se rappelle avoir entendu notre témoin. C'est alors qu'entre en scène le mari. Son épouse lui expose la situation. Méfiant, il a pour premier réflexe d'aller relever la plaque de la camionnette qu'il prend en photo avec son smartphone. C'est une plaque française. Pourtant, le commerce "Saveurs du terroir" a son siège à Waterloo. De quoi amener à penser qu'il ne s'agit que d'une boîte postale. Une négociation s'entame. Le vendeur accepte de retirer pour 200 euros de produits. Et repart. "Je reste avec beaucoup de choses sur les bras", remarque la quadragénaire.
Une loi qui protège le consommateur en France mais pas en Belgique
Retour au point de départ, cette interrogation qui repasse sans cesse dans l'esprit de cette mère de famille de Waterloo, une femme raisonnable et sensée. "Mais comment j'ai pu me faire avoir?", dit-elle encore et encore. "On entend plein d'arnaques comme ça, partout, tout le temps. Comment j'ai pu me faire avoir? C'est ça que je n'arrive pas à comprendre", insiste-t-elle. Et de plus, son mari, lui, a des doutes sur la qualité de ce qu'elle a acheté. "Je ne sais même pas d'où viennent ces produits. Mon mari m'a dit 'Les 400 euros j'aurais pu les avaler si c'était des produits de qualité, fournis par un fermier de la région'"
Le couple décide d'agir. Il appelle d'abord la police. On lui répond laconiquement qu'il n'y a rien à faire, que ces gens sont en ordre. Il appelle aussi le service juridique de Test-Achats. Même type de réponse: rien à faire, ils sont dans la légalité. Le couple se renseigne sur internet. Et y obtient un élément très intéressant mais qui ne les arrange guère. En France, lors d'une vente à domicile, une personne qui achète des produits périssables a le droits de se rétracter. La loi n'existe pas en Belgique. Une différence qui n'est sans doute pas étrangère à l'incursion de vendeurs ambulants français dans notre pays.
Aucun numéro de téléphone
Enfin, le couple a contacté notre rédaction via notre bouton orange Alertez-nous. Nous avons brièvement enquêté. Voici ce que nous avons obtenu comme éléments.
Comme écrit précédemment, les vendeurs représentaient la société "Saveurs du terroir". Celle-ci est basée à Waterloo depuis le mois d'avril seulement. Nous avons joint la commune. Celle-ci nous a indiqué qu'aucune autorisation de la commune n'était nécessaire pour faire du porte-à-porte sur son territoire.
Un numéro de téléphone portable figurait sur le bon de commande. L'habitante de Waterloo nous l'a communiqué. Nous avons appelé ce numéro à de multiples reprises pendant plusieurs jours. Sans surprise, personne n'a jamais répondu. Pire, il n'y avait même pas de tonalité. C'est le seul numéro que nous obtiendrons. Pour toutes les autres entreprises que nous allons évoquer, jamais nous ne trouverons le moindre numéro.
Sur le site d'internet de la banque-carrefour des entreprises de Belgique, nous apprenons que le gérant de "Saveurs du terroir" est "Primouest Ltd", une entreprise basée en... Angleterre dont le directeur est un belge, un certain monsieur Thierry Leclaire domicilié à Wezembeek-Oppem. Aucun numéro de téléphone. Par ailleurs, liée à "Saveurs du terroir", il y a "Primouest", une autre entreprise basée cette fois à Uccle. Sur sa page dans l'annuaire internet Pagesdor.be, on ne trouve pas de numéro de téléphone mais une adresse et surtout plusieurs avertissements d'internautes. Le dernier est tout frais et date du 14 juin 2016. "Arnaque complète!! Les fruits se garderaient 6 à 8 mois,... Après 15 jours, les fruits se tachent et se flétrissent et les légumes pourrissent ou germent! Fuyez-les comme la peste!". Deux autres commentaires publiés en 2016 vont dans le même sens. Dès janvier, une personne écrivait notamment ceci: "Méfiez-vous de cette société. Ils vendent des fruits et légumes. Ils font du porte à porte et arnaquent les personnes âgées."
Le service juridique de Test-Achats et la police locale se trompaient
Le nom "Primouest" n'a pas été choisi au hasard. En France, il s'agit d'un grossiste en fruits et légumes exotiques. Une respectable entreprise familiale qui semble déjà avoir vu son nom utilisé par d'autres puisqu'elle affiche sur son site internet, dès la page d'accueil, le message suivant: "Attention aux fraudes, nous vendons seulement aux professionnels."
Comme nous vous l'écrivions plus haut, notre témoin a affirmé avoir téléphoné à la police locale ainsi qu'au service juridique de Test-Achats. Selon ses dires, ces deux interlocuteurs ont déclaré que les activités de ces vendeurs étaient légales et qu'il n'y avait rien à faire. Eh bien, ce n'est sans doute pas tout à fait vrai. Ou pour être plus précis, cela ne l'était pas au moment des faits, à savoir début juillet. Explications.
Afin d'en savoir plus sur les autorisations nécessaires pour faire de la vente en porte-à-porte, nous avons joint la Région wallonne. Si celle-ci a en charge les conditions d'accès pour pouvoir exercer une activité commerciale ambulante, elle nous apprend que c'est l'autorité fédérale qui s'occupe de la protection des consommateurs. La Région a toutefois pu nous éclairer sur un aspect légal déterminant dans l'affaire qui nous intéresse. La loi belge n'autorise pas la vente en porte-à-porte de produits pour un montant supérieur à 250 euros, sauf dérogation.
"Dès lors, dans le cas de figure présenté, la personne ayant vendu pour 400 euros était dans l’illégalité par rapport à la législation belge", conclut notre interlocuteur à la Région. Une illégalité qui se joue à... quelques jours. En effet, précise le porte-parole, la Belgique devait se mettre depuis plusieurs années en ordre par rapport à une directive européenne qui supprimait le plafond de 250 €, chose qui devait se faire le 16 juillet.
Qu'elle soit légale ou pas, la vente ambulante de fruits et légumes telle qu'a subie la quadragénaire de Waterloo s'est fondée sur une méthode et des arguments contestables. Ils ont mené une mère de famille à débourser plusieurs centaines d'euros pour des produits qu'elle ne voulait pas. Cela doit inciter la population à la plus grande vigilance.