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En 2022, après la levée de la protection fédérale de l'avortement aux Etats-Unis, l'écrivaine féministe Jessica Valenti commence à lister le torrent d'interdictions et d'histoires douloureuses qui déferlent. D'abord personnelle, cette entreprise se transforme rapidement en une mission bien plus large.
Sa newsletter quotidienne, "Abortion, Every Day", est vite devenue bien plus qu'une façon "d'organiser le chaos de son cerveau", selon ses propres mots. Elle constitue une chronique de la lutte des Américaines pour le droit à disposer de leur corps.
Jessica Valenti a accordé une interview à l'AFP avant la parution de son dernier livre, "Abortion: Our Bodies, Their Lies, and the Truths We Use to Win" (que l'on peut traduire par "Avortement: nos corps, leurs mensonges et les vérités que nous utilisons pour gagner").
La New-Yorkaise de 45 ans exhorte les démocrates à passer à l'offensive, face aux enjeux de l'élection présidentielle de novembre.
Si Kamala Harris "perd, ce qui nous attend est une interdiction nationale" de l'avortement, "même si elle ne prend pas la forme d'une loi au Congrès", estime-t-elle.
L'une des premières mesures de Donald Trump pourrait être, selon elle, de remplacer le patron de l'Agence américaine des médicaments (FDA) et de restreindre l'accès à la pilule abortive en revenant sur l'autorisation de son envoi par la poste.
Certains suggèrent même qu'une loi du XIXe siècle, sur la régulation de ce qui comporte un caractère "obscène", pourrait être utilisée pour interdire l'envoi de tout matériel utilisé lors d'avortements.
Cela semble-t-il absurde? Jessica Valenti se souvient de l'époque où les féministes étaient qualifiées d'hystériques si elles mettaient en garde contre une possible décision de la Cour suprême de revenir sur l'arrêt Roe v. Wade, qui garantissait un droit fédéral à l'avortement.
"On nous répète que cela n'arrivera jamais", dit-elle à propos d'une interdiction nationale. "Les mêmes experts refusent de reconnaître que nous aurons probablement de nouveau raison."
Depuis l'arrêt de la Cour suprême en 2022, une vingtaine d'Etats ont interdit ou fortement restreint l'accès à l'avortement.
Malgré certaines exceptions en cas de viol, d'inceste ou de danger pour la vie de la femme, les médecins ont souvent peur d'intervenir. Et les histoires de femmes ne recevant pas les soins adéquates en cas de complications se sont multipliées.
Le média ProPublica a rapporté cette semaine les décès de deux femmes en Géorgie, qui n'ont pas été soignées malgré des complications après avoir pris une pilule abortive, à cause des lois en vigueur dans l'Etat.
- "Histoires d'horreur" -
Pour Jessica Valenti, le mouvement anti-avortement est un projet misogyne mené par un mouvement suprématiste blanc et chrétien.
"Il est impossible pour eux de dire de façon crédible qu'il s'agit de sauver des vies", tacle-t-elle.
Pour cette militante, comme pour beaucoup de femmes, la lutte est aussi politique que personnelle.
Elle a elle-même avorté, trois mois avant de rencontrer son mari avec qui elle a eu une fille deux ans plus tard.
Elle désirait un autre enfant, mais des complications lors d'une nouvelle grossesse lui donnent 50% de chance de développer une maladie mortelle. "J'ai pris une décision en tant que parent", dit-elle, racontant avoir choisi d'avorter pour ne pas risquer que sa fille se retrouve orpheline.
Si les médias se concentrent souvent sur les "histoires d'horreur" de femmes perdant par exemple leur fertilité à cause des nouvelles interdictions, Jessica Valenti souligne que "tous les avortements refusés sont des tragédies".
"Parfois, certaines personnes ne veulent tout simplement pas être enceintes", dit-elle. "C'est vital pour votre liberté de disposer de votre corps, de votre vie et de votre avenir."
Elle exhorte les démocrates à se concentrer sur le renforcement des protections juridiques, au moment où les sondages montrent un large soutien au droit à l'avortement chez les Américains.
Ces deux dernières années, que ce soit lors des élections de mi-mandat ou de référendums, "chaque scrutin où l'avortement a joué un rôle, le droit a l'avortement a gagné", rappelle-t-elle.
Elle est plus optimiste avec Kamala Harris, qui s'exprime quasi-quotidiennement sur la question, qu'avec Joe Biden, qui était plus prudent sur le sujet.
Mais Donald Trump "a été stratège" en se présentant comme modéré, "brouillant ainsi délibérément sa position", estime-t-elle. "Je suis toujours inquiète."