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"Juarez est amour", clament des affiches montrant le visage souriant du pape. A Ciudad Juarez, un temps considérée comme la ville la plus dangereuse au monde, beaucoup espèrent que la venue du souverain pontife aidera à soigner des blessures encore vives. Dans les rues poussiéreuses de cette ville de plus de 1,3 million d'habitants, dans le nord du Mexique, à la frontière avec les Etats-Unis, la transformation est notable et la vie semble peu à peu revenue après des années de violences. Même la prison, que visitera le pape François le 17 février, et qui fut l'une des plus violentes d'Amérique latine, a changé.
Une trentaine de prisonniers y accommode des plantes et peint les murs de l'église construite dans le patio extérieur de la prison, sous les températures glaciales de cette région désertique. En 2010, une centaine de prisonniers a trouvé la mort entre ces murs lors de plusieurs mutineries et bagarres. "Avant il y avait des groupes qui se croisaient à l'intérieur et provoquaient des problèmes. En tant que détenu, vous deviez alors courir jusqu'à votre cellule. C'est terminé. Ils te confisquent maintenant le moindre clou, c'est plus sûr", dit à l'AFP Joel Torres, un ancien militaire qui a passé 15 ans derrière les barreaux et dont le visage s'illumine à l'idée de la venue prochaine du pape.
Dans la ville, une guerre fratricide se déroulait alors entre le cartel de Juarez et celui de Sinaloa de Joaquín "El Chapo" Guzmán, pour le contrôle des routes de la drogue. En 2010, plus 3.000 assassinats y étaient dénombrés, chiffre retombé à 300 l'an dernier, selon les autorités. Un changement que le gouvernement local attribue à la fermeté du chef de la police et à des programmes de prévention de la délinquance. Mais des experts affirment que la raison principale de cette amélioration s'explique par la victoire du cartel de Sinaloa sur son rival.
Filles disparues
Les violences de Ciudad Juarez ont laissé des marques. Les messages optimistes des affiches pour la visite du pape cohabitent avec les images des jeunes filles disparues placardées sur les murs de la ville. "Cette ville se relève parce que Dieu le veut, et le pape vient nous donner des paroles d'encouragement car beaucoup de familles souffrent", affirme Susana Montes, une femme de 46 ans, qui ne peut retenir ses larmes en évoquant ce funeste après-midi du 31 janvier 2009. Ce jour-là, sa fille de 17 ans, Maria Guadalupe, a disparu en allant s'acheter des chaussures de sport dans le centre-ville. Susana a mené sa propre enquête, estimant que les autorités ne faisaient pas leur travail. Après plusieurs mois, elle a appris qu'un groupe criminel l'avait prostituée dans un hôtel avec d'autres adolescentes. Le corps démembré de Maria Guadalupe a finalement été retrouvé dans un ruisseau, près d'un poste militaire, près de ceux de onze autres jeunes femmes, qui font partie des 400 féminicides recensés dans cette ville depuis 1993.
"Difficultés des migrants"
La violence n'est toutefois pas le seul problème qu'a dû affronter la ville. Dans les années 80, la proximité avec les Etats-Unis avait attiré de nombreuses entreprises étrangères qui y ont implanté des usines d'assemblage où des milliers de Mexicains sont venus travailler contre de maigres salaires. Mais la concurrence avec la Chine a entraîné la fermeture de plusieurs usines et les employés qui restent tentent d'obtenir de meilleures conditions de travail. Une centaine d'ouvriers a établi un campement devant l'entreprise américaine d'impression Lexmark pour demander une revalorisation de leur salaire hebdomadaire de 38 dollars. Le pape écoutera ces employés et délivrera un message aux migrants lors d'une messe inédite à la frontière entre les deux pays. Pour certains, le rêve américain s'est ici transformé en cauchemar.
"Les présidents et les hommes politiques semblent ne pas être de notre côté, mais on ne peut pas rester dans l'ombre. Nous voulons aussi des droits", explique Jose Alberto Sanchez, qui a vécu 15 ans à Las Vegas, où se trouvent sa femme et ses enfants, avant d'être expulsé il y a un an et demi. Depuis, il a tenté à trois reprises de repasser la frontière, sans succès.
Le père Javier Calvillo, qui gère un abri pour les migrants, connaît des centaines d'histoires de ce genre.
"Je ne demande rien au pape, car sa simple venue à Juarez pour y prendre le micro sera le meilleur cadeau possible."