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Tout commence par une promesse. Nous sommes le 1er octobre 2020. Déclaration du tout nouveau Premier ministre Alexander De Croo: "Le gouvernement entend récompenser le travail et ainsi accompagner vers un emploi les groupes les plus vulnérable et tendre vers un taux d’emploi d’ici 2030".
Confirmation dans le texte. Dans l’accord du gouvernement, page 6, chapitre intitulé "Un pays prospère": on peut y lire que le gouvernement visera un taux d’emploi de 80% minimum pour 2030.
Cette semaine, justement, le gouvernement fédéral présentait sa grande réforme de l’emploi. Il est question notamment de semaine des 4 jours ou de travail de nuit dans le commerce en ligne.
Ça veut dire 685.000 personnes à remettre au travail. Il y a 300.000 chômeurs…
Sur le plateau de l'émission C’est pas tous les jours dimanche, une critique de taille est lancée. Elle nous vient de Thierry Bodson, président du syndicat FGTB. Pour lui, le taux d’emploi à 80%, c’est tout simplement irréel.
"Le pire est à venir. On a parlé du taux d'emploi à 80%, ça veut dire 685.000 personnes à remettre au travail. Il y a 300.000 chômeurs", explique Thierry Bodson. Le présentateur de l'émission fait remarquer qu'il y a aussi 500.000 malades de longue durée. "Oui, et je vous fiche mon billet que dans un mois ou deux, le gouvernement va venir avec des mesures pour remettre les malades et les invalides au travail", réagit le patron du syndicat socialiste.
Les taux d'emploi et de chômage en Belgique
Actuellement, le taux d’emploi en Belgique est de 71,4%. Il y a cependant de fortes disparités.
- Région bruxelloise: 62,6%.
- Wallonie: 65,8%.
- La Flandre: 76,2%.
Ces pourcentages correspondent aux personnes entre 20 et 64 ans qui ont actuellement un emploi.
Quant au taux de chômage, voici les chiffres pour chaque région.
- Flandre: 4%.
- Wallonie: 9%.
- Bruxelles: 13%.
Un patron flamand: "40 ouvriers de la France, 40 ouvriers de l'étranger, et seulement deux de la Wallonie"
Ces chiffres indiquent un besoin de travailleurs en Flandre… malgré cela, de moins en moins de francophones vont travailler en Flandre. En 2008, 68.644 Wallons travaillaient en Flandre, contre 56.092 en 2019, soit une baisse de 18%.
Comment l'expliquer? Nous avons posé la question au patron d'une entreprise flamande à succès, Paul Renson. "Moi j'ai étudié à Bruxelles en étant le seul néerlandophone avec 12 francophones. Je peux vous dire qu'on avait une très bonne entente, donc je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas travailler ensemble", explique-t-il à partir de sa propre expérience.
L'entreprise Renson se située à Waregem, à quelques kilomètres de Mouscron et de Tournai, mais aussi de la France. "Nous avons fortement engagé mais nous cherchons encore 100 personnes. Il y a 40 ouvriers de la France, 40 ouvriers de l'étranger, et seulement deux de la Wallonie, alors qu'on est à 20 kilomètres de la frontière linguistique", confie Paul Renson.
Un problème de langue et de mentalité?
Lors d'une séquence filmée avant l'émission, notre présentateur Christophe Deborsu a interrogé des wallons au hasard à Mons. La question: si vous n'aviez plus d'emploi, iriez-vous travailler en Flandre? Ils sont nombreux à mettre en avant la barrière de la langue et une mentalité flamande qui serait plus "stricte".
"Je ne parle pas flamand. Si je peux parler français oui, mais j'ai peur qu'on m'oblige à parler néerlandais", confie une jeune femme. "Non, je ne parle pas néerlandais. C'est plus la langue... La mentalité, peut-être aussi. Ils sont un peu plus plus froids", indique un jeune homme..
Une autre jeune femme a toutefois parlé de son expérience positive en Flandre. "J'ai déjà été en Flandre plusieurs fois avec mes parents pendant les vacances. Même s'il y a un stéréotype comme quoi les Flamands ne sont pas très sympas, personnellement je n'ai aucun problème avec eux", réagit-elle.
Une forme de dénigrement avoué de la Wallonie
D'après un témoin qui nous a contactés, la situation pour les travailleurs wallons en Flandre n'est pas idyllique. Il nous relaie son expérience par écrit. "J'ai progressivement découvert les pratiques utilisées en interne afin de permettre ce que j'appelle 'un transfert de la valeur ajoutée' de la Wallonie vers la Flandre", nous écrit-il.
