Partager:
La pression monte sur l'agence américaine de protection de l'environnement qui doit décider d'ici novembre si elle réautorise le dicamba, un pesticide populaire mais controversé pour sa tendance à tuer les cultures dans les champs des voisins.
Cet herbicide à large spectre, comme le glyphosate, existe depuis longtemps. Mais son utilisation s'est intensifiée depuis que Monsanto, la firme américaine récemment rachetée par Bayer, commercialise des semences de soja et de coton génétiquement modifiées pour y résister.
Une aubaine pour certains exploitants au moment où les mauvaises herbes deviennent de plus en plus résistantes à d'autres désherbants.
Mais le dicamba se disperse facilement et tue les plantes qui ne sont pas adaptées. Il a ainsi pollué environ 4% des champs de soja aux Etats-Unis en 2017.
Les semences résistantes au dicamba de Bayer ont été utilisées sur environ 20 millions d'hectares (50 millions d'acres) cet été, soit deux fois plus que l'an dernier.
Certes, grâce à des formations obligatoires et à des restrictions imposées par certains Etats, les contaminations se sont tassées. A la mi-août, les plaintes avaient drastiquement diminué: 13 par million d'acres semés contre environ 99 en 2017, selon Monsanto.
Pour autant, le problème n'est pas réglé.
- Date limite -
Selon l'Association américaine des agents de contrôle des pesticides, les doléances liées au dicamba ont fortement baissé dans les Etats qui ont imposé des restrictions importantes, mais augmenté dans d'autres Etats comme l'Illinois ou le Missouri.
L'association a appelé l'agence de protection de l'environnement à imposer une date limite pour l'épandage des nouvelles versions du produit (Xtendimax de Bayer, FeXapan de DowDupont et Engenia de BASF).
Beck's, un important distributeur de semences aux Etats-Unis, demande à ce que le produit ne soit autorisé qu'avant la sortie de terre des plantes.
Le nombre de plaintes reste élevé, et cela pourrait nuire à l'image des agriculteurs, note l'entreprise.
Sur le terrain, le sujet reste sensible.
Dans l'Arkansas, le dicamba a profondément divisé la communauté agricole l'an dernier et les autorités ont décidé d'interdire son utilisation après le 15 avril.
Perry Galloway, fermier dans le comté de Woodruff, le regrette. Ses champs sont particulièrement touchés par l'herbe à cochon qui prolifère dans l'Etat.
"Avec les changements météorologiques, certains des herbicides qu'on utilisait auparavant n'ont plus autant d'effets", remarque-t-il. Sans le dicamba, la mauvaise herbe grouille.
- Ruches en péril -
Mais Richard Coy, apiculteur dans l'est de l'Etat, a une perspective différente.
"Dans les zones où le dicamba a été utilisé, j'estime que 70% de la vigne rouge (dont ses abeilles dépendent) est morte", remarque-t-il.
Sa production de miel a déjà baissé d'environ 40% à 50% près des champs où le produit controversé a été épandu. "Si la situation ne change pas dans l'Arkansas, on va être forcé d'y arrêter notre activité", prévient-il.
Certains exploitants ont continué à appliquer illégalement le dicamba après la date limite, a constaté Jason Norsworthy, chercheur à l'Université d'Arkansas. Environ 1.600 hectares de soja ont selon lui encore été endommagés cette année dans l'Etat, contre 3.600 hectares en 2017.
Un peu partout aux Etats-Unis, des agriculteurs ont porté plainte contre Bayer pour les pertes subies à cause du dicamba; début septembre, l'entreprise recensait 37 procès en cours regroupant 181 plaignants.
Un fardeau supplémentaire pour le groupe qui vient d'être condamné à payer 290 millions de dollars à un jardinier atteint d'un cancer incurable, pour ne pas avoir suffisamment informé de la dangerosité de son herbicide RoundUp.
Bayer assure que le dicamba ne posera plus de problèmes dès que les agriculteurs auront bien intégré les règles d'utilisation. Le groupe réfute en effet --études maison à l'appui-- l'idée que le produit est intrinsèquement volatil.
Jason Norsworthy ne partage pas cet avis. "Nous continuons à observer dans nos recherches que la volatilité (du dicamba) contribue en partie aux problèmes", affirme-t-il.
Marcia Ishii-Eiteman du Réseau d'action contre les pesticides remet plus globalement en cause le modèle agricole qui requiert toujours plus de produits chimiques.
"Monsanto gagne à tous les coups", déplore-t-elle. "En vendant leurs semences, en vendant le dicamba. Et ce sont les agriculteurs qui paient l'addition. Sans compter les dommages causés à l'écosystème".
L'agence de protection de l'environnement a recueilli tout l'été les témoignages de divers acteurs sur le terrain. Elle prendra sa décision "à temps pour que les agriculteurs puissent acheter leurs semences en toute connaissance de cause".