Ce témoin précise que le comité de direction de l'entreprise où il travaillait était composé exclusivement de néerlandophones, malgré des dizaines d'employés en Wallonie. "Tous les postes-clés sont occupés par des Flamands qui ne connaissent pas le marché wallon et il y a une sous-évaluation du potentiel économique de la Wallonie", confie-t-il. Il décrit une politique salariale inégale entre les Wallons et les Flamands pour des fonctions équivalentes, ou encore une communication interne "pas toujours respectueuse entre les deux langues". "Et surtout, une forme de dénigrement avoué de la Wallonie: région pauvre, peu de potentiel économique, personnel difficile à gérer…", conclut le témoin.
Mon expérience en Flandre est très positive
L'émission C'est pas tous les jours dimanche a donné la parole à un autre travailleur wallon parti vivre et travailler en Flandre. Constate-t-il ce genre de dérives ou de clichés sur les Wallons? "C'est vrai qu'on peut parfois entendre que le Wallon est chômeur", indique Tommy. D'après lui, ce n'est cependant pas généralisé. "Mon expérience en Flandre est très positive. J'ai des collègues qui veulent apprendre et communiquer avec moi en français. Moi j'ai fait le nécessaire. J'ai pris des cours de néerlandais et j'ai essayé de m'intégrer le plus possible dans la culture flamande", dit-il.
Ce qui est frappant, c'est que les Polonais trouvent beaucoup plus facilement le chemin pour travailler en Flandre
Nous avons fait réagir le député fédéral N-VA Björn Anseeuw sur le témoignage du travailleur wallon qui a rencontré des difficultés en Flandre. Le parti nationaliste flamand n'attise-t-il pas ce genre de situation en répétant régulièrement que la Wallonie vit au crochet de la Flandre? "Je ne crois vraiment pas, parce que nous trouvons très important le bien-être de tout le monde et la prospérité du pays. Ce qui est frappant, c'est que les Polonais trouvent beaucoup plus facilement le chemin pour travailler en Flandre que les voisins wallons", rétorque le parlementaire.
"Je crois que la seule solution, ou la seule déclaration, c'est que l'incitation pour travailler est apparemment beaucoup plus forte en Pologne qu'en Belgique. Il faut faire quelque chose, avoir un début pour limiter le chômage dans le temps", ajoute-t-il.
Une plateforme inter-fédérale créée
Invité dans l'émission, le ministre fédéral de l'Emploi, Pierre-Yves Dermagne, indique qu'il a lancé avec les ministres flamands et wallons une plateforme inter-fédérale pour favoriser la mobilité inter-régionale. "Je pense qu'on doit aussi déconstruire certains clichés par rapport au fait que c'est difficile de travailler en Flandre. À côté de ça, il y a une série d'éléments à mettre en place en termes de mobilité. Faire en sorte d'avoir des lignes de bus, de trains. Ce sont des questions pratiques, mais qui sont importantes", précise le ministre socialiste.
On sait qu'au niveau du Forem on n'active plus les demandeurs d'emploi
De son côté, le ministre des Indépendants affirme que "l'activation par les régions et l'incitation à pouvoir aller chercher du travail de l'autre côté n'est pas suffisant". "Depuis la crise du covid, on sait qu'au niveau du Forem on n'active plus les demandeurs d'emploi. Donc il est temps aussi qu'au niveau des régions on soit un peu plus proactif à cet égard. Les régions doivent prendre leurs responsabilités", pointe David Clarinval.
Rappelons que le parti du ministre, le Mouvement réformateur, participe également au gouvernement wallon, avec le PS et Ecolo.
D'autres études ont montré que les travailleurs wallons étaient particulièrement mobiles
Le président de la FGTB est intervenu dans le débat. "D'autres études ont montré que les travailleurs wallons étaient particulièrement mobiles. Quand on voit le pourcentage de travailleurs qui vont en France, au Grand-Duché de Luxembourg, voire en Allemagne, en fait il y a énormément de travailleurs wallons qui traversent les frontières", réagit-il.
Le patron du syndicat socialiste admet ne pas comprendre pourquoi les Wallons semblent se détourner du marché du travail flamand. "C'est une vraie question. Il y a des réponses qu'il faut trouver. Je n'ai pas la réponse. Mais en tout cas il faut arrêter de dire que le travailleur wallon n'est pas mobile